Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1
En haut, malgré
des équipes
transnationales,
les supporteurs
(ici, àParis, en 2017)
n’oublient pas
de défendre
les joueursde
leurspays.
Ci-contre,
le CroateLuka
Perkovic, dit«PerkZ»,
star de l’équipe
G2 Esports.

mort,etc’est l’ Europe quil’a fait tom-
ber»,s’ex clamai tunFrançais. DesItaliens,
desBritanniques,des Norvégiens,tous
étaient derrièrelaf ormation ,qui elle-même
en jouait.«Europe, ceci estvotre équipe, et
ceci estvotre maillot»,clamai tenavant-match
la dernière destrois structures privéesissues
du Vieux Continent(accessoirement dans
un Tweetsuggérantd’acheter leditmaillot).
«Dansl’e-sport,etparticulièrementdans
League of Legends,beaucoupde nationalités
sont mélangées dans la pl upartdes équipes,
témoigne CharlyGuillard,dit “Djoko”,qui a
lui-mêmedescoéquipiers grec et fin landais
au sein de l’ équipechampionnedeFrance,
LDLC.C’estcequi fa it la puissance de
l’Europe.Onneretrouvepas ça dans les
autres régions.»De quoi fairerêver Ursula
vonder Leye n, la no uvelle présidentede
la Commission européenne.
Le circuit deLeague of Legends,jeuvidéo
de conquêteterritorialepar équipes de cinq
quiest au cœur de l’ écosystème e-sport
et àl’originedeson boom,s’est en effet
organisé autour de cinq grandesfédérations :
la Chine, la Corée du Sud, Taïwan ,l’Amérique
du Nord(États -UnisetCanada)et, la pl us
hétérogène,l’Europe.
Alorsqu’en Asie,oùl ’e-sport estprofondé-
mentancré depuisdeux décennies, réunir
uneéquipenation aleavecdes joue urslocaux
compétitif snepose aucunsouci, il en va
autrementcheznous.Résultat:Fnatic,
autre équipeeuropéenne, finaliste l’an passé,
compteaujourd’huidansses rangs un Belge,


un Britannique, un Bulgare, un Danois, un
Slovène et deuxSuédois,tandisque Splyce,
élimin ée commeelleenquartsdefinale,
réunit un Danois, un Hongrois,unNorvégien,
deuxRoumainsetunTchèq ue.«Parfois il n’y
apas assezdetalents dans un pays»,explique
avecfatalisme Charles Lapassat,dit «Noi»,
commentateurdes mondiaux surO’Gaming,
sondiffuseurfrancophoneofficiel.
Alors, lesfansdeLeague of Legendsont
appris àencou rager l’ Europe. D’abordparce
queleVieux Continentapresq ue toujours
étélePetitPoucetdu tournoi.«Pendant long-
temps, s’il yavait de la rivalité,c’était entre
l’Europe et l’Amérique duNord.Onsebattait
moinspourgagner quepouréviter la dernière
place,rappel le Rémy Chanson ,fondateur
de l’ équipeArmaTeam et auteurduGuidede
l’e- sport.On ne retrouvepas ce sentiment
ailleurs, àpartpeut-être surlascèneCall
of Duty,parceque leséquipes européennes
sont habi tuées àsefaire massacrerpar les
équipes américaines.»
Fnatic, en 2011,abiengagné latoutepre-
mièreédition desMondiaux,maisles puis-
santes écuri es asiatiquesn’y participaient
pasencor e. Depuis ,c’est la disetteabsolue.
Alors, chaquefois qu’une équipeeuropéenne
se hisseendemies, toutes lesautre sse
rangent derrièreelle, àlamanière des
nations de l’hémisphèreNordenrugby.
«C’est la maison,onvatoutfaire pour leur
envoyerdes ondespositives ,etsiçales fait
gagner,tantmieux!»,se ré jouitDjoko,
quisoutiendra G2 Esportsdimanche.
Cette«Europemania»est
d’au tant plus prononcée que,
depuisl’accession surpriseen
finaledeFnatic, l’an passé, les
joue urseuropéens semble nt
avoirremiséleurs comple xes.
G2 Esports, quiasurvolé
la saison régulière en rem-
portanttoutesles compé-
titi onsintermédiaires, partira
même favorite face aux
Chinois deFunPlusPhœnix,
unepremière.
«Oùque Fnatic et G2 aillent,
ellesserontmassivement
soutenuespar lessuppor-
teurseuropéens»,résume

