Le Monde - 26.11.2019

(Tuis.) #1
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MARDI 26 NOVEMBRE 2019 économie & entreprise| 17

Recul historique des centrales à charbon


La génération d’électricité à partir de ce minerai baisse en Europe, mais croît en Chine


londres ­ correspondance,

R


are bonne nouvelle
dans la lutte contre le
réchauffement climati­
que : en 2019, l’électri­
cité générée à partir du charbon
devrait baisser de 3 %, soit la plus
forte de l’histoire, selon une
étude publiée lundi 25 novembre
par Carbon Brief, une organisa­
tion d’analyse de données dans le
secteur de l’énergie. Pour Lauri
Myllyvirta, l’auteur de l’étude, du
Centre for Research on Energy
and Clean Air, il s’agit d’un vrai
tournant : « L’ère de la croissance
rapide des centrales à charbon est
terminée. La question maintenant
est de savoir si on arrive à faire
baisser leur utilisation, ou si on
stagne autour de ce niveau. »
Son étude se base sur les don­
nées officielles de production
d’électricité à travers le monde
pour les sept à dix premiers mois
de l’année, selon les statistiques
disponibles par pays, et les extra­
pole sur l’ensemble de 2019. L’en­
jeu est majeur pour la lutte contre
le réchauffement climatique.
En 2018, les centrales à charbon
étaient responsables de la moitié
de la hausse des émissions mon­
diales de CO 2. Le recul de leur pro­
duction pour 2019 permet d’espé­
rer que les émissions de gaz à effet
de serre stagneront cette année.
Les centrales à charbon sont
parmi les plus polluantes mais
aussi les moins chères. Ces trente
dernières années, leur produc­
tion d’électricité a été multipliée
par deux et demi pour atteindre
un pic, en 2018, de 10 000 te­
rawatts/heure. Le recul de 2019
n’est d’ailleurs qu’une inflexion,
permettant tout juste de revenir
au niveau de 2017. Cette baisse re­
flète avant tout le ralentissement
économique mondial.
En Chine, pays qui représente à
lui seul la moitié des capacités,

fonctionnant au charbon, instal­
lées dans le monde, la consom­
mation d’électricité a progressé
beaucoup moins vite cette année
que les années précédentes, de
même qu’en Inde.
En Occident, le charbon semble
en revanche être entré dans une
phase de déclin durable. Depuis
le début de l’année, l’électricité
produite à partir de ce combusti­
ble a reculé de 19 % en Europe et
de 14 % aux Etats­Unis. Le char­
bon est en fait de moins en
moins rentable, comparé au gaz
ou aux énergies renouvelables.
« Dans l’Union européenne, le
prix des émissions de CO 2 a atteint
pour la première fois un niveau si­
gnificatif (autour de 20 euros la
tonne), rendant les énergies renou­
velables plus rentables », explique
M. Myllyvirta. Aux Etats­Unis, des
normes plus strictes sur les émis­
sions de gaz polluants et de parti­
cules fines, et la baisse du prix des
énergies renouvelables, poussent
aux mêmes conclusions : les in­
vestisseurs se dirigent désormais
soit vers le gaz, soit vers le solaire
et l’éolien.

« Talon d’Achille »
Le déclin actuel n’est cependant
pas suffisant pour limiter la
hausse des températures à 2 de­
grés en 2050. Le charbon repré­
sente encore 30 % des émissions
de CO 2 du secteur énergétique, et
il faudra baisser son utilisation
de 6 % par an pour respecter l’en­
gagement de l’accord de Paris, se­
lon l’Agence internationale de
l’énergie (AIE).
La Chine est le cœur du pro­
blème. Pékin est certes le pays qui
investit le plus dans les énergies
renouvelables et le nucléaire, qui
n’émettent pas de CO 2 , mais c’est
aussi le pays qui compte le plus
de projets de construction de
nouvelles centrales à charbon. Le
pays devrait se doter de nouvelles

installations équivalant à celle de
l’Union européenne (environ 150
gigawatts de capacité installée),
selon une étude de l’ONG améri­
caine Global Energy Monitor ren­
due publique le 22 novembre.
Entre janvier 2018 et juin 2019,
la Chine a mis sur le réseau 43 gi­
gawatts supplémentaires d’élec­
tricité à base de charbon – ce qui
suffit à annuler les efforts de
baisse des émissions de gaz à effet
de serre réalisés par ailleurs dans
le monde. Plus inquiétant, souli­
gnent les auteurs du rapport, Pé­
kin serait sur le point de relever
son plafond de capacité de pro­
duction à partir du charbon, fixé

à un maximum de 1 100 gigawatts
en 2016 par le treizième plan
quinquennal. Les groupes char­
bonniers proposent au pouvoir
d’augmenter ce plafond de 20 % à
40 % d’ici à 2035.
Les experts de Global Energy
Monitor s’inquiètent du calcul
de court terme que pourraient
faire les dirigeants chinois : limi­
ter le soutien aux énergies re­
nouvelables en période de ralen­
tissement économique et faire
passer les préoccupations clima­
tiques au second plan. Selon une
étude récente de Bloomberg
New Energy Finance, les finance­
ments dans les énergies renou­
velables en 2018 sont passés de
122 milliards de dollars en 2017 à
88 milliards (80 milliards
d’euros) en 2018.
« Une augmentation de la capa­
cité charbon de la Chine n’est pas
compatible avec l’accord de Paris
sur le climat », rappellent les spé­
cialistes du Global Energy Moni­
tor, qui soulignent qu’à l’inverse

