J'irai manger des khorovadz

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J'irai manger des khorovadz

une simple ouverture dans le mur en carreaux de verre qui donne
directement sur le trottoir permet aux clients de venir chercher leur pain
quotidien. D’ailleurs deux hommes viennent prendre livraison de piles
impressionnantes de galettes et les déposent dans leur voiture. Je
m’invite à l’intérieur de cet atelier rustique et rudimentaire que le
boulanger est en train de nettoyer. Dans un coin s’entassent des dizaines
de sacs de farine attendant d’être vidés en vue de satisfaire l’appétit des
habitants. L’homme a fini de cuire son pain une sorte de galette dont il
peut exister plusieurs variantes. Celui de ce village doit être du tonis
puri cuit dans un four de forme ronde posé sur le sol appelé toné. C’est
le bois au fond qui sert de source d’énergie. Avec fierté le boulanger
soulève devant moi le couvercle du foyer et me laisse découvrir
l’intérieur encore chaud. L’odeur du pain frais qu’il vient de cuire nous
enveloppe et nous transporte dans des sensations inusitées. Il m’explique
que les morceaux de pâte sont littéralement collés le long des parois en
brique quand elles sont chaudes. Et envoûté par les effluves qui s’en
dégagent je ne peux résister moi aussi à la tentation de déguster cette
énorme galette toute chaude. Après m’être délesté de 60 lari en devenant
l’heureux et privilégié possesseur temporaire de cette part de l’histoire
gastronomique de la Géorgie je ne peux attendre pour en arracher un
morceau et le porter sans tarder à mes lèvres. Un délice. Assis à côté de
mon vélo profitant du soleil sur un muret au milieu de ce petit village je
savoure ce mets simple encore tiède moelleux à souhait croustillant
mais pas trop. J’en fais une pause gourmande en ajoutant une tomate.
Une grand-mère passe en robe et fichu noirs. Seuls le châle imprimé de
quelques fleurs vertes et les chaussettes montantes de couleur violette
viennent égayer sa tenue d’un autre siècle. L’air sombre elle me toise
d’une manière suspecte. Quel est cet étranger qui vient bousculer ses
habitudes troubler la quiétude de ce village de Kaloubani et manger le
pain de ses ancêtres? Elle ne va pas réussir à briser ces instants de plaisir
dont je ne pourrai venir à bout tellement la galette est copieuse. Un
prétexte pour renouveler ce moment dans la journée quand la chaleur de
la mie se sera malheureusement évanouie.

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