Il apparaît par exemple que le géniteur n’est pas le père, ou la mère seulement, mais tous leurs
collatéraux claniques. C’est cela la parenté chez le peuple les Seigneurs de la forêt.
D’aucuns pourraient se demander pourquoi étendre ainsi les liens de parenté? Seulement, il faut toujours
se rappeler que le Beti-Bulu-Fang vivait dans la guerre, de la guerre et pour la guerre contre les autres
groupes. Seulement celle-ci ne se pratiquait jamais entre frères, mieux c’est toujours aux frères qu’on
avait recours lorsqu’on partait en guerre. Il fallait donc garder le plus de relations possibles pour être en
mesure de défendre le groupe en cas d’agression extérieure.
C’est cela qui explique que tous les Beti-Bulu-Fang recommandent à leur progéniture de ne jamais
cacher leurs parentés c’est-à-dire le clan de la mère et celui du père.
C’est pourquoi un Yeminsem de Bikpwae ou de Sangmelima ne doit sous aucun prétexte entretenir des
rapports sexuels avec un Yeminsem de Kribi ou d’Ebolowa.
Ou encore un Ndoñ de Enyia Nko à Akom II ne peut prendre pour épouse une fille Ndoñ de Micomeseng
en Guinée Equatoriale ou une fille Bekôe de Alen chez les Mvae dans l’Arrondissement de Ma’an,
Vallée du Ntem.
Il est impensable qu’une fille Esamvini/Esamvin de Mekou’ou en Guinée Equatoriale se marie à un
homme Nk’Ôjoé du Gabon, ou un Yébôl d’Ebolowa ou Esôm de Nkolbisson.
C’est dire par ces exemples que le vocabulaire Beti-Bulu-Fang ne connaît pas les réalités comme cousin,
cousine, demi-frère, oncle, tante. Il connaît plutôt pepa/papa pour désigner mon père tel, ou mema/mama
pour désigner ma mère telle, idem pour mon frère, ma sœur, mon grand-père... exit, des notions
populaires aujourd’hui comme tonton, tantine.
Les appellations mema, pepa, ndôm... sont en effet plus rapprochantes des liens, au contraire de ces
notions : tonton, cousin, tante, cousine... qui semblent instituer des limites ou barrières et par ce fait
allègent du poids de la tradition qui impose sacralisation des liens de parenté, sacralisation qui s’étend
d’ailleurs aux relations avec ses frères et sœurs du clan maternel.
En effet, tout enfant doit respecter ses oncles maternels quel que soit leur âge. C’est dire qu’un enfant
garçon, même nouveau-né est l’oncle maternel de mone ngon ou man ngoan, c’est-à-dire qu’il est son
ndomenyañ/nyañdomo. C’est donc affirmer qu’un Beti n’a pas de « frères » chez ses oncles maternels,
tous sont ses oncles.
Pour saisir encore mieux la signification de l’importance de la parenté chez les Beti, il faut examiner les
liens avec les clans des grands-pères et mères de ses parents. En effet, un enfant Esambira ou
Mbidambani, dont le père est « Monengon Yemboñ » c’est-à-dire la grand-mère est Yemboñ, et sa
maman Yeminsem, cet enfant est parenté avec ces trois groupes claniques et toute relation intime avec
une fille des trois groupes est incestueuse.
Et une faute d’inceste, pour être lavée nécessite un rituel particulier, différent du rite de bénédiction
normal. Chez les Ntumu, on parle de « A bwiri nsem » ou « a sèlè nsem ». Le rituel a lieu en public,
c’est-à-dire dans la cour, et en présence de tous, petits comme grands.
En effet, pour enlever la souillure reçue de suite d’un acte incestueux, les Ntumu anciens se réunissaient
au jour indiqué, sous la conduite de tous les patriarches, et de toutes les vieilles femmes qui n’avaient
plus leurs menstrues. Les deux fautifs étaient dépouillés de tous leurs habits. Ainsi à poils, ils étaient à
tour de rôle arrosés d’une eau tirée d’un seau posé au milieu de l’assistance et contenant des herbes, des
racines et des écorces purifiantes que les anciens maîtrisaient bien.
L’arrosage était fait au moyen d’une goupille de feuilles purifiantes également. Les célébrants sont tous
les hommes âgés du groupe social, toutes les femmes de bonne moralité, et toutes les femmes âgées. En
fait ce sont ces personnes qui sont censées garder la tradition et les bonnes mœurs au sein du groupe
social.
Par ce rituel, les fautifs sont ramenés sur le droit chemin et sommés de ne jamais s’y essayer à nouveau.
Rappelons que le plus souvent, avant de procéder au rituel de bénédiction, il arrivait souvent que les
patriarches fassent d’abord donner une fessée publique aux fautifs.
Au regard de ces analyses, et vus les dérapages observés aujourd’hui dans la société Beti-Bulu-Fang,
l’on ne peut que regretter le temps des anciens.