« la Chine devra avoir arrêté la
majorité de ses centrales d’ici à
2035 pour atteindre les objectifs
fixés par le Groupe d’expert inter­
gouvernemental sur l’évolution du
climat ». Ce qui impliquerait que
Pékin arrête des installations jeu­
nes de manière anticipée – en
moyenne, elles n’auront fonc­
tionné qu’une vingtaine d’an­
nées, contre soixante années pré­
vues initialement.
« C’est le talon d’Achille de la ba­
taille pour le climat », souligne Fa­
tih Birol, le directeur exécutif de
l’AIE.. Il rappelle qu’« en Asie on
trouve plus de 1 400 gigawatts de
centrales qui ont onze ans de
moyenne d’âge. »
D’autant plus que la Chine
poursuit également le développe­
ment du charbon en Asie du Sud­
Est, en Afrique et même en Eu­
rope (Balkans). A ce rythme, le re­
cul du charbon en Occident ne
suffira pas.
éric albert
et nabil wakim

L’enjeu est
majeur pour
la lutte contre
le réchauffement
climatique

TRANSPORTS
RATP et Getlink s’allient
dans les TER
La RATP et Getlink, exploi­
tant du tunnel sous la Man­
che, ont annoncé, vendredi
22 novembre, la création
d’une coentreprise pour ré­
pondre aux appels d’offres
lancés par les régions dans le
cadre de l’ouverture à la con­
currence des trains express
régionaux (TER). Ce partena­
riat n’est pas exclusif. Déte­
nue à 55 % par la Régie et à
45 % par l’ex­Eurotunnel, elle
se concentrera en priorité sur
les Hauts­de­France et le
Grand Est. – (AFP.)

TÉLÉCOMS
Altice rachète
l’opérateur
d’infrastructures Covage
Le groupe de télécoms et mé­
dias Altice, maison mère de
SFR, a annoncé, lundi 25 no­
vembre, être entré en négo­
ciation exclusive avec le
fonds Cube Infrastructure
pour acquérir 100 % de l’ex­
ploitant de réseaux de fibre
optique Covage. Le montant
de la transaction, qui devrait
être finalisée au premier se­
mestre 2020, s’élève à 1 mil­
liard d’euros.

L’économie mixte est un art tout
en délicatesse et en chausse­tra­
pes. L’Etat fixe les règles du jeu et
surveille leur application, les en­
treprises exécutent dans un uni­
vers de concurrence régulée. Et,
comme dans toute négociation,
chacun est attentif à ne pas se
faire gruger. L’Etat garde ainsi un
souvenir cuisant de la privatisa­
tion des autoroutes, abondam­
ment critiquée quelques années
plus tard sur le thème : vous avez
bradé un joyau. Autrement dit, le
calcul de la rentabilité future de
l’infrastructure cédée, qui fonde
le prix de vente, a été mal fait.
C’est pour cela que chaque nou­
velle concession d’un bien pu­
blic, comme aujourd’hui les fré­
quences radio permettant de dé­
ployer de l’Internet mobile à très
haut débit, la 5G, fait l’objet d’un
examen minutieux par les finan­
ciers de l’Etat. La commission des
participations et des transferts a
donc rendu son verdict. Les fré­
quences de téléphonie mobile 5G
devront être vendues au moins
2,18 milliards d’euros aux quatre
opérateurs français, Orange, SFR,
Bouygues Telecom et Free.
Dans sa grande magnanimité,
le gouvernement a choisi de
baisser ce montant de 10 mil­
lions pour en faire le prix plan­
cher de cession de ces fréquen­
ces. Une partie sera vendue à
prix fixe et l’autre sous forme
d’enchères. Ce qui laisse suppo­
ser que le prix final s’élèvera de

façon substantielle au­dessus de
ce plancher.
On ne connaît pas dans le détail
les calculs qui ont permis d’arri­
ver à de tels chiffres, mais comme
dans toute négociation, les ache­
teurs assurent, la main sur le
cœur, que le vendeur veut leur
mort. Ils plaidaient avec le régula­
teur des télécoms pour un mon­
tant maximum de 1,5 milliard.

Un pari hasardeux
En fait, cet arbitrage se situe à la
confluence des exigences de trois
acteurs : l’Etat, bien sûr, qui en­
tend récolter le plus d’argent
possible, le régulateur du secteur,
attentif à l’intérêt des consom­
mateurs et donc au prix et à l’ac­
cès à cette technologie, et enfin
les industriels, qui surveillent
leur plan d’affaires. Forcer sur le
prix risque de réduire les inves­
tissements matériels et donc la
couverture du territoire. La con­
currence les pousse à investir
mais réduit leur capacité à le
faire. Le gouvernement a tranché
au milieu, notamment par rap­
port aux autres pays européens.
Pourtant, le vrai souci n’est pas
tant dans cette douloureuse né­
gociation, mais dans les perspec­
tives à venir de la 5G. Les clients
vont­ils se précipiter et accepter
de payer plus cher pour avoir un
téléphone plus rapide? Un pari
plus hasardeux que celui de cal­
culer le trafic sur les autoroutes
de France.

PERTES & PROFITS|TÉLÉCOMS
p a r p h i l i p p e e s c a n d e

Le large spectre


de l’économie mixte

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