Noi. Et,bienque rivale s, elless’encou ragent
lesunesles autres, àl’imagedumessage
appuyé posté dimanchedernierpar Fnatic:
«[Chaque drapeau] ason héritage,son
contexte,son peuple. De la Norvègeàl’Italie,
de l’ Irlande àlaGrèce, regarderchacun
apporteune émotion unique.Maisqu’est-ce
quiréunit cetteriche histoire?L’ Europe.
Gagnez pour noustous,G2Esports.»
Cela ressemblerait presque àunmessage
politique, al orsque l’ Unioneuropéennen’en
atoujourspas fini avecleBrexi t.
Il ne fautpourtantpas s’ytromper.SiDjoko
yvoitune manière de promouvoir«unmonde
meilleu r»,cetteEuropemania festiveprend
bien soindenepas se confondre avecune
europhiliepluspolitique.«Cen’est pas parce
quedes gens ontune vraieidentitéeuro-
péenne auxMondiaux deLeague of Legends
qu’ils voteront pro-européenaux élections»,
prévient Rémy Chanson.
«L’e-sport et la politique,cesontdeuxchoses
différentes,se justifieDjoko.Quandtues
un joueur professionnelouune star,tunepeux
pas affichertes opinions politiquesdepeur de
te fair eattaquer. C’estpourcelaqu’onessaie
de resterleplus neutre possible.»Malgrétout,
queRober tSchuman se rassure, il existerait
chez lesfans, préciseRémyChanson,«etc’est
unespécificité, un attach ementàl’Europe».
Parailleurs, cetteeurophiliee-sportiven’em-
pêchepas desancrageslocauxsubtils.G2,
quiaété fo ndépar un joue ur espagnol parti-
culièrementchari smatique,Carlos«ocelote»
Rodríguez,jouait ainsi enterrainconquis lors
desdemi-finales, quises ont déroulées à
Madrid.Et, bien quebasée àLondres,Fnatic
adeson côté la réputation d’êtrel’équipe
chouchoudu publ ic tricolo re,parce que
deux desmeilleurs joue ursfrançaisont porté
sonmaillot,sOAZetYellOwStaR.
Lessirènesd’untournoi parnationse font
égalementrégulièremententendre.«Dans
le casdeLeague of Legends,on n’aurait
aucun intérêtàcasserladynamique en place.
Mais pourquoi pas auxJeux olympiques, avec
uneéquipedeFrance[l’e-sport n’estpas
encorereconnudisciplin eolympique]?
C’estenvisageable et lesgensseraienttrès
contents,c’est unformatqui marche»,relève
Noi, tout en citant le casd’Overwatch,jeu
de ti rqui aété structuréautourd’équipes
nation ales,non sans un certainsuccès.
D’autreséquipes tentent deconser verdans
leurseffectifs desjoueurs nation aux,comme
la team Vitality en France,moinspourdes
raisonssentimentales questrat égiques.
«Jouersur le patriotisme,c’est toujours un
ressort efficaceentermesd’audie nce pour
se créerunecommunauté,décrypte Noi.Mais
on ne gagnepas forcémentencompétitivité.»
Vitality ad’ailleurs échoué àsequalifier pour
lesMondiaux.Alors, dimanche10novembre,
le publ ic del’AccorHotels Arenaencou ra-
gerason équipe–celle qu icourt de
l’Atlant ique àl’Oural.

lasemaine

Stéphane Caillet/Panoramic
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