Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1

20 |culture SAMEDI 9 NOVEMBRE 2019


0123


Le Théâtre de Caen, haut­lieu


de la zarzuela baroque


Vincent Dumestre et Omar Porras redonnent magistralement vie à la


« Coronis » de Sebastian Duron, une belle endormie depuis le XVIIIe siècle


SPECTACLE
caen ­ envoyée spéciale

D


écouverte excitante et
pour tout dire émi­
nemment ensorce­
lante que ce Coronis de
Sebastian Duron, zarzuela baro­
que présentée au Théâtre de Caen
du 6 au 9 novembre, en coproduc­
tion avec les équipes de Rouen, Li­
moges, Amiens, Lille et l’Opéra­
Comique à Paris. Une création
française doublée d’une première
scénique, puisque cette pastorale
mythologique créée au tout début
du XVIIIe siècle devant le jeune roi
d’Espagne, Philippe V, n’avait à ce
jour pas été remontée in scena.
Des chanteurs comme Placido
Domingo et Teresa Berganza ont
chanté la zarzuela du XIXe siècle,
dont l’esprit s’apparente à celui de
l’opérette, mais les riches heures
baroques de ce genre lyrique, né
dans l’Espagne du Siècle d’or, qui
essaima jusqu’aux Amériques
hispaniques, restent méconnues.
Et pourtant, que de charme et
d’invention dans la musique du
maître de chapelle madrilène qui,
pour avoir assimilé avec brio les
leçons de l’opéra italien, ajoute
aux moelleuses sonorités de l’ins­
trumentarium baroque le folklore
épicé des guitares et castagnettes.
L’argument de l’œuvre est aussi
mince que savoureux, qui voit la

belle Coronis, prêtresse de Diane,
chassée tour à tour par Apollon et
Neptune, par l’entremise du
monstrueux Triton, également
amoureux de la nymphe. Autour
de Protée le sage, seul rôle tenu
par un homme, une troupe fémi­
nine. La scène est à l’époque l’apa­
nage des actrices et chanteuses,
ces messieurs de la chapelle refu­
sant de se commettre sur des
planches jugées trop licencieuses.
Entre tragique et burlesque, alter­
nent chœurs à l’antique et dou­
loureux lamentos, chansons po­
pulaires typiques du théâtre espa­
gnol (tonadas) et grands airs de
fureur à vocalises annonciateurs
de l’opera seria, les dieux de
l’Olympe se mêlant aux petites
gens – chasseurs, bergers et
autres paysans bouffons : les gra­
ciosos, Ménandre et Sirène.

Vastes cosmogonies
Mais la réussite absolue du specta­
cle tire sa substantifique moelle
d’une rencontre magnifique, celle
du chef d’orchestre Vincent Du­
mestre et du metteur en scène
Omar Porras. Art délicat de la poly­
sémie pour ce Colombien qui des­
sine, avec un théâtre de tréteaux,
quelques accessoires et une paire
de rideaux, de vastes cosmogo­
nies nées de l’Espagne des con­
quistadors. Un travail que syncré­
tise le vestiaire inventif de Bruno

Fatalot, projetant sur les corps ly­
riques, acrobates ou danseurs,
l’Espagne de Velasquez et le Nou­
veau Monde de Christophe Co­
lomb. Sur les murs de la caverne
de Platon, le prisme « porrassien »
projette ce qui reste caché, dénon­
çant ces dieux de pacotille qui sor­
tent, l’un d’une malle de vieux
costumes, l’autre d’un retable de
papier. En vain. Le peuple versa­
tile, adorateur de chimères et dé­
daigneux de concorde, choisira la
catastrophe, avant que Jupiter, par
sa messagère Iris, n’impose une
paix chèrement acquise.
On a rarement vu aussi belle
adéquation entre scène et fosse.
Une direction d’acteurs utilisant
avec une telle subtilité circassiens
et danseurs au seul profit de l’ex­
pression musicale, une direction
tour à tour emportée et poi­
gnante, vive et raffinée, en par­
faite osmose avec le geste théâtral,

