« J’AIMERAIS
TRAVAILLER
DANS LES
RESSOURCES
HUMAINES »
LÉONIE, ci-contre,
étudiante en licence de
psychologie à l’université
de Strasbourg.
« Je vis chez mes parents,
qui habitent à quarante mi-
nutes de Strasbourg : c’est
plus simple, même si les tra-
jets sont longs. Je vais sou-
vent à la salle de sport, cela
m’aide à tenir dans mes étu-
des. Quand je dis que je suis
en psychologie, souvent, les
gens s’exclament : “Ouh là,
mais t’es en train de m’ana-
lyser là !” Alors que, non, pas
du tout. Après mon master,
j’aimerais travailler dans les
ressources humaines. Deve-
nir coach en entreprise ou
pour des particuliers. »j
propos recueillis par a. ra.
photos : lucas barioulet
pour « le monde »
aberration aux yeux d’Emmanuel Béhague,
professeur à l’Unistra. Pour contrer la baisse
du niveau, le département d’allemand a mis
en place des cours de grammaire et de com
pétences orales et écrites jusqu’à la Tous
saint. « Il faut un électrochoc linguistique
pendant les six premières semaines », expli
que Emmanuel Béhague, qui ne débutera
ses cours de littérature et de civilisation
qu’en milieu de semestre.
Le système éducatif français seraitil fâ
ché avec l’allemand? Le désamour semble
consommé depuis deux générations,
constate Thérèse Clerc, présidente de l’Asso
ciation des professeurs d’allemand du
secondaire (Adeaf). Seuls 18 % des élèves
de 5e apprennent l’allemand, alors que
75 % optent pour l’espagnol. Et ce n’est pas le
nouvel enseignement de spécialité « langue
et culture allemande » qui inversera la
donne au lycée, puisque seuls 227 élèves de
2 de (soit 0,1 %) l’ont choisi cette année, selon
le ministère de l’éducation nationale. A Ren
nes, par exemple, aucun lycée public ne pro
pose cet enseignement et un seul lycée privé
sous contrat a décidé de l’ouvrir.
« On commence à parler de l’allemand
comme d’une langue rare », s’émeut Valérie
Dubslaff, maîtresse de conférences à
RennesII. Dans leur petit bureau, sa collè
gue professeure, Isabelle Ruiz, passe en
revue les préjugés qui minent la réputation
de la langue de Goethe : « L’espagnol est
chantant, alors que l’allemand est rude.
L’Espagne, c’est les vacances, l’Allemagne,
c’est le pays carré où on ne rigole pas. Le pire,
c’est que cette désinformation est entretenue
par les enseignants des autres langues, pour
s’assurer qu’ils garderont leurs classes l’année
suivante », souffletelle.
UN « COMPLEXE D’INFÉRIORITÉ »
L’image qu’on a des langues tient aussi à
celle que l’on se fait du pays. « En France, nous
avons un complexe d’infériorité par rapport à
l’Allemagne, vue comme la nation qui réussit
économiquement et par làmême qui nous
opprime », poursuit Isabelle Ruiz.
Un avenir professionnel florissant, c’est
justement ce à quoi aspire Angélique. Etu
diante ingénieure aux Arts et Métiers, elle
s’apprête à rejoindre pour une durée d’un
an et demi le Karlsruher Institut für Tech
nologie (KIT) dans le cadre d’un cursus
francoallemand. « Les échanges avec l’Alle
magne représentent près d’un sixième des
importations et des exportations françaises,
ce qui place l’Allemagne largement devant
l’Espagne », argumente la jeune femme.
D’autant qu’outreRhin, « der Fachkräfte
mangel » (« le manque d’employés quali
fiés ») est une problématique importante,
qui fait que le pays « est ravi d’accueillir les
jeunes diplômés français ».
Non sans humour, Stefan Brunner, direc
teur adjoint de l’Institut Goethe, appelle les
jeunes Français à se saisir de l’imminence
du Brexit pour « venir s’appuyer sur l’Alle
magne ». « C’est un atout extraordinaire de
parler allemand », vantetil dans un très
bon français. Plus de 2 500 salariés suivent
d’ailleurs les cours de l’Institut, à la de
mande de leurs employeurs. Et la plupart
du temps dans une perspective de promo
tion professionnelle.j
soazig le nevé
M
athilde en convient :
elle adopte une
« étrange » méthode
pour « se vider la tête ». « Quand
j’en ai marre de travailler le droit,
je fais une traduction. Quand je
suis fatiguée d’apprendre la civili
sation étrangère, je fais un cas
pratique en droit », expose sans
rire l’étudiante en première an
née de master juriste trilingue à
l’université de Nantes. Tout aussi
passionnée par le droit que par
les langues, Mathilde ne conçoit
pas de vivre sans cette « stimula
tion intellectuelle » de tous les
instants que cultivent les étu
diants qui suivent un double cur
sus universitaire.
Un peu partout en France de
puis quelques années se créent
des dizaines de doubles licences
mêlant par exemple le droit et
l’économie, le droit et les lan
gues, la géographie et l’aména
gement ou encore la physique
et la musicologie. Contraire
ment à leur fausse jumelle nom
mée bilicence, qui offre un di
plôme unique panaché de deux
dominantes, la double licence
délivre deux diplômes pleins et
entiers aux étudiants capables
de fournir deux fois plus de tra
vail que les autres.
