J'irai manger des khorovadz

Épilogue

J'irai manger des khorovadz

l’époque du renommé « Euphrates College » de Harpout : « la relation de
l’Arménien avec son voisin musulman est plus amicale et sympathique
que jamais auparavant ». Ils ne se doutent pas que malgré les apparences

le vali^127 avait glissé quelques semaines plus tôt lors d’une entrevue avec
des diplomates : « Les Arméniens de Turquie devraient être exterminés!;
ils ont progressé en prospérité et en nombre au point de devenir une

menace pour la domination de la race turque^128. »
Une tranquillité superficielle qui cache mal les tensions et l’attente
oppressante. La répression s’était intensifiée dans la région depuis le
mois de mai entre autres avec les perquisitions. Chacun essaie d’exister
comme si de rien n’était et vaque à ses occupations quotidiennes
consacrées principalement aux travaux agricoles de subsistance. Il faut
bien se nourrir et vivre coûte que coûte.
Ce jour-là rien n’annonçait le nouveau drame qui allait se jouer. Les
villageois avaient entendu les nouvelles récentes venant d’autres
bourgades où des personnes avaient été emmenées de force ou exécutées
parfois pendues sur place. Les soldats ne vidaient pas toujours les
villages systématiquement. Ils avaient un fonctionnement cynique : ils
agissaient par petites touches. Aujourd’hui dans une localité demain
dans une autre ainsi les habitants ne voyaient pas venir la catastrophe
globale. Seuls les quartiers purement arméniens étaient visés pour le
moment. Sous prétexte de les mettre en sécurité en raison de la guerre
ces minorités étaient en partie « déportées » vers la Syrie voisine dans
des conditions inimaginables.

Zartar et ses deux filles Nartouhie et Khatoun se reposent dans leur
maison de Harpout. Kaspar le père est absent. Elle n’a pas reçu de ses
nouvelles depuis longtemps et n’en aura plus jamais. Il ne reviendra pas
il est parti à la guerre. Il n’a pas eu le choix. À l’instar de ces milliers de
jeunes qui ont été enrôlés de gré ou de force. Pour y échapper il fallait

(^127) En Turquie le vali est un gouverneur de province équivalent d'un préfet.
(^128) Raymond Kevorkian - Le Génocide des Arméniens - Éditions Odile Jacob.