0123
MARDI 26 NOVEMBRE 2019 culture| 21
Une « Funny Girl »
mini format, maxitalent
Christina Bianco reprend le rôle de Barbra Streisand
dans la comédie musicale au théâtre Marigny
SPECTACLE
M
inigabarit, maxi
coffre. La chan
teuse et imitatrice
américaine Chris
tina Bianco est Funny Girl, alias
Fanny Brice, dans la mise en scène
de Stephen Mear, à l’affiche du
Théâtre Marigny à Paris. Elle mar
che dans les traces étincelantes de
Barbra Streisand, qui créa le per
sonnage à l’âge de 22 ans, en 1964,
au Winter Garden Theatre, à New
York, avant de s’imposer quatre
ans après au cinéma dans le même
rôle. Cinquantecinq ans plus tard,
c’est Christina Bianco, rebaptisée
« la fille aux mille voix » tant elle
joue de la sienne.
Téméraire entreprise que cette
prise de rôle auréolée d’une répu
tation d’intouchable. Depuis sa
création, Funny Girl n’a jamais été
reprise à Broadway et vient seule
ment d’être remise en selle, il y a
quatre ans, à Londres. La pierre
d’achoppement : trouver la « Girl »
susceptible d’interpréter Fanny
Brice, ce phénomène ambulant,
moche, bêtasse, comme elle le dit
ellemême dans le spectacle, drôle
et douée. Sans compter qu’après
Streisand, l’affaire était corsée.
Pour cette production française
pilotée par JeanLuc Choplin, di
recteur du Théâtre Marigny, la re
cherche a été pliée incroyable
ment vite. Christina Bianco en
tend parler du projet via le compte
Twitter de Marigny. Elle envoie
une vidéo d’elle en train de chan
ter l’un des tubes de Funny Girl, le
très enlevé Don’t Rain on my Pa
rade, à JeanLuc Choplin, qui file à
New York pour la rencontrer. Et
banco pour Bianco, qui se jette
tête baissée, et pour la première
fois, dans une comédie musicale
loin de ses gammes d’imitatrice.
La partition de Funny Girl, dont
les paroles des chansons sont si
gnées par Bob Merrill et la musi
que par Jule Styne, est un gros
morceau. Elle compile un nombre
impressionnant d’airs contrastés,
tous immédiatement entraînants,
interprétés, pour la plupart, par la
vedette du spectacle. Les registres
vont et viennent entre burlesque,
gouaille et romantisme, avec par
fois des changements rapides
d’humeur et de ton. Habituée à ce
type de sport vocal – elle glisse de
Britney Spears à Céline Dion dans
ses shows –, Christina Bianco ne
fait qu’une bouchée de ses tubes.
Elle s’amuse visiblement de leurs
joyeux déraillements, tout en as
senant les envolées lyriques typi
ques de la comédie musicale.
Femme libre et volontaire
Funny Girl conte le parcours d’une
star des Ziegfeld Follies des années
1920 : Fanny Brice, née Borach
(18911951). C’est le producteur du
spectacle Ray Stark, gendre de
Fanny, qui a l’idée, dès le début des
années 1950, de tirer un livret de la
saga de sa vie. Gagnante d’un
concours de chant à 13 ans, pas
aussi jolie qu’il le faudrait pour
réussir dans ce milieu, comme le
rappelle la chanson If a Girl Isn’t
Pretty, cette fille de propriétaires
d’un saloon enchaîne les jobs
avant d’être choisie par Florenz
Ziegfeld, le roi de Broadway, dans
les années 1920. Comique, elle cul
tive une absolue autodérision et
une ironie piquante. Elle rencon
tre un bel arnaqueur qu’elle finira
L’aprèsPierre Henry
à la Philharmonie de Paris
Le studio de création du compositeur a été reconstitué dans une
nouvelle salle du Musée de la musique dévolue à l’électroacoustique
MUSIQUE
L
a maison qu’a occupée
Pierre Henry (19272017) à
Paris pendant quarantesix
ans était tout entière consacrée à
sa musique. Chaque espace de
l’habitation témoignait de l’acti
vité quasi exclusive du maître des
lieux : composer. Des affiches de
concert, des tableaux réalisés à
partir de bris d’instruments, et,
bien sûr, des hautparleurs un peu
partout. L’extravagant vaisseau
du capitaine Nemo de la musique
concrète est aujourd’hui détruit,
mais son poste de commande
ment a été sauvé.
Depuis le 2 octobre, on peut
avoir un aperçu du studio de
Pierre Henry au Musée de la musi
que (Philharmonie de Paris) dans
une nouvelle salle, vouée à l’élec
troacoustique. L’espace de créa
tion du compositeur y a été re
constitué. A gauche, ses magnéto
phones analogiques, au centre, sa
console de mixage ; le tout en état
de marche et prêt, lors de futures
animations, à être confié à diver
ses personnalités qui ont gravité
dans la sphère de Pierre Henry.
