Libération - 05.11.2019

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MUSIQUE MATIN AVEC JEAN-BAPTISTE URBAIN


LE 7/9 DE FRANCE MUSIQUE, DU LUNDI AU VENDREDI


Mercredi à 7h45 retrouvez la chronique Retour de spectacle de Guillaume Tion de


Des manifestants contre le gouvernement, à Bagdad dimanche. Photo Ahmad Al-Rubaye. AFP

Irak et au Liban concerne une remise en ques-
tion de l’influence de l’Iran. La République is-
lamique s’appuie dans les deux pays sur des
communautés chiites majoritaires protégées
par de puissants relais politico-militaires lo-
caux, tels le Hezbollah libanais ou les partis
et milices soutenus par Téhéran en Irak.


Pourquoi les contestataires
­ciblent-ils l’Iran?
Déjà, il y a un an, une enceinte diplomatique
de la République islamique avait concentré la
colère des manifestants. «Dehors l’Iran»,
avaient lancé des habitants de Bassora, dans
le sud du pays. «C’est un retour du nationa-
lisme irakien. Le système mis en place après
l’invasion de 2003, avec les Etats-Unis et l’Ara-
bie Saoudite d’un côté, et l’Iran de l’autre, est
contesté. Cette cohabitation s’est faite sur le dos
des Irakiens», analyse la chercheuse du CNRS
spécialiste du chiisme, Sabrina Mervin. L’Iran
s’est implanté dans toutes les strates de la so-
ciété. A commencer par la classe politique :
«Les dirigeants islamistes chiites étaient en exil
en Iran sous Saddam Hussein», rappelle Lau-
rence Louër, du Centre de recherches interna-
tionales (Ceri) de Sciences-Po. Le clergé chiite
irakien entretient une relation complexe avec


la théocratie iranienne. Le plus haut dignitaire
en Irak, l’ayatollah Ali Sistani, est une «auto-
rité concurrente du Guide suprême iranien, Ali
Khamenei», ajoute Laurence Louër : «Les chii-
tes irakiens ont un sentiment de fierté pour leur
clergé, ils vivent mal l’empiétement iranien.»
Sabrina Mervin note que «les étudiants en
sciences religieuses des villes saintes manifes-
tent, comme les étudiants des universités, reflé-
tant le mécontentement des milieux cléricaux
envers ce qui est vécu comme une pression de
la part de l’Iran». Au-delà de la sphère reli-
gieuse, ce qui a permis à l’Iran d’imposer son
influence, c’est son «rejet des Etats-Unis», en
profitant d’un vide et d’un sentiment anti-
américain, indique Clément Therme, de
Sciences-Po : «L’Iran se construit en opposition,
sans proposer de modèle positif. Aujourd’hui,
l’Irak est en phase de reconstruction, la popu-
lation a des exigences nouvelles en termes de
lutte contre la corruption, mais Téhéran n’in-
carne pas un modèle.» Et même l’inverse : les
entreprises iraniennes, dont une partie sont
liées aux puissants Gardiens de la révolution,
se sont insérées dans le tissu économique ira-
kien, faisant prospérer les accusations de cor-
ruption à leur endroit. Les échanges n’ont
cessé de croître entre les deux Etats, qui parta-

gent une frontière commune de 1 400 kilomè-
tres. Il s’élevait en 2018 à 12 milliards de dollars
(environ 10,7 milliards d’euros). Sur la même
période, l’Irak était le premier marché pour les
exportations non pétrolières iraniennes.

Pourquoi Téhéran
s’inquiète?
«Le peuple aussi a des exigences. Ces exigences
sont justes, mais elles ne peuvent être réalisées
que dans le cadre de la loi.» Mercredi, le Guide
suprême iranien, Ali Khameneï, plus haut
personnage du régime, s’est exprimé dans un
discours sur les crises libanaise et irakienne.
Une prise de parole qui traduit une certaine
inquiétude, et illustre la «contradiction de la
politique régionale» de Téhéran, selon Clé-
ment Therme : «En tant que régime révolu-
tionnaire, l’Iran se doit de soutenir les contes-
tations, tout en privilégiant en même temps la
stabilité pour sauvegarder les liens sécuritaires
tissés.» Pour le chercheur, la République isla-
mique est tout aussi coincée que lors des prin-
temps arabes, «l’Iran était favorable à toutes
les révoltes, sauf en Syrie. C’est une forme de
“realpolitik islamiste”». Alors que les sanc-
tions américaines asphyxient l’économie ira-
nienne, l’Irak représente un enjeu direct. La

République islamique a besoin de commercer
avec Bagdad, l’un de ses derniers partenaires
dans le secteur, crucial, de l’énergie. Washing-
ton a en effet accordé une dérogation pour que
Bagdad continue à se fournir en électricité au-
près de Téhéran.
Tout aussi préoccupante, aux yeux du régime
iranien, est la contestation du Hezbollah par
les manifestants libanais. «L’Iran a besoin d’un
Hezbollah fort sur la scène politique libanaise,
commente Laurence Louër, le Liban est une
carte maîtresse et une source de légitimité au
Moyen-Orient pour l’Iran en raison de la lutte
contre Israël. L’Iran veut rester le dernier chan-
tre du refus de la normalisation avec Israël, qui
lui permet de conserver une influence dans le
monde arabe.» Mais ce soutien coûte cher, sur-
tout depuis l’embargo strict des Etats-Unis, et
ne mobilise guère la population iranienne, qui
y voit une dilapidation de la richesse natio-
nale. Face à ces contestations, Téhéran a ré-
pondu discrètement en usant de son influence
pour sauver la tête du Premier ministre ira-
kien, Adel Abdel-Mehdi, en dépêchant à Bag-
dad Qassem Soleimani, le général des Gar-
diens de la révolution chargé des opérations
extérieures, et en hurlant au complot ourdi par
Israël, les Etats-Unis et les Etats du Golfe.•

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