La Culture Fang Beti Bulu

(Richellius) #1

Ces cercles dansants donnaient aux femmes de se réunir non seulement pour projeter leur amertume
mais aussi, pour recevoir d’autres femmes des conseils en cas de difficultés. Notons que toute réunion
entre les femmes était interdite également, sous risque d’être taxées de conspiratrices, et l’histoire nous
apprend que, toute femme ainsi considérée se rendait coupable de la mort de son mari et par conséquent,
sa punition était d’être enterrée vivante avec ce dernier. Le processus était le même pour recevoir un
conseil. La demandeuse se place au milieu du cercle, expose son problème en soliste et chansonnière, le
cercle en réponse, lui donne un conseil net.
C’est donc sur le fait de danser en frappant le sol par ses pieds qui donne le nom « Bikut Si » à ce rythme
connu comme propriété intellectuelle des Beti (Fang-Beti).


Evolution du Bikut-Si


Nous partons du simple cercle de danse claquant et trépignant, à
des formes plus développées mais progressives. Peu à peu, les deux
mains jointes, les épaules secouées et le dos cassé, trépignant peu
le sol. Tout ceci remplacera le trépignement et claquement des
mains absolus, remarqués au cercle de projection, sachant que ces
derniers (mains-pieds) constituaient en même temps les seuls
instruments de musique. Plus tard, nous assisterons à l’introduction
des tams-tams, tambours, xylophones (balafons), castagnettes,
airain, guitare sèche et ainsi que tous les instruments de musique à
percussion, à cordes et à vent comme nous le voyons aujourd’hui.
Actuellement, on peut associer tout modèle de danse au Bikut Si.
De son expression, on note aussi une très grande évolution car au départ, ce fut uniquement l’émotivité
et la demande de conseil. Mais aujourd’hui bien qu’on y retrouve encore de la subjectivité (sentiments,
histoires personnelles). On peut y trouver également l’expression de l’amour à la dimension universelle.
On chante également à travers le Bikutsi des louanges au Divin Créateur. On fait des éloges aux rois,
aux personnages distingués et aux personnages regrettés.


Dimension Linguistique Du Bikutsi


Le Bikutsi a donné aux femmes qui n’avaient pas de parole une forme d’expression, c’est le « chant-
parlé ». Nous comprenons que le Bikutsi est donc poétique, parce que nous avons là d’espèce de relation
entre les mots chantés et des situations vécues, entre les objets et la nature. C’est pour cette raison même
que l’artiste camerounaise K-Tino défendra bec et ongles son verbe. Elle refusait qu’on la traitât de
coprolalique ou d’ordurière. Elle déclara « Je fais de la poésie et ce n’est pas de la sauvagerie ».


De ce qui précède, nous pouvons confirmer que le Bikutsi a donné à l’homme Beti d’oser appeler chat,
chat et chien chien. Lorsque nous faisons un feedback, le Fang-Beti avait déjà substitué plusieurs
expressions ou mots qualifiés alors de « blessant à la pudeur ». Ce sont des gros mots dont l’usage était
honteux, il fallait les gommer du lexique Beti. Sur ce, certains organes ou parties du corps humain ne
devaient plus être nommés par des mots ordinaires et classiques, mais par des expressions décrivant leur
situation topographique du corps. A titre d’exemple, les fesses, les organes génitaux sont désignés par «
a si » (en bas) ; « a mvus » (derrière). Certaines actions ne devaient qu’être explicitées autrement au lieu
d’être décrites telles quelles ; pour vouloir dire que quelqu’un a chié on dira plutôt qu’il a fait des
mauvaises choses « a zuya bo abé mam » ou « a zuya bo biem bi mam » ou encore « a zuya bo mbé be
mam » « mbia be mam ». Pour dire « ma ke éduk » « je vais au WC » on dit plutôt « ma ke somane Kulu
». Les relations sexuelles sont équivalentes de « mam me satan » ou « fulus », c’est-à-dire « les affaires
du diable » ou « les bétises » ... Le Bikutsi est donc venu briser l’accoutumance à la dérive langagière,
en redonnant vie aux mots et expressions naturels. C’est une renaissance linguistique locale. En réalité
le Bikutsi est un genre littéraire Beti.

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