J'irai manger des khorovadz
quasiment sans éclairage. Ils ont acheté de la nourriture qui pourrait
restaurer au moins trois personnes : deux steaks-frites de la soupe dans
un pain-surprise une salade des gâteaux et des biscuits à profusion. Une
dépense importante au regard de leurs moyens. Ils me laissent seul dans
cette grande salle de réunion. Je me sens quand même gêné de profiter de
ce festin disproportionné que je ne parviendrai pas à terminer dans le
silence et la froideur de cette pièce. La température ambiante est
largement compensée par la chaleur et la prévenance de mes nouveaux
amis qui sans que je leur aie demandé quoi que ce soit ont pourvu à mes
besoins du jour.
Je me souviens de ce que mon père racontait lors de ses missions
humanitaires en Roumanie après la révolution. Quand à lâheure du
repas il était invité dans des familles avec ses compagnons ils étaient
seuls à manger leurs hôtes étant là uniquement dans le but dâêtre à leur
disposition. Malgré leur insistance jamais ils ne se sont joints à eux.
Cette façon dâêtre honoré héritage dâune certaine culture est plutôt
déstabilisante quand on nâa pas lâhabitude dâêtre servi en permanence
particulièrement quand on découvre les conditions de vie de ces
familles...
Alex et sa femme Anna viennent me retrouver afin de mâemmener
passer la nuit chez eux. Je laisse le vélo sur place. Ils habitent au
quatrième étage dâun immeuble ancien datant de la période soviétique.
Ils me proposent le canapé-lit de leur salon. Avant de me coucher je leur
demande dâutiliser leur téléphone pour appeler ma femme et la tenir au
courant de la situation. Je tiens à régler la communication. Peine perdue
ils refusent fermement malgré le billet en euros que je leur tends et que je
glisse ensuite sous le combiné. Ils vont insister sans faillir et me le
restituer.
Au fond même si je ne me lâavoue pas cette perte du téléphone nâest
pas pour me déplaire. Mâengager dans une aventure signifie en quelque
sorte sauter sans filet. Avoir des comptes à rendre ou être suivi à distance