« Au départ, la double licence
correspondait à une stratégie
d’évitement de la licence classi
que, explique Valérie Deflandre,
conseillère au CIDJ. Elle était
l’apanage des bons élèves ne
voulant pas lâcher les langues
ou refusant de choisir entre leurs
deux disciplines favorites. »
Comme en témoigne Antoine,
qui a opté après le bac pour une
double licence droitéconomie à
ParisIIPanthéonAssas : « Je ne
me voyais pas faire une simple
licence. Il me fallait quelque
chose en plus. Et puis, j’avais peur
d’être largué dans un trop grand
bain. A Assas, ça peut ressembler
à une usine parfois! »
« ENVIE DE TOUT! »
Julien, lui, mène de front rien
moins que deux doubles cursus.
Inscrit en bachelor de sciences
politiquesdroit à l’université de
Bourgogne, il suit aussi une dou
ble licence proposée par Sciences
Po en partenariat avec l’Univer
sity College à Londres (UCL), qui
prévoit deux années dans chaque
établissement. « A la fin, j’aurai
donc trois diplômes : le bachelor
du collège universitaire de Scien
ces Po en sciences sociales, une
licence en droit de l’université de
Bourgogne et un bachelor en étu
des européennes de l’UCL », énu
mère l’étudiant qui se réjouit
d’avoir évité « le système tradi
tionnel français qui propulse les
bons élèves uniquement en prépa,
puis dans les grandes écoles ».
Parcours d’excellence à la mode
universitaire, les doubles licences
sont la chasse gardée d’étudiants
extrêmement motivés, suscitant
parfois la jalousie de leurs homo
logues inscrits dans une seule
discipline. « Je ne compte plus le
nombre de fois où on m’a dit : “Tu
es une demijuriste”, voire “Tu n’es
pas juriste”, alors que j’ai étudié les
mêmes matières que les élèves de
droit, et avec eux en plus », s’ex
clame Mathilde.
En réalité, et à condition qu’ils
tiennent le rythme de travail, les
étudiants de doubles licences se
distinguent largement par leurs
résultats, supérieurs à ceux des
autres. Dominique Garreau, co
créatrice en 2004 de l’une des
toutes premières doubles licen
ces, en droitlangues à l’univer
sité de Nantes, en atteste : « En
droit, mes étudiants sont mélan
gés avec les étudiants de licence
classique. Mes collègues me di
sent qu’ils voient très vite une dif
férence. » Oui, mais après? A
quoi bon avoir deux licences si
l’on ne poursuit que dans une
seule discipline en master?
« Une fois diplômés, les étudiants
doivent en finir avec la transdisci
plinarité. On leur demande de
choisir, ce qui les replace au stade
où ils étaient en classe de termi
nale », déplore la conseillère en
orientation Valérie Deflandre.
Or, la double licence ne leur a pas
toujours permis de réfléchir à un
projet professionnel, les stages
n’étant souvent que facultatifs.
L’euphorie de suivre un cursus
dense et complet peut donc
déboucher sur un certain flou,
l’insatiable curiosité de ces étu
diants masquant parfois une
appréhension face à leur avenir
professionnel. C’est en tout cas
le ressenti de Romane, en
deuxième année de licence
droitLEA à Grenoble.
SYSTÉMATISER LES STAGES
« C’est frustrant de ne pas savoir
ce que je veux faire. J’ai encore en
vie de découvrir plus de matières.
Le droit privé m’intéresse, mais
je ne veux pas me fermer de por
tes. L’Ecole de la magistrature?
Une école d’avocats? Auraije le
niveau? Partir à l’étranger pour
prendre du recul? J’ai envie de
tout! » Pour pallier l’angoisse de
« l’aprèsdouble licence », les
universités ouvrent progressive
ment des doubles masters − il
n’en existe que très peu en
France. Parmi eux, le master de
juriste trilingue créé en 2008 à
l’université de Nantes par Domi
nique Garreau. A l’université de
Lorraine, sur le site de Nancy,
Thomas Lanzi vient de lancer le
premier double master écono
miedroit. La dizaine d’étu
diants, triée sur le volet, est à
majorité issue de la double li
cence nancéenne.
« Jusqu’ici, nos doubles diplômés
s’orientaient vers les filières juridi
ques. Ils étaient excellents en
économie, mais voyaient plus de
perspectives dans les grands mé
tiers du droit comme avocat ou ju
riste d’entreprise », souligne l’en
seignant. Or, les débouchés sont
de plus en plus nombreux pour
les experts en analyse économi
que du droit. « Examiner les con
tentieux, les litiges, les abus de po
sition dominante... De grands
acteurs et recruteurs comme
Deloitte et KPMG rachètent des
cabinets de conseil en économie.
Il fallait que l’université réponde
à cette évolution. »
Cultiver des relations étroites
avec le monde professionnel né
cessite aussi une systématisa
tion des stages. De sa double
licence histoiresciences politi
ques à ParisIPanthéonSor
bonne, Romain est le seul à avoir
intégré un master de politiques
publiques à Sciences Po Paris,
tant la sélection est rude. L’une
des clés du succès réside selon
lui dans la capacité à anticiper.
« Mon master, j’y ai pensé dès
mon entrée en première année de
licence. J’avais regardé la procé
dure d’admission et je savais qu’il
fallait avoir fait un stage », ra
conte le jeune homme. Ingé
nieux, l’étudiant parviendra
même à en faire deux, à l’OCDE.
« Cela a totalement modifié mon
dossier de candidature en mas
ter », se félicitetil. Romain n’ex
prime qu’un regret : n’avoir ob
tenu ses stages « que grâce au
piston ».j
s. l. n.
DES DOUBLES LICENCES
SANS DOUBLES DÉBOUCHÉS
Ces cursus exigeants ne mènent que rarement
à des doubles masters, au regret de nombreux élèves
« JE NE ME
VOYAIS PAS
FAIRE UNE
SIMPLE LICENCE.
IL ME FALLAIT
QUELQUE CHOSE
EN PLUS »
ANTOINE
en double licence
droit-économie
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