Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1
FAMILLES

ENFANT DE PROF, UN ATOUT POUR LA RÉUSSITE


L’investissement des parents enseignants est déterminant dans le parcours universitaire


D


ans la famille Genissel, on
ne badine pas avec les étu­
des. Quentin, l’aîné, vient
de boucler un deuxième
master en gestion de l’in­
novation à Polytechnique, après avoir
décroché haut la main son diplôme de
l’Edhec, en 2017. Son frère, Thibault,
23 ans, entame sa quatrième année de
biologie à l’Ecole normale supérieure de
Lyon. Et ce n’est pas le fruit du hasard.
« Ma mère enseigne les sciences économi­
ques en BTS, tandis que mon père exerce
comme prof d’EPS en collège, explique
Quentin, 25 ans. Parce qu’ils ont toujours
cru en la réussite par l’école, ils nous ont
transmis, dès notre plus jeune âge, le res­
pect des profs, le goût de l’effort intellec­
tuel, le plaisir d’apprendre. »
Les chiffres parlent d’eux­mêmes.
D’après le ministère de l’enseignement
supérieur, les fils et filles de profs repré­
sentent, en 2018­2019, 14 % des élèves
normaliens et 8 % des étudiants inscrits
en classe préparatoire aux grandes
écoles, alors qu’ils ne constituent que
5 % des effectifs étudiants. Sur les trois
dernières promotions de l’ENA, un élève
sur quatre a au moins un parent ensei­
gnant. A Polytechnique, ils sont près de
10 % chaque année. « Non seulement les
enfants d’enseignants vont davantage
dans l’enseignement supérieur, mais en
plus ils échouent peu dans leur scolarité,
et obtiennent la plupart du temps les
diplômes qu’ils visent », souligne Géral­
dine Farges, maîtresse de conférences en
sciences de l’éducation à l’université
Bourgogne­Franche­Comté.
Quel rôle précis leurs parents jouent­ils
dans cette réussite? Etudiante en licence
à l’Institut d’administration des entrepri­
ses (IAE) de Lyon, où son père est direc­

teur et enseignant d’informatique, et sa
mère professeure de comptabilité,
Audrey Varinard, 19 ans, a la chance de
pouvoir solliciter leur expertise quand
elle en a besoin. « Toutes les semaines, je
passe en moyenne deux heures avec ma
mère à réviser la compta », raconte­t­elle.
Mais Audrey fait figure d’exception. La
plupart de ses homologues bénéficient
surtout d’un soutien psychologique.
« Mon frère et moi avons toujours été très
autonomes dans notre travail scolaire, et
ce dès le primaire, insiste Quentin Genis­
sel. En revanche, quand j’ai quitté la mai­
son, à 17 ans, pour aller en prépa à Lyon,
mes parents se sont montrés très présents
au téléphone. Comme ils voyaient que
c’était dur, ils m’encourageaient beaucoup
et me félicitaient. Lorsque j’ai eu un pas­
sage à vide, que je ne voulais plus du tout
faire de maths, ils m’ont soutenu. »

AUTONOMIE ET ORGANISATION
Mais c’est principalement en début de
scolarité que le rôle des parents ensei­
gnants est déterminant, en transmettant
une vision positive de l’école, mais aussi
en s’investissant dès le primaire. « Ils font
réciter les leçons à leurs jeunes enfants, ex­
pliquent à nouveau certains cours en utili­
sant des manuels si besoin, mais surtout ils
les aident à réfléchir, à préparer une éva­
luation ou à construire une dissertation »,
énumère Carole Daverne­Bailly, maîtresse
de conférences en sciences de l’éducation
à l’université de Rouen et auteure du livre
Les Bons Elèves (PUF, 2013).
« Ils font assez vite rentrer dans la tête de
leurs enfants que, même si un prof ne leur
plaît pas, il est possible d’apprendre par soi­
même, de se faire son éducation, complète
la journaliste Guillemette Faure, qui vient
de publier Pourquoi les enfants de profs