« On a tenu à ce que le dispositif soit
fonctionnel », souligne Thierry
Maniguet, le conservateur du
Musée. L’immersion fictive dans
le saint des saints de l’ancêtre de
l’électro est à visée pédagogique.
Des « manipulables » (bornes inte
ractives) permettent au visiteur de
procéder au choix des sons et à
leur mixage, comme s’ils étaient
Pierre Henry, avant de comparer
leur séquence à celle réalisée par le
compositeur avec le même maté
riau. Plonger les mains et les
oreilles dans la mécanique de Va
riations pour une porte et un soupir
ou de Psyché Rock contribue à ce
que « la mémoire de Pierre Henry
soit vivante », estime Isabelle
Warnier, la veuve du compositeur.
Titanesque montage
Posée en termes clairs dans le par
cours de l’exposition, la question
de « l’aprèsPierre Henry » accom
pagnait également le concert
donné, samedi 23 novembre, dans
la salle de la Cité de la musique.
Au programme, une « première » :
La Dixième Symphonie, œuvre
composée en 1979 à partir de frag
ments d’enregistrements (pro
priété non commercialisée du la
bel Philips) des neuf symphonies
de Beethoven. La nouveauté? Pré
senter ce titanesque montage de
studio sous la forme d’une inter
prétation strictement instrumen
tale. Correspondant aux trois
voies de mixage utilisées par
Pierre Henry, trois orchestres (di
rigés respectivement par Pascal
Rophé, Bruno Mantovani et Mar
zena Diakun) sont répartis devant
et autour du public pour cette res
titution à nu (sans les ajouts élec
troniques effectués plus tard par
le compositeur) d’une proposi
tion dont l’intérêt laisse perplexe.
Aussi éloigné des sulfureuses
Three Places in New England
(1929) de Charles Ives où se croi
saient des fanfares que du causti
que MozArt à la Haydn (1977) d’Al
fred Schnittke qui combinait des
emprunts aux deux modèles clas
siques désignés par son titre, le té
lescopage des citations relève ici
de l’exercice privé. Il ne sonne pas
plus comme du Beethoven – ses
partitions ne sont pas faites de
pages interchangeables – que
comme du Pierre Henry, sa musi
que étant indubitablement liée à
une diffusion par orchestre... de
hautparleurs. Le principal inté
ressé se seraitil contenté de la
seule prouesse technique ?
pierre gervasoni
Aux sources de l’électro,
à la Philharmonie de Paris (19e)
jusqu’au 30 août 2020.
par épouser et dont elle aura deux
enfants. Parallèlement, elle bosse
tous azimuts dans les comédies
musicales, les cabarets, et mène sa
vie tambour battant.
Autant dire que le rôle de cette
femme libre et volontaire, effron
tément décidée à devenir star sans
se laisser marcher sur les pieds,
colle impeccablement à Christina
Bianco. Sa petite taille – autour de
1,50 m – et sa silhouette mince ne
s’oublient jamais au milieu de ses
partenaires de jeu qui la surplom
bent – en particulier la bande de
girls « longues jambes » des Fol
lies – sans la dominer. Elle surfe
sur les hauts et les bas de la carrière
de Fanny Brice, avec la niaque de
celle qui en connaît un rayon en
matière de montagnes russes.
Quasiment toujours sur scène, elle
orchestre la continuité de la comé
die musicale, tenant les rênes de ce
destin d’une artiste sans a priori,
qui choisit l’amour et se retrouve
finalement seule par choix.
Autour de ce pivot central, la
mise en scène de Stephen Mear,
épaulé aux décors et aux costu
mes par Peter McKintosh, comme
dans leur précédent succès, Guys
and Dolls, s’enroule souplement.
Avec ses mille et un décors et ses
ambiances installés à la seconde
au gré d’éléments coulissants ou
vite aménagés par les interprètes
euxmêmes, on bascule du saloon
à un quai de gare, en passant par
Broadway, sans avoir le temps de
dire ouf. Très théâtrale, avec des
personnages secondaires bien
plantés, comme la mère de Fanny
(Rachel Stanley) ou le pote Eddie
(Matthew Jeans), cette Funny Girl
file vite et tient bien la route.
rosita boisseau
Funny Girl, mise en scène de
Stephen Mear. Jusqu’au 7 janvier.
Surtitrage en français. Théâtre
Marigny, Paris. De 15 à 95 €.
Les registres
des chansons
vont et viennent
entre burlesque,
gouaille
et romantisme