Prologue jubilatoire
mer nous roulions sur la véloroute que je comptais emprunter lors de
mon départ vers lâArménie la ViaRhona. En raison de ma position
allongée sur mon vélo couché un modèle près du sol ma femme me
dominait sur sa bicyclette ce qui lâobligeait à tourner et baisser la tête
pour me parler. Un léger souffle dâair nous entraînait dans sa joyeuse
farandole. Un moment propice pour évoquer lâété à venir. Lâinstant
fatidique que jâavais imaginé et préparé depuis des mois se trouvait
maintenant à portée de mots. Tout dâun coup mon cÅur battait plus fort
non pas à cause de la côte â câétait tout plat â mais à la pensée de ce que
jâavais à annoncer. Le trac des grands jours. Je devais parler de mon
voyage. Lâoccasion à ne pas louper. Je me lançai dans le vide et lui
confiai avec de la précaution dans les vocables choisis le projet de cette
virée au long cours que jâenvisageais sans elle et sans ailes. Je revois
son visage incrédule se crisper. Nos regards sâétaient croisés furtivement
et nos vélos avaient failli faire de même. Un silence sâétait installé
seulement troublé par le cliquetis impassible des chaînes qui nous
faisaient avancer. Notre vitesse de progression avait faibli ébranlée par
la révélation. Elle savait presque tout maintenant. Elle fit quelques
remarques je les écoutai malicieusement avec empathie soulagé et
heureux dâavoir pu partager ce rêve. Il ne mâappartenait plus.
- Pourquoi lâArménie?
- Pourquoi si loin et si longtemps?
- Pourquoi en vélo et pas un moyen plus sûr et plus rapide?
- Tu ne peux pas trouver un compagnon de voyage?
Jâaurais pu craindre un refus dâoffice ce nâétait pas le cas. Les
circonstances ne se prêtaient peut-être pas à une discussion aussi sérieuse
maintenant.
Arrivés à la maison nous avons échangé quelques mots sur le projet.
Je saisissais la bienveillance de son regard. Elle me connaissait bien et
elle comprenait que ses questions nâallaient pas infléchir mes
convictions. Lâenjeu était cependant de tout partager avec elle et de ne
pas partir contre sa volonté. Mes certitudes étaient tellement fortes que je
savais que cette idée allait se concrétiser. Ma femme allait accepter jâen
étais sûr. Et le 8 février elle me donnait son accord.