Courrier International (2022-02-17)

(EriveltonMoraes) #1

  1. 360 o Courrier international — no 1633 du 17 au 23 février 2022


Moscou aura


sa “place Verte”


Avec le quartier Roubliovo-Arkhanguelskoïé, qui doit
voir le jour en 2030, l’architecture italienne fait son grand
retour en Russie. Le projet promet d’allier technologie
et espaces naturels pour favoriser de nouveaux modes de vie.

—La Repubblica Rome


A


l’ouest de Moscou, une smart
city est en train de naître. Une
cité “intelligente” et durable qui
se déploiera sur plus de 460 hectares et
accueillera plus de 65 000 habitants. C’est
la première expérience de ce type dans
la capitale russe, mais aussi dans l’en-
semble de la Fédération de Russie. Ainsi,
plusieurs cabinets d’architecture ont été
sélectionnés pour construire ce quartier
futuriste de Roubliovo-Arkhanguelskoïé,
parmi lesquels le britannique Zaha Hadid
Architects, le japonais Nikken Sekkei et
l’italien Archea Associati, agence fondée
par Marco Casamonti.
“C’est un morceau de ville au cœur duquel
se trouve la nature, avec un parc, un lac arti-
ficiel formé dans une ancienne carrière de
gravier, et une rive de la Moskova. Ce qui a
plu, dans notre projet, c’est précisément que
nous avons placé un espace urbain vert en son
centre”, commente l’architecte et profes-
seur d’architecture Marco Casamonti, qui
a conçu des dizaines d’ouvrages en Italie
et ailleurs, depuis les stades d’Udine, dans
le Frioul, et de Tirana, en Albanie, à la pro-
priété du domaine viticole d’Antinori, en
Toscane, en passant par le Hope Square
de Taipei, à Taïwan, ou la Liling World
Ceramic Art City, en Chine. “Aujourd’hui,
Moscou est célèbre pour sa place Rouge. Mais
demain, peut-être, la ville sera connue pour
sa ‘place Verte’. Michel-Ange disait que le bloc
de marbre contient déjà la sculpture. Nous,
nous avons conçu une ville autour d’un sys-
tème naturel qui existait déjà.”


La philosophie de Roubliovo-
Arkhanguelskoïé est celle d’un espace
“à taille humaine”, “centré sur l’homme”, où
le tissu urbain et l’environnement rural,
la vie et le travail se mêlent harmonieuse-
ment. Les espaces verts occuperont plus
de 30 % de ce nouveau quar-
tier moscovite ; le coude de
la Moskova en délimitera le périmètre ;
le lac artificiel de 30 hectares en sera le
cœur battant.
Sa construction a déjà commencé sur
les terres agricoles d’une ancienne usine
collective plantée au bord de la Mkad,
l’autoroute périphérique de la capitale. Au
début des années 2000, l’homme d’affaires
Souleïman Kerimov avait projeté d’y bâtir
une “ville de millionnaires”, mais le projet
a fait long feu. Puis la société Roubliovo-
Arkhanguelskoïé, succursale de la prin-
cipale banque russe, Sberbank, a racheté
ces terres. Elle a décidé de créer “quelque

URBANISME

chose qui restera unique au cours des pro-
chaines décennies”, expliquait aux médias
russes Stanislav Kouznetsov, membre
du jury du concours et vice-président du
conseil d’administration de Sberbank.
Le nouveau projet urbain a pour objectif
de soulager la pression démo-
graphique qui pèse sur cette
métropole de 12,5 millions d’habitants


  • soit 30 % de plus qu’il y a vingt ans. Mais
    il ambitionne avant tout de créer un modèle
    de smart city non seulement alimenté par
    des sources d’énergie locales renouvelables,
    mais aussi où la technologie et la nature,
    la numérisation des services et le respect
    de l’environnement favorisent un nouveau
    mode de vie. “Concevoir une ville à partir de
    la nature, et non en fonction de la circulation
    routière, voilà un vrai changement de vision,
    martèle Marco Casamonti. Le projet date
    de 2018, mais il répond aux exigences nées de
    la pandémie : tous les services sont accessibles


en quelques minutes. Il s’inspire du modèle
de ‘ville du quart d’heure’ imaginé par l’ur-
baniste franco-colombien Carlos Moreno.”
Les chiffres du projet, qui devrait être
achevé à l’horizon 2030, parlent d’eux-
mêmes : 4 millions de mètres carrés d’édi-
fices, dont 2,6 millions de mètres carrés
de logements, 800 000 mètres carrés de
bureaux et 255 000 mètres carrés d’in-
frastructures sociales et culturelles ;
76 300 nouveaux emplois ; une nouvelle
ligne de métro de 19 kilomètres et 9 sta-
tions ; 30 kilomètres de pistes cyclables,
15 crèches, 10 écoles, deux cliniques, ainsi
qu’un centre commercial, un port de plai-
sance, un hôtel, un commissariat de police
et une caserne de pompiers, plusieurs
centres administratifs et culturels. Le tout
pour un investissement estimé aujourd’hui
à 9 milliards d’euros.

Au fil des saisons. La gestation a été
de longue haleine : entre 2013 et 2014, un
concours a été organisé pour la concep-
tion du plan directeur ; c’est une société
allemande qui l’a gagné. Puis, en 2018,
un appel à projets a été lancé pour la
programmation urbaine et architectu-
rale ; l’agence italienne Archea Associati/
Marco Casamonti & Partners l’a rem-
porté ex aequo avec les colosses Nikken
Sekkei et Zaha Hadid. Les Italiens se
sont vu confier le développement global
de la nouvelle ville, qui inclut, outre la
place centrale aménagée face au lac,
plus de 15 immeubles d’habitation et de
bureaux. Leur idée de l’espace public,
Casamonti et son équipe ont voulu l’in-
carner avec cinq coulées vertes qui relient
la place centrale, le parc au bord de la
Moskova et différents centres nerveux
du quartier : théâtres à ciel ouvert, zones
commerciales ou espaces destinés à des
activités qui évoluent au fil des saisons.
Pour Casamonti, la participation au
projet d’Archea Associati ainsi que celle
du cabinet Land Milano, d’Andreas Kipar,
qui travaille sur le système paysager du
nouveau quartier, sonnent le retour des
architectes italiens en Russie. Cette col-
laboration s’inscrit dans une tradition qui
remonte au xve siècle, lorsque la Russie
fit venir plusieurs maîtres italiens pour
construire le Kremlin de Moscou, et qui
culmine au xixe siècle, lorsque Carlo Rossi
participa à la conception de la place qui fait
face au palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg.
“Jusqu’à la récente inauguration du Ges2,
la Maison de la culture moscovite, de Renzo
Piano, et à la conception de la smart city
de Roubliovo-Arkhanguelskoïé, jamais les
Italiens ne s’étaient autant impliqués en
Russie. La culture italienne redevient com-
pétitive parce qu’elle ne cherche pas à colo-
niser les espaces, mais à les comprendre et
à les écouter.”
—Rosalba Castelleti
Publié le 24 janvier

↓ Ce à quoi devrait ressembler Roubliovo-Arkhanguelskoïé, première
smart city de Russie. Photo Marco Casamonti/Archea Associati
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