La Culture Fang Beti Bulu

(Richellius) #1

Nous disions tantôt que le quotidien des rencontres de sorciers était fait de guerre permanente,
d’affrontement entre membres de la confrérie ; cela a pour conséquence directe des blessures qu’ils se
font les uns les autres. Or nous avons également relevé que la vie du sorcier était étroitement liée à celle
de son évu ; que toute action envers l’un affecte directement l’autre. C’est pourquoi lorsqu’un sorcier
s’est blessé dans la nuit noire, il va présenter cette blessure le jour. Comment cela arrive-t-il?
Une blessure reçue à la jambe par exemple d’un coup de machette, en sorcellerie va se réaliser en plein
jour sous un aspect banal : être égratigné par le bambou d’un lit, une épine ou tout autre objet anodin.
Dans le cas d’une fracture, le concerné fera une chute banale, moins grave pour le commun des hommes,
mais il se fracturera effectivement. Une égratignure comme nous l’avons signalé se transforme aussitôt
en une plaie énorme, qui ne finira jamais par les seuls soins de la médecine moderne, scientifique. Pour
le fracturé, il lui faudra bien les soins d’un ngengañ (guérisseur) sinon il pourrait perdre ce membre qui
deviendrait invalide. Des exemples du genre pleuvent dans le pays beti-fang.


Pour ce qui est de celui qui a été battu par les autres sorciers, pour le soigner, il faut les services d’un
grand ngengañ qui doit posséder un évu plus puissant que celui de tous les sorciers, de sorte qu’aucun
d’eux ne soit en mesure de le vaincre. Car les causes des combats étant les disputes, le non-paiement de
sa quote-part, les sorciers vont poursuivre celui qu’ils ont attaqué jusqu’à chez le guérisseur.
Il faut donc être capable de le défendre et de se défendre soi-même. Sinon s’en est fait de vous deux.
Décider de soigner celui sur qui les flèches meurtrières des sorciers sont braquées est donc un risque
énorme. C’est pourquoi il faut avoir un évu qui inspire le respect mais surtout la crainte des autres bivu.


Quant aux soins proprement dits, le guérisseur amène d’abord le malade devant sa bassine médicinale
(étog/étok). Là le malade doit confesser tout ce qui s’est déroulé dans la nuit. Puis le guérisseur va
prendre une bête à sacrifier (chien, chèvre, mouton, canard...), lui faire absorber l’eau de la bassine
médicinale faite à propos, puis parler à la bête, lui demandant d’accepter le sort qui lui est désormais
réservé.
La bête sacrifiée, le guérisseur arrose le malade de ce sang en faisant des incantations. Le cœur de
l’animal sera préparé dans un mets avec des herbes et donné à manger au malade. C’est la bête qui sera
« remise » à ceux qui poursuivaient le malade en lieu et place de celui-ci.
Pour soigner un enfant qui a été nouvellement initié à la sorcellerie, de même que pour une fille qu’une
vieille femme a initiée à akyae/aka’aé, en lui demandant en rançon une personne aimée de la famille,
les soins se font parfois à la rivière (qui est censée emporter au loin l’envoûtement) ou encore devant la
bassine médicinale où la malade se confesse. Puis le guérisseur procède de la même manière que la
précédente.


Dans le cas d’un malade qui a utilisé son évu au-delà de sa puissance (la force de l’évu diminuerait donc
en fonction de l’intensité de l’activité exercée), de même que pour une personne qui a utilisé son évu en
plein jour, et dont l’évu s’est « blessé », le guérisseur l’amène d’abord à la traditionnelle séance de
confession. Puis il oint son corps d’un « baume » qui a la faculté de cicatriser les blessures de l’évu.
Puis le guérisseur prépare un mets de courgettes mélangées aux herbes médicinales. Dans certaines
régions, le guérisseur devait faire vomir son évu au malade. Puis il en faisait autant et alors utilisait une
« colle » faite de sève de l’arbre ékug/ékuk mélangée à d’autres herbes. Il enduit les blessures de l’évu
pour les faire cicatriser. Puis chacun reprenait son évu et le guérisseur achevait le travail par des
massages.


Cependant, selon les témoignages des vieillards Beti, cette forme de soin a été abandonnée parce que
certains malades arrivaient à avaler l’évu du guérisseur, lui abandonnant son évu malade ; ce qui signifie
sans embage une condamnation à mort.
Pour boucler ce tour des relations sorcier/guérisseur, il faut enfin signaler le cas de ce que nous avons
appelé un évu latent, qu’il faut activer pour qu’il commence les sorties nocturnes. Dans ces cas, le
guérisseur peut arriver à « casser les dents » ou encore à « percer les yeux » de cet évu tant qu’il n’est
pas encore bien actif ; c’est-à-dire tant qu’il fait encore ses premiers pas en sorcellerie.

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