Vincent Dumestre et son Poème
Harmonique s’enivrant de guita­
res baroques et de castagnettes.
Sur le plateau, une troupe à
l’unisson. La flamboyante Ana
Quintans offre à Coronis une in­
carnation saisissante : on com­
prend que, pour elle, le Triton
d’Isabelle Druet verse de bien bel­
les larmes d’amour. Dans la caté­
gorie couple de manants au bord
de la crise de nerfs, les épatantes
Anthéa Pichanick et Victoire
Bunel trouveront un écho olym­
pien dans la bataille rangée qui
oppose, à coups de vocalises riva­
les, les immatures Apollon et
Neptune, alias les mezzos Marie­
lou Jacquard et Caroline Meng.
Seul homme parmi ces dames,
travesties ou non, le beau ténor
d’Emiliano Gonzalez Toro donne
à Protée des allures d’aède. Ce pe­
tit miracle de musique, de théâtre
et de poésie sera enregistré
en 2020 au cours de la tournée
qui s’ensuit par la maison de dis­
ques Alpha, appelant, on l’espère,
une version en DVD.
marie­aude roux

Coronis, de Sebastian Duron.
Omar Porras (mise en scène),
Le Poème Harmonique, Vincent
Dumestre (direction). Théâtre
de Caen. Le 9 novembre. Tournée
du 31 janvier au 25 mars 2020,
à Rouen, Limoges, Amiens et Lille.

Une direction
tour à tour
emportée
et poignante,
en parfaite
osmose avec
le geste théâtral

José Toirac récompensé à


Cuba, mais exposé à Paris


L’artiste de La Havane ne peut pas montrer
son travail, critique mais pas dissident, chez lui

ART


I


l n’y a pas de censure à Cuba.
Simplement, certaines œu­
vres ne peuvent être expo­
sées, parce que « ce n’est pas le
moment ». « No es el momento »,
telle est la réponse donnée par les
autorités du pays au peintre José
Toirac, pourtant lauréat du prix
du meilleur artiste plasticien 2018
décerné par le ministère cubain de
la culture. Alors, à défaut de pou­
voir les montrer à La Havane, il les
expose à Paris, dans le Marais, à la
Fondation Gilbert Brownstone.
Toirac est né en 1966, à Guanta­
namo (la ville, pas la base mili­
taire). Il a été formé aux beaux­
arts par des professeurs éduqués
en Union soviétique, selon les
principes académiques rigou­
reux du réalisme socialiste. Mais
la découverte, dans une revue, du
travail de l’artiste allemand Hans
Haacke, qui arrive à faire une
œuvre politique mais contempo­
raine, a été pour lui déterminante.
En témoigne une vidéo qui n’affi­
che que des chiffres. Ils ont été
prononcés par Fidel Castro dans
un de ses fameux discours­fleu­
ves. « Personne ne sait s’ils sont
réels, dit l’artiste. Personne n’a les
outils pour en vérifier la véracité.
C’est là que la politique devient un
acte de foi : on y croit, ou pas. Plus
généralement, c’est aussi une
image de l’homme : nous sommes
définis par des chiffres. Le numéro
de notre passeport, celui de notre
carte de sécurité sociale. Sans eux,
nous n’existons plus : j’ai un nu­
méro, donc je suis! »

Castro, le Christ et le Che
Deux tableaux sont superposés :
l’un reprend une célèbre photo­
graphie du Che mort, les yeux
grands ouverts ; l’autre montre
Castro dans la même posture,
mais les yeux mi­clos, qui écrit
dans un carnet. « L’un et l’autre ont
fait l’histoire. Mais Fidel l’écrit. Il a
préféré vivre pour la gloire que
mourir pour elle. C’est la différence
entre Ulysse et Achille... »

