J'irai manger des khorovadz

Le pays invisible

rappelle sa fragilité je suis obligé de m’arrêter régulièrement pour me
reposer. Car j’éprouve toujours une sensation de faiblesse avec des
sursauts ponctuels de mon mal intérieur depuis le milieu de la journée.
En fin d’après-midi apercevant un puits sur le bord de la route je fais
une halte afin d’y puiser de l’eau. Je me doute qu’à moins de la bouillir
elle est impropre à la consommation mais elle pourra tout de même me
servir pour une autre utilisation. Je descends le seau au fond du point
d’eau et je remplis la gourde et les bouteilles qui me serviront à effacer
l’odeur de la fatigue de mon corps. Alors que concentré j’essaie de bien
faire coulisser la chaîne j’entends derrière moi le bruit d’un moteur. Un
énorme semi-remorque s’arrête en deçà du puits dans un souffle de
poussière. Le chauffeur émerge de ce nuage et arrive dans ma direction
tel un prophète envoyé du ciel faisant de grands signes en me parlant en
roumain. C’est de l’hébreu à mes oreilles! Je suppose qu’il a un message
important à me communiquer. Notre échange passe surtout par la
gestuelle. Interprétation :

• Pas cette eau elle n’est pas bonne à boire!


• Oui je m’en doutais je la destine à la toilette.


• Attends ne bouge pas j’ai ce qu’il faut.
  Il retourne aussitôt à la cabine de son camion et revient avec une
  grosse bonbonne d’eau.


• Donne-moi ta gourde et tes bouteilles!
  Et miracle! Il remplit absolument tous mes récipients. Alléluia!
  Il remonte dans son camion démarre et disparaît aussi vite qu’il était
  apparu.
  Vision éphémère de la bonté humaine! J’ai à peine eu le temps de le
  remercier de son geste si généreux.
  La fatigue se manifestant je me mets à la recherche de ma résidence
  nocturne et je m’engage sur un chemin à deux cents mètres du puits.
  Bien m’en a pris car je découvrirai le lendemain que la route se prolonge
  par une côte qu’il m’aurait été difficile de gravir avec mes membres
  alanguis. Heureusement je vais pouvoir recharger mes batteries avec
  tout le stock de nourriture qui enfle mes sacoches. Les amis de Iași ont
  eux aussi complété mes réserves : un demi-fromage une bouteille de lait