J'irai manger des khorovadz
les marches dâaccès du restaurant à lâétage. Levon va expliquer au
directeur notre plan : je dois prendre la place dâun serveur entrer un plat
à la main et lâamener directement à ma femme. Aussitôt dit aussitôt
fait : me voilà affublé dâun tablier rouge et dâune serviette assortie sur le
bras. Je vais récupérer le plat de pâtes et de viande à la cuisine. Je retiens
mon souffle submergé par lâémotion de la retrouver et redoutant de
lâcher par manque dâexpérience le lourd plat que je dois porter dâune
seule main. Jâavance doucement vers lâentrée et je pénètre à pas feutrés
dans le lieu où le groupe prend joyeusement son repas. Je me dirige vers
ma femme en arrivant derrière sa chaise. Je pose délicatement le plat
presque devant elle. Elle ne remarque rien absorbée par la conversation
avec sa voisine. Je lui demande dâun ton détaché : « Je vous sers? » et Ã
ce moment-là elle tourne la tête et me fait face. Notre ruse a fonctionné.
Dâun bond elle se lève précipitamment et nous nous jetons dans les bras
lâun de lâautre. Les fourchettes sont restées suspendues dans lâespace les
appareils de photo sont dégainés les flashes crépitent! Tout le monde
applaudit. Quelles retrouvailles !!! Nous ne pouvons retenir nos larmes et
nous nous embrassons euphoriques sous les acclamations des
participants du voyage dont je connais quelques membres. Après les
échanges de salutations le repas reprend son cours. Je mâassieds à côté
de mon épouse pour terminer le déjeuner tandis que chacun me
bombarde de questions. Je vais en définitive continuer la route en leur
compagnie et câest en bus que je retourne au village où nous sommes
tous attendus pour une petite cérémonie.
Aussitôt débarqué je me précipite au logement pour me changer et
revenir à vélo dans lâenceinte de lâécole. Jâarrive doucement par une
route de terre et de pierres jusque devant le portail accompagné par des
enfants qui courent à mes côtés fiers dâescorter ce Français sur son drôle
dâengin. Je franchis le portillon dâentrée. Une clameur monte à mon
passage mais je lâentends à peine. Lâémotion est à son comble et la vue
de tous ces enfants me bouleverse. Sous mes yeux le rêve se réalise : jây
suis parvenu! Jâai parcouru tous ces kilomètres sur des routes inconnues
jâai bravé les pronostics jâai persévéré malgré les obstacles jâai
surmonté mes propres craintes jâai affronté la barrière des langues et des