A proximité, une série d’une
trentaine de documents : Toirac
travaille systématiquement à par­
tir d’images déjà publiées à Cuba,
qui ont donc passé une première
fois la « censure qui n’existe pas ».
Elles montrent comment Castro
est devenu comme un dieu pour
son peuple : des colombes se po­
sent sur lui comme le Saint­Esprit
sur le Christ. Sur l’autre, il est seul
comme Jésus dans le désert. Dans
une troisième, il pose la main sur
l’épaule d’une aveugle : on attend
le miracle qui lui fera recouvrer la
vue. Quand il entre victorieux à
La Havane lors de la révolution,
c’est l’entrée du Christ à Jérusa­
lem. C’est du moins ainsi que
l’identifient les légendes, en bas
de chaque image. Ce qui est non
sans ironie ni sans cruauté.
Mais pas sans tendresse non
plus, et c’est tout le paradoxe : « Fi­
del, pour moi, c’est comme la
Joconde. Je ne les ai jamais vus en
vrai, ni l’un ni l’autre. Mais j’ai été
élevé avec eux. » Et pour qui vou­
drait faire de lui un dissident,
Toirac précise : « Même s’il est criti­
que, je ne voudrais pas que mon
travail puisse être utilisé contre
mon pays. Cuba, pour moi, c’est un
paradis. Même si je ne peux pas
toujours y montrer mes œuvres,
parce que “ce n’est pas le moment”,
j’ai du temps pour travailler, et je
suis payé pour ça. Et surtout, c’est
une société de partage, pas de com­
pétition. Nous avons un bon sys­
tème éducatif, un bon système mé­
dical, et c’est la révolution qui a
rendu ces choses possibles. Mais il
ne faut pas oublier que celui qui l’a
immortalisée par ses photogra­
phies, Alberto Korda, était à l’ori­
gine un photographe de mode :
Castro avait été catholique, il savait
le rôle des belles images. C’est la dif­
férence entre Korda et moi : la pro­
pagande vous offre des réponses.
L’art vous pose des questions. »
harry bellet

José Toirac, Fondation Gilbert
Brownstone, 26, rue Saint­Gilles,
Paris 3e. Jusqu’au 16 novembre.

M U S I Q U E S
Placido Domingo, accusé
de harcèlement sexuel,
renonce à chanter pour
les JO de Tokyo
Le ténor espagnol Placido
Domingo, accusé de harcèle­
ment sexuel par une ving­
taine de femmes, a renoncé à
une prestation scénique pré­
vue en avril 2020 au Japon en
amont des Jeux olympiques
de Tokyo, ont annoncé, ven­
dredi 8 novembre, les organi­
sateurs. « Après mûre réflexion,
j’ai pris la décision de ne pas
participer au Kabuki­Opéra en
raison de la complexité du pro­
jet », a déclaré le chanteur, cité
dans un communiqué du Co­
mité d’organisation des Jeux
olympiques et paralympiques
de Tokyo. – (AFP.)

Un titre inédit de
George Michael dévoilé
trois ans après sa mort
A l’occasion de la sortie en
salle de Last Christmas à par­
tir du 27 novembre, une chan­
son de George Michael, figu­
rant dans la bande originale
du long­métrage de Paul Feig,
a été dévoilée. Intitulé This Is
How (We Want You to Get
High), ce titre, qui sort trois
ans après la mort, le 25 dé­
cembre 2016, à 53 ans, du
chanteur britannique, a été
écrit et produit avec le con­
cours de James Jackman, col­
laborateur de George Michael.
Enregistré aux Air Studios à
Londres, il a été mixé en 2015.


  • (Rollingstones.com.)


Une partition originale
de Mozart aux enchères
Une partition originale écrite
par Wolfgang Amadeus Mo­
zart à 16 ans et ayant fait par­
tie de la collection de Stefan
Zweig va être mise aux enchè­
res par Sotheby’s à Paris, le
18 novembre. Le manuscrit,
deux menuets complets pour
orchestre composés, en 1772,
à Salzbourg avec la mention
« Finis » de la main de Mozart,
est estimé entre 150 000
et 200 000 euros. – (AFP.)

Merce


Cunningham


Du 14au 20
novembre 2019
auThéâtre du Châtelet

Avec le soutien de laFondation d’entreprise Hermès
dansle cadre de son programme New Settings.

Danse BALLET


DEL’OPÉRADELYON
Directeur,Yorgos Loukos
Summerspace (1958)
Exchange (1978)
Scenario (1997)

chat elet.com
theatredelaville-paris.com
fest ival-automne.com

JEPRENDSMAPLACE
Crédit pho

to : Michel-Cavalca –

Adagp, Paris 2019

Hans


Hartung


La fabrique du geste
11 octobre 2019 – 1ermars 2020

Hans Hartung,

T1973-E

,1973 ©

Fondation Gandur pour l’Art, Genève

© AD

AGP, Paris, 2019 – Photo : Sandra Pointet
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