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sAgesse
e dossier
le Yoga : une porte VerS la liberté
Même si la plupart d’entre nous s’en rapprochent
pour les bienfaits qu’il procure sur le plan physique et
psychologique, les textes fondateurs du yoga le
définissent comme une « voie de libération » à
part entière. La libération est le but auda-
cieux que le yoga en tant que système
philosophique (darshana) se pro-
pose de réaliser. Les Yoga Sutra
décrivent ainsi le chemin rigou-
reux qui mène le yogi de la ser-
vitude à la liberté (kaivalya).
Il est d’ailleurs possible de
définir l’hindouisme comme
l’ensemble des moyens don-
nant accès à l’expérience de
la libération, si grand est le
prestige dont jouit en Inde
la notion de « délivrance »,
évasion ultime de la grande
« roue de l’existence » (samsa-
ra), du cycle de morts et de renais-
sances successives. La libération y
est considérée comme l’aboutisse-
ment d’une vie pleinement vécue. Quatre
sont, dans l’hindouisme, les grands « mobiles de
l’action humaine ». Le premier recouvre à peu près
le même sens que le grec eros, le « désir », le « plai-
sir », notamment sexuels (kama). Le deuxième est la
« prospérité », l'intérêt pour la richesse matérielle et
la puissance (artha). Le troisième est le respect du
système des règles juridiques et socio-religieuses
qui permettent à l'homme d'être en harmonie avec
l'ordre cosmique (dharma). Le quatrième est la « libé-
ration », le « salut » (moksha). Sans être niée ni reniée,
la jouissance des désirs temporels se trouve hiérarchi-
quement subordonnée à la quête de délivrance, apai-
sement ultime et suprême de tous les désirs grâce
à l’abolition des frontières entre l’objet et le sujet.
La vie, atteinte d’une précarité incurable, frappée
d’une fragilité essentielle car promise à la mort, ré-
clame un antidote absolu. Échapper au temps et
faisant un bond dans l’infini, plonger dans l’éternité.
Dissolution mystique de l’ego, perte consommée
de l’individuel dans l’universel qui scelle la réunion
de l’âme individuelle, le Soi (âtman), avec l’Absolu.
« Trouver tout en perdant tout », ainsi l’exprime la
sainte indienne contemporaine Mâ Ananda
Moyi^4. Le « Soi » est décrit dans le Veda
comme une entité « sans liens »^5 ,
« sans attaches » et c’est à sa
découverte que part le yogi :
« comme un oiseau, prison-
nier d’un filet, s’envolerait
vers le ciel, après avoir
coupé les rets, l’âme de
l’adepte, délivrée des
liens du désir par le cou-
teau du yoga, s’échappe
à jamais de la prison du
samsara! »^6. Le yoga
peut nous aider à nous « li-
bérer du connu », comme
disait Krishnamurti, celui qui
annonçait la seule révolution
digne de ce nom : la libération
intérieure^7. Sortir du connu, oser
nous aventurer là où nous n’avons
pas l’habitude d’aller, voici à quoi le yoga
nous invite. Osons donc la liberté, osons (nous)
regarder sans juger, quitter nos habitudes, nos
conditionnements, la routine psychologique et phy-
siologique. Grâce au yoga, nous pouvons devenir
conscients des mécanismes qui nous poussent à agir.
C’est par là que passe le chemin ardu et magnifique
de la liberté.
« N’espère pas la libération,
fait en sorte que chacun de tes
actes soit libérateur »
Maître Zen Dogen
(3) « Plus proche de moi que moi-même »
(4) Mâ Ananda Moyi Matri Vani, Ratna Printing Works,
Kamachha, Varanasi, India, 1995.
(5) Brihadaranyaka Upanishad III.9, 26.
(6) Kshurika Upanishad dans Jean Varenne, Les Upanishads du
Yoga, Paris, Gallimard/Unesco, 1990.
(7) Jiddu Krishnamurti, Se libérer du connu, Paris, Le livre de
Poche, 1995.