J'irai manger des khorovadz
bien tassés. Mais elles me font envie ces tomates. Justement jâen
cherchais. Je patiente un peu.
- Criiiiiiii
Je tourne la tête vers la droite pour comprendre dâoù vient ce
grincement strident. Le portail en tôle verte sâentrouvre doucement. Une
femme en sort et sâapproche. Elle me voit devant le plateau. Elle
commence à crier à hurler. En sursaut le mari se réveille et réintègre le
monde des vivants. Son regard éperdu passe de sa femme à moi et
inversement. Avec lâair penaud du gamin surpris en défaut il semble se
demander si tout cela est bien réel. Je ne sais pas si ces vociférations sont
dirigées vers le mari qui nâa pas su accueillir le client comme il se doit
ou bien si elles me sont destinées par crainte de se faire voler par un
étranger. La femme me donne deux tomates me fait comprendre par un
signe énergique de déguerpir en me jetant un regard énervé. Je fuis au
plus vite.
Je vais les déguster avec parcimonie quelques instants plus tard ces
tomates de la colère les dernières de Géorgie.
Je suis enfin sur la route qui mène à la frontière arménienne. Une
montée constante sur 60 km avant de franchir un col à 1 600 mètres.
Koga un adolescent dâune quinzaine dâannées va mâaccompagner sur
son vélo pendant une dizaine de kilomètres. Pas de vitesses sur son
biclou rudimentaire à lâéquipement sommaire un seul frein à lâavant. Le
fixie de la montagne! Sans un mot sans un signe nous pédalerons dans
le silence partagé avant la photo-souvenir augurant de la séparation.
Des panneaux égrènent régulièrement le décompte : 15 14 5 4... km.
à un moment je crois mâêtre trompé tellement la voie est déserte et de
plus en plus défoncée mais non câest la bonne route qui nâarrête
toujours pas de grimper quasiment depuis que jâai quitté la capitale. Au
détour dâun virage jâaperçois un panneau vert sur un support à moitié
rouillé et des inscriptions en russe en arménien et en anglais annonçant
la frontière. Un mélange particulier dâémotions et de sensations me
remplit quelques instants plus tard lorsque je me trouve devant la plaque
« République dâArménie ». Je mây suis rendu mille fois en rêve depuis
des mois voire presque deux ans! Le moment est enfin arrivé et