Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1
0123
SAMEDI 9 NOVEMBRE 2019 économie & entreprise| 15

Paris signe avec GRDF un contrat d’un nouveau genre


La concession donne un rôle accru à la Mairie et fait du réseau de gaz un élément­clé de la transition écologique


L


a négociation a été très
longue, heurtée, com­
plexe, mais cette fois, la
Ville de Paris et GRDF, la
filiale d’Engie chargée de la distri­
bution du gaz en France, sont par­
venues à un accord. La capitale
s’apprête à accorder de nouveau
une concession de longue durée à
GRDF pour distribuer le gaz natu­
rel dans la ville, selon des modali­
tés profondément revues. Le con­
trat, l’un des plus importants ja­
mais conclus par GRDF, a déjà été
paraphé par les dirigeants du
groupe français le 25 octobre.
Anne Hidalgo, la maire de Paris, y
apposera sa signature dès que son
conseil municipal lui en aura
donné le feu vert, probablement le
15 novembre.
« C’est un accord d’un nouveau
genre, que d’autres villes attendent
pour s’en s’inspirer, estime Célia
Blauel, l’adjointe écologiste qui a
mené les discussions. L’expérience
de ce premier grand contrat de dis­
tribution d’énergie à être renouvelé

à Paris va aussi nous servir pour
ceux qui suivent. » La Ville doit
trouver un nouvel accord avant
2021 pour le réseau de froid, et
avant 2024 pour l’électricité et le
réseau de chaleur.
Le précédent contrat de gaz avait
été signé en 1993 pour une durée
de vingt­cinq ans avec Gaz de
France. L’entreprise, privatisée et
devenue Engie, se serait bien satis­
faite d’une reconduction de la
concession plus ou moins à l’iden­
tique. Mais Anne Hidalgo et son
équipe ne l’ont pas entendu ainsi.

Monopole
En pleine montée des préoccupa­
tions environnementales, la
maire socialiste a souhaité que la
renégociation soit l’occasion d’in­
tégrer cette concession dans sa
politique écologique. Et qu’elle
donne davantage de pouvoir à la
Mairie. « Puisque ces réseaux nous
appartiennent, nous voulons sa­
voir ce qui s’y passe, pouvoir regar­
der sous le capot, et pas seulement

laisser les mains libres au conces­
sionnaire », explique Célia Blauel.
Le pouvoir de négociation de la
Ville était cependant limité. La
distribution de gaz restant sou­
mise à un monopole, Paris ne
pouvait signer qu’avec GRDF.
Aucun moyen de s’appuyer sur
un concurrent pour faire monter
les enchères. C’est la raison pour
laquelle, lorsque la Ville a senti
« une inertie de GRDF, très peu dis­
posé à faire évoluer le modèle
contractuel habituel », la discus­
sion s’est un peu enlisée. Au
point que la concession initiale,
qui devait s’achever fin 2018, a dû
être prolongée deux fois. « Si
nous avons paru parfois hési­
tants, c’est que nous nous deman­
dions les conséquences des avan­
cées dont nous parlions, explique
Edouard Sauvage, le directeur gé­
néral de GRDF. Est­ce qu’elles
pourraient servir de modèle
ailleurs en France? »
Les tractations ont donc duré
plus que prévu, « mais cela valait

vraiment le coup », juge la mairie.
L’accord prévoit en effet de nom­
breux changements par rapport
au contrat précédent.
« La grande nouveauté, c’est que
la transition écologique est prise
en compte », juge Edouard Sau­
vage. Alors même que GRDF n’est
que distributeur d’un gaz que
l’entreprise ne produit pas, elle
s’est engagée, sur pression de la
Ville, à changer peu à peu d’ap­

provisionnement. L’objectif affi­
ché consiste à ce que le réseau pa­
risien soit entièrement alimenté
en 2050 avec du gaz d’origine re­
nouvelable, dont une partie pro­
duite localement.
La filiale d’Engie promet aussi
de réduire ses propres émissions
de gaz à effet de serre, de 30 %
en 2030 par rapport à 2004, et de
50 % en 2040. Cela passe par une
diminution des fuites de gaz, les
« pertes réseaux » dans le langage
volontairement moins anxio­
gène des gaziers. Mais aussi par
un effort de la société sur son parc
automobile : elle ne devra plus
compter un seul véhicule diesel
en 2024, et plus un seul roulant à
l’essence en 2030.
Le deuxième grand change­
ment porte sur les relations avec
la Ville. « La population a des at­
tentes de plus en plus fortes, per­
sonne ne veut plus faire une con­
fiance aveugle aux entreprises »,
reconnaît Edouard Sauvage. C’est
ainsi que la durée du nouveau

contrat est limitée à quinze ans,
avec une possible prolongation
de cinq ans. « Et tous les cinq ans,
une clause prévoit de regarder pré­
cisément où on en est, avec une
batterie d’indicateurs », précise
Célia Blauel. En outre, un comité
de pilotage associant les élus et
l’entreprise se réunira au moins
une fois tous les six mois.
En matière d’investissements,
enfin, GRDF a aussi accepté des ef­
forts par rapport aux plans ini­
tiaux. Le projet prévoit une enve­
loppe de près de 700 millions
d’euros sur quinze ans. Une
bonne partie sera consacrée à
renforcer la sécurité. L’accident
de la rue de Trévise, qui a tué qua­
tre personnes le 12 janvier, n’a pu
qu’accentuer la priorité en la ma­
tière. Les conduites d’immeubles
en plomb seront peu à peu rem­
placées, et les tronçons de tôle bi­
tuminée supprimés d’ici à 2024.
La résistance du réseau aux crues
sera aussi améliorée.
denis cosnard