réussissent mieux (Les Arènes, 234 pages,
20 euros). Ils savent que l’apprentissage ne
se résume pas à ce que leurs enfants font en
classe. C’est pourquoi ils multiplient les
occasions de les instruire. »
La différence se joue également dans
l’apprentissage de la gestion du temps, le
respect des règles et la discipline. « Ils
veillent par exemple à ce que la lumière
soit éteinte à une heure fixée, et l’ordina­
teur utilisé avec parcimonie en semaine »,
illustre Carole Daverne­Bailly. Ils leur
apprennent à apprendre et à être auto­
nomes et organisés – des atouts fonda­
mentaux pour réussir dans l’enseigne­
ment supérieur, en particulier lorsqu’on
est loin du foyer familial.
Bien au­delà du rôle de répétiteur de le­
çons, « les enseignants ont tendance à
faire beaucoup d’efforts pour offrir les
meilleures conditions d’études à leurs
enfants », affirme la sociologue de l’édu­
cation Agnès Van Zanten, directrice de
recherches au CNRS. Côté orientation, ils
utilisent aussi leurs connaissances du
système éducatif pour aider leurs en­
fants à choisir les options adéquates.
Mais quel est le revers de la médaille de
cet accompagnement? Les enfants de
profs ressentent­ils « trop de pression »?
Les réponses sont variées. Audrey Vari­
nard, en licence à l’IAE de Lyon, n’a pas be­
soin de pression de la part de ses parents :
elle s’en met bien assez toute seule. « Je se­
rais très déçue si je ratais mes examens
dans les deux matières que mes parents
enseignent, témoigne­t­elle. Mon grand­
père, mes parents, mes frères... Une bonne
partie de ma famille est passée par l’IAE, et
tout le monde a réussi. Comme je suis la
dernière, j’ai envie de faire aussi bien. »
« Si je suis allée à Polytechnique, c’est
parce que j’en avais envie, pas parce que

ma mère m’a poussée à la roue », insiste
Marie, 22 ans, fille d’une prof de physi­
que en BTS. « J’ai beaucoup d’amis qui
sont fils de médecins et qui ont eu plus de
pression. Leurs parents ont l’impression
que leur enfant raterait sa vie s’il ne deve­
nait pas médecin lui­même, souligne de
son côté Faust Barth, étudiant à l’IEP de
Lyon, dont la mère est professeure des
universités et dirige une école de com­
merce. Et pourtant, elle ne nous a jamais
poussés à faire absolument une grande
école. C’est finalement plus mon père,
cadre sup, qui nous met la pression sur les
études, et qui nous dit des phrases du
type : “Dans la vie, il y a ceux qui réparent
les Mustang et ceux qui les achètent”. »

DIFFICULTÉS MATÉRIELLES
Le parcours scolaire des enfants de profs
peut aussi se heurter à des difficultés
matérielles, notamment lorsqu’il faut fi­
nancer un studio en ville ou une grande
école – mais ces étudiants sont aussi les
mieux informés pour bénéficier des dis­
positifs d’aides variés.

Mais, quand le succès n’est pas au ren­
dez­vous, « la cellule familiale peut se trou­
ver déstabilisée et l’identité de ces jeunes
questionnée », analyse Carole Daverne­
Bailly. C’est le cas de Célian Malosse, 21 ans.
« En général, les fils de prof réussissent
mieux que les autres. Moi, je suis une ex­
ception. J’entame ma quatrième première
année à l’université du Mirail, à Toulouse.
Par manque d’envie et de travail. Si je ne
vais pas jusqu’au master, cela voudra dire
que je ne serai pas dans la même catégorie
socioprofessionnelle que mes parents. »
Reste que si les fils et filles de profs n’en­
trent pas tous dans la course à l’excel­
lence, ils sont rarement en rejet total de
l’institution scolaire. « Certains enfants de
profs ont l’impression d’avoir tout envoyé
bouler parce qu’ils ont arrêté le latin en 1re
ou qu’ils ont fait des études en trois ans...
mais c’est tout relatif, s’amuse Guillemette
Faure. Même si l’école n’est pas trop leur
truc, ils savent en général s’assurer un filet.
Parce qu’ils ont compris que l’éducation
assure la liberté. »j
élodie chermann

LE MONDE CAMPUS JEUDI 14 NOVEMBRE 2019
génération| 19

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