Le Monde - 09.11.2019

(Greg DeLong) #1

Uncomb ipourpartir


entournée.
Thomas Riggerpatiente les jambes
croisées, sur un canapédeskairouge, devant un
portrait de Honeckerenmajestéetquatr ehor-
loges seventies indiquantl’heureàPékin,
Moscou,Berlin etLa Havane. Il aurait presque
l’air d’unretrait érenfrogné,avec sonpolo ajusté
et se slunettesrectangulaires.Mais lorsqu’il lève
sa solide carcasse, un imposanttrousseau declés
tintinnabule dans sa main droite.L’homme est le
concierge deL’Ostel, une auberge de jeunesse du
cent re de Berlin au style garantiex-RDA,fondée
parson fils.
Avantcetterecon version, ce grand-père de
74 ansavait labelle vie, lui-même lereconnaît.
Voyages, rencontres,festins...L’argentdebienve-
nue n’émoustilla guèrecelui quiavait déjà eu
l’occasion de dépenser des francs, desroubles,
des yuansavant1989... Thomas Riggern’était ni
diplomate ni ingénieur nucléaire. Thomas Rigger
était clown. Un clownacrob ate, spécialistedu
rouleau, au sein du duovedetteWalter etTommy,
qui faisait la grandeur du cirque de la RDAhors
de ses frontières.
Le conciergetaciturne descend dans lepetit
jardin aubord de la Spree, ouvreunalbum de
photos.Lesclichés de cabrioles et de travestisse-
ments, légendés aufeutredoré, racont entdeux
décennies deperformances. Son visage s’anime
enfin, ses traits se plissent, il esquisse des mimes.
«Ici avec le cirqueJean-Richard, là sous les
palmiersdeLaHavane...Les enfants nous
suivaient, mafemme était l’infirmièredelat roupe,
on jouait, on visitait.»Sécuritésociale, agencede
placement... les artistes de sa trempe, bien que
soumis au strictcont rôle durégime, étaient
chouchoutés.
Petit àpetit, leclownobserveladéliquescence
du régime au traversdes visages d’enfants dans
le public. Ilpassesamain devant son visage,
mime les joues creusées et l’œil tristedeces bam-
bins desfaubourgs industrieuxrongés parlap ol-
lution.«Ils n’arrivaientmême plusàrire»,se
souvient, l’air grave, l’ancienclownTommy.

Le 9novembre1989, Walter et Tommyjouent à
Halle. Chapeaux rouges,chaussures géanteset
visagespoudrés.«Cejour-là, leMonsieurLoyal,
d’ordinairesiaustère,aenjointles spectateurs
d’allumer latélévision et laradio àpeine rentrés
chez eux.»Lesartistes se sontdébarbouillés, ils
ontenfilé leurshabits de ville, etfoncéàBerlin
pour participeràlaf ête.
«Moi,jen’étais pas pressé d’obtenircetargentde
bienvenue. J’avais déjàramené des objets de mes
voyages, des jeans et d’autreschoses.Mais ma voi-
ture–une vieilleWartburg–méritait d’êtrerem-
placée, alorsj’aiéconomisé pourm’ache terun
combiPassa tà2500 deutschemarks.»De quoi
reprendrelaroutepour poursuivre,àson
compte, satournéeperpétuelle.Jusqu’à ses
adieuxàlas cène, en 1997,etcedernierrôle à
cont re-emploi, de gardien pince-sans-rirede
l’«Ostalgie».

Thomas Rigger, autrefois
clown et acrobate
(en haut, le duoWalter
et To mmysur scène
àlafin des années 1970),
dans l’hôtel ostalgique
ouvertpar son fils à
Berlin. Ilaéconomisé
les 100 deutschemarks
reçus afin de remplacer
sa vieillevoiture et s’offrir
un combiPassat.

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To mmaso Bonaventura. Archiv

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