J'irai manger des khorovadz
jour en sens inverse. Je tenais absolument à rentrer à vélo jusque chez
moi. Cette journée de transition me permet dâatterrir en douceur et de me
préparer à retrouver la vie dâavant. En ai-je envie? De toute façon je nâai
pas le choix.
Tandis que je déserte la capitale des Gaules je retombe dans
lâanonymat et je présume que les contacts le long de la route risquent
dâêtre plus exceptionnels voire inexistants. Quelques rares voitures me
font des appels de phare (par sympathie ou pour avertir dâun radar ?!)
quelques chauffeurs me saluent. Rien à voir avec lâengouement dans
dâautres pays. Nous vivons dans une nation où la spontanéité et les
relations sont conditionnées par une vie programmée et calibrée et si
vous ne rentrez pas dans les normes le système vous éjecte sans
ménagement sur le bas-côté. Peu de place pour lâaventure. Peu de place
pour prendre du temps pour lâautre sinon aujourdâhui par écrans
interposés. Les jeunes passent plus de trente-cinq heures par semaine sur
leur smartphone^120. Les réseaux sociaux sont devenus la formidable
caisse de résonance de notre société malade déchirée par son progrès et
saisie de vertige par son avenir. « Une humanité qui oscille en
permanence entre le besoin et lâennui^121. » Le progrès ne pédale pas
toujours dans le bon sens.
Je suis là dans ces pensées sur cette terrible chaussée bitumée. à ma
droite vue en prise directe sur lâinévitable autoroute du Sud avec son flot
de voitures de camions et son ronronnement sournois et lancinant ; Ã ma
gauche toutes les usines de la zone industrielle de Feyzin environnées
des délicates fragrances des raffineries de pétrole et de leurs vapeurs de
pollution. Pas lâendroit rêvé pour pédaler. Jâai une envie pressante... Je
gare le vélo et mâabrite derrière un bosquet. à mon retour je constate
quâun employé de lâusine dâen face en bleu de travail sâest approché de
mon vélo. Il a lâair bien intrigué. Je lui explique mon parcours et il en
reste ébahi. Et là au fil de cet échange je retrouve la chaleur et
lâhumanité des relations que jâai connues sous dâautres latitudes. Il me
(^120) Article Midi Libre du 10/01/2018.
(^121) Viktor E. Frankl - Alla ricerca di un significato nella vita.