Méditerranée Mer Vivante 20e édition

(jfmeinesz) #1

Aires marines protégées 271


Respectons les aires marines protégées


Leur histoire commence en 1975. Le Prince Rainier II venait
de terminer d’immenses chantiers d’extension sur la mer
dont Fontvieille où près de 20 hectares de petits fonds
furent couverts et endigués pour la création d’un quartier
nouveau et de deux ports de plaisance. A cette époque,
jeune assistant à l’Université Nice, j’étais déjà passionné
par la protection du milieu marin et on m’avait confié
l’animation d’une petite réserve sous-marine expérimentale
à Beaulieu-sur-Mer. Je dénonçais déjà la multiplication des
ouvrages sur la mer qui détruisaient pour toujours les
écosystèmes marins concernés. J’ai donc pris ma plume
pour écrire au Prince Rainier afin de lui faire part de ma
peine en voyant détruire à Monaco tant de zones marines
littorales et lui témoigner des efforts accomplis à l’Université
de Nice pour protéger les petits fonds à Beaulieu-sur-Mer.
Sa réponse m’a surpris : il m’annonça sa volonté de créer
une réserve sous-marine devant le rocher de Monaco, sous
le Musée Océanographique! Connaissant bien le lieu, je lui
répondis que ce n’était peut être pas le meilleur site pour
créer une réserve car la pente y est raide, sans herbiers de
posidonies. Par contre, je lui ai signalé la présence, devant
les plages déjà artificielles du Larvotto, d’une belle étendue
d’herbier de posidonies qui pourrait être protégée.
Cela fut fait avec l’organisation et l’administration
remarquable spécifiques à la Principauté. L’aire marine
protégée du Larvotto (environ 50 ha) a été créée en
juillet 1976. Enrichie par quelques récifs artificiels, suivie
par des scientifiques, elle bénéficie d’une animation
constante (notamment grâce à l’association monégasque
pour la protection de la nature présidée avec passion
pendant plus de 30 ans par Eugène Debernardi 1927-
2009). Depuis, chaque été, les baigneurs des plages
du Larvotto s’émerveillent devant l’ « effet réserve ».
En effet toute forme de prélèvement y est interdite
et la surveillance de cette zone est exemplaire (aucun
braconnage constaté) de telle sorte que les poissons
sédentaires qui y vivent et s’y reproduisent n’ont plus
du tout le réflexe de fuite face à un baigneur. C’est pour
moi l’exemple qu’une zone marine banale, située devant
un littoral artificiel très urbanisé, contient encore toutes
les richesses biologiques pour qu’en cinq années, par la
seule interdiction effective de prélèvement, la densité de
poissons sédentaires peut devenir exceptionnelle.
En 1990, une autre réserve plus petite fut créée à Monaco
devant un petit cap sur lequel un complexe hôtelier et
un centre de congrès furent construits. Elle était destinée
à protéger des colonies de corail rouge. Plusieurs
scientifiques se sont relayés pour les étudier et même


Les aires marines protégées de la principauté de Monaco
Alexandre Meinesz, professeur émérite à Université Côte d’Azur (CNRS UMR 7035 « ECOSEAS ») -
[email protected]

Aires marines de Monaco

pour les transplanter expérimentalement. Mais au début des
années 2000 un nouvel ouvrage fut construit sur la mer : le
port Hercule dont les contreforts ont entamé une partie de
cette réserve. C’est la première fois en Méditerranée qu’une
aire marine protégée a été en partie détruite en devenant
terrestre.
En 2007, tous ceux, et ils sont nombreux, qui ont participé
aux recherches et animations de la réserve du Larvotto, ont
frémi lorsqu’un nouveau projet d’urbanisme pharaonique
a été révélé. La construction d’un nouveau terre-plein était
projetée sur la mer en limite de la réserve du Larvotto.
Le premier, abandonné, portait sur une extension de 12
hectares. Le suivant, aujourd’hui validé et proche d’être
terminé, concerne 6 hectares de petits fonds destinés
essentiellement à la construction d’immeubles et de villas
luxueuses. Même si les promoteurs affichent une haute
conscience écologique ( pas de pollutions pendant et après
la construction), il ne faut pas négliger l’essentiel : toute
la biodiversité (faune, flore) située sur les 6 hectares va
être détruite par recouvrement. Ainsi les petits fonds de
la Principauté sont de nouveau réduits à jamais par cette
extension sur la mer. Déjà, avant la construction de ce nouvel
ouvrage, plus de 88 % des petits fonds de la principauté entre
0 et 10 m ont été recouverts ou endigués, et 63% entre -10
et -20 m. La principauté de Monaco s’est étendue sur la mer,
augmentant de 20 % sa surface initiale tandis que la vie, la
biodiversité sous-marine la plus riche de la Méditerranée, a
vu son territoire favorable amputé de plus des deux tiers et
cela pour toujours. Cette situation vient d’empirer avec la
nouvelle construction sur la mer.

© Aurélie BLANFUNé

(25 ha)
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