Méditerranée Mer Vivante 20e édition

(jfmeinesz) #1

208 Méditerranée - Mer vivante


Gardons la mer vivante


Protection des espèces et espaces marins


Alexandre Meinesz, professeur émérite à Université Côte d’Azur (CNRS UMR 7035 « ECOSEAS »)
[email protected]


Dans la gestion du domaine maritime côtier, il y a
un objectif qui concerne la protection des espaces
et espèces marins. Pour que le développement
durable où la croissance bleue ne relègue pas la
protection de la biodiversité comme une annexe
de principe pour cautionner de multiples activités
économiques liées à la mer, nous insistons sur la
nécessité de mieux protéger la vie marine.
Un constat s’impose : depuis une trentaine d’années,
tout autour de la Méditerranée, les espèces pêchées
sont moins abondantes, le nombre de pêcheurs
professionnels a diminué de 60% et beaucoup de
pêcheurs sont subventionnés. La réduction du
stock d’espèces comestibles peut être attribuée à
diverses causes : pollution, aménagement du littoral
et surpêche. Mais ce sont la surpêche et la mauvaise
(ou absence) gestion des stocks qui, sans aucun
doute, sont les causes les plus importantes.
Pour comprendre cette raréfaction des espèces
halieutiques, il faut évoquer un passé récent. Il y a
un siècle en Méditerranée, lorsque la majeure partie
des barques de pêche traditionnelles était encore
propulsée par rame ou par voile, le rayon d’action
des pêcheurs était limité. Les filets étaient en coton.


La longueur de ces filets mis à l’eau était faible et
la profondeur d’immersion peu importante car ils
étaient levés à la force des bras. Ce prélèvement
laborieux et aléatoire des espèces de poissons et
de crustacés sauvages de notre littoral permettait le
maintien d’un équilibre naturel.
L’apparition des moteurs et des filets de nylon a tout
changé. Depuis, aucun point de la côte n’est à l’abri
de la pêche professionnelle. Il est même devenu
possible d’immerger des longueurs importantes
de filets (souvent plus de deux kilomètres) sur
des fonds atteignant deux cents mètres. De plus,
depuis une cinquantaine d’années, d’autres formes
de pêche se sont considérablement développées :
la chasse sous-marine et la pêche plaisancière. Elles
ont également contribué à réduire les stocks.
Or le renouvellement d’un stock trop pêché se fait
mal. Outre la raréfaction des poissons, il y a une
cause biologique : la plupart des poissons de notre
littoral changent de sexe durant leur vie. Mâles au
début, certains poissons deviennent femelles plus
tard (sars, loups, mulets, dorades), pour d’autres
espèces, c’est l’inverse (labres, crénilabres, girelles,
serrans, mérous...). Dans une zone trop pêchée,
les poissons se font prendre avant d’atteindre une
grande taille ce qui entraîne un grand déséquilibre
sexuel et donc une mauvaise reproduction. Pour
remédier à cette situation, en accord avec les
pêcheurs professionnels et dans certaines régions,
à leur demande, des réserves dans lesquelles toute
forme de pêche est interdite ont été créées. A
condition que la surveillance de la zone règlementée
soit efficace (c’est le principal critère de bonne
gestion d’une réserve), il ne faut que cinq années
pour que la densité des poissons augmente très
sensiblement et pour qu’une proportion normale
d’individus atteigne le stade d’inversion des sexes.
Ils se reproduisent et les œufs, larves et jeunes sont
disséminés. Les poissons adultes en surnombre

Barque traditionnelle de pêcheurs en Corse
vers 1900 : faible rayon d’action et profondeur
de pose des filets limitée (les marins doivent les
remonter à la force des bras)

©


Les Editions du Mouflon / Coll. particulière

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