Le projet prévoit
une enveloppe
de près de
700 millions
d’euros sur
quinze ans. Dont
une bonne partie
sera consacrée
à la sécurité

Avril restructure son


activité agrocarburant


Saipol, filiale biodiesel de l’ex­Sofiproteol,
est prête à céder deux de ses six usines

L


e moteur biodiesel du
groupe Avril a des ratés.
Cette entreprise, bras armé
de la filière colza en France et
puissante firme agro­industrielle
connue pour ses marques Le­
sieur, Puget ou Matines, a an­
noncé, jeudi 7 novembre, la res­
tructuration de sa filiale Saipol,
spécialisée dans les agrocarbu­
rants. Le couperet est tombé sur
deux sites, ceux de Sète (Hérault)
et de Montoir­de­Bretagne (Loire­
Atlantique), qui emploient au to­
tal 116 salariés et dont le groupe
souhaite se désengager. La pro­
duction se recentrerait sur les
quatre autres usines françaises.
La décision est tombée alors que
Saipol souffre depuis plusieurs
années de contre­performance
économique. Avril, ex­Sofipro­
teol, estime à 133 millions d’euros
la perte cumulée dans cette acti­
vité entre 2015 et 2018. « Depuis la
fin du soutien fiscal dont bénéfi­
ciait le biodiesel en 2015, Saipol est
confronté à la volatilité des mar­
chés mondiaux. Des marchés qui
se sont structurés autour des ma­
tières premières les moins chères,
comme l’huile de palme ou le
soja », explique Christophe Beau­
noir, directeur général de Saipol.

« Le marché s’est effondré »
Avril a donc pris de plein fouet la
concurrence des agrocarburants
à base d’huile de palme de Malai­
sie, mais aussi de soja quand
l’Union européenne a levé des
barrières tarifaires douanières
sur le biodiesel argentin à base de
cette plante. Le groupe a fait du
lobbying à Bruxelles, et une
plainte y avait été déposée pour
concurrence déloyale, ce afin de
tenter de contrer le flux argentin.
Des décisions européennes lui
ont permis de redresser la barre
un temps.
« La situation était plutôt favora­
ble au second semestre 2018. Mais,
au premier semestre 2019, nous
avons subi une grève de nos
salariés de trente­six jours [qui de­
mandaient une revalorisation sa­
lariale]. Puis, en septembre, le
marché s’est effondré. Si la récolte
européenne de colza a été compli­
quée et que la perspective d’une ra­
réfaction a soutenu les cours, les
portes de la Chine se sont fermées
au canola canadien [colza] qui
s’est déversée sur l’Europe », ra­
conte M. Beaunoir.

Une nouvelle série de turbulen­
ces qui devraient maintenir les
comptes de Saipol dans le rouge,
en 2019. Et qui a conduit à la déci­
sion de restructuration. Pour ten­
ter d’améliorer son équation éco­
nomique, Avril produisait aussi
des agrocarburants avec du ca­
nola ou du soja, ou bien encore in­
corporait de l’huile de palme dans
son biodiesel. En particulier dans
les deux sites dont le groupe sou­
haite se défaire pour se recentrer
sur ses sites de Bassens (Gironde),
Grand­Couronne (Seine­Mari­
time), Lezoux (Puy­de­Dôme) et
Le Mériot (Aube).
« Nous allons passer d’une capa­
cité de 1,5 million de tonnes à
1 million de tonnes de biocarbu­
rant », affirme M. Beaunoir. L’ob­
jectif est de miser sur des agrocar­
burants plus valorisés, comme
l’Oleo 100, une alternative au
gazole pour les professionnels du
transport, issu à 100 % de colza
français. Une offre lancée il y a un
an. Il compte aussi sur l’exporta­
tion vers l’Allemagne et les pays
nordiques des agrocarburants à
base de colza grâce à leur bonne
tenue au froid.
Saipol, qui regroupe également
les activités d’huiles alimentaires,
pèse lourd dans Avril. La filiale
représente près de la moitié de
son chiffre d’affaires estimé à
6,09 milliards d’euros en 2018.
Les contre­performances des
agrocarburants ont fait plonger
les résultats d’Avril dans le rouge
en 2016 et 2017. Le groupe a accusé
des pertes respectives de 51 et de
56 millions d’euros, avant de re­
nouer, en 2018, avec un léger bé­
néfice de 18 millions d’euros.
Dans ce contexte délicat, Jean­
Philippe Puig, directeur général
d’Avril, a présenté, en juin 2019,
un nouveau plan stratégique à
horizon 2023. Son objectif : dou­
bler, d’ici à cette date, son excé­
dent brut d’exploitation pour
qu’il atteigne 300 millions
d’euros. Avec un retour à l’équili­
bre de Saipol en 2020. Avril espère
aussi accélérer la mise sur le mar­
ché d’ingrédients alimentaires
tels que la protéine végétale à
base de colza. En juillet, le groupe
a annoncé un partenariat avec le
néerlandais DSM pour élaborer
conjointement ce produit dont
l’industrialisation n’est pas atten­
due avant 2022.
laurence girard
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