Libération - 25.11.2019

(Michael S) #1

VIII u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi^25 Novembre 2019


Par
Didier Arnaud
Envoyé spécial à Carmaux
Photo Guillaume Rivière

verte, produit «après-mine» à Carmaux, dans
le Tarn, terre d’élection de Jean Jaurès, un des
pères du socialisme. ­Patrick Garcia, ancien
mineur, se souvient du passage de Mitterrand
avant son élection de 1981, qui a lancé aux ou-
vriers présents : «On ne vous oubliera pas.» Et
Cap’Découverte, c’est en effet un peu le ca-
deau posthume de «Tonton». A l’époque, le
député qui présente la mariée se nomme Paul
Quilès. ­Député du Tarn, ancien ministre, il est
à la manœuvre pour organiser l’après-char-
bon. La dernière unité de production a fermé
en 1987. En visionnaire, il décide de vouer la
région au tourisme, même si, souligne Garcia,
on lui «rigole au nez» quand il évoque le sujet.
D’autant que les fermetures s’accompagnent
d’une «fuite» de la population, qui perd plus
de 6 000 âmes – aujourd’hui autour de 10 000
personnes. Le bastion socialo-communiste est
à la peine.

«Pharaonique»
Le projet de Paul Quilès est ambitieux, il veut
changer l’image du Carmausain, passer de
cette mono-industrie qui a duré pendant
six siècles... à autre chose. Gageure. On teste

diverses idées. On pense à lancer une centrale
thermique, créer un centre d’enfouissement
de déchets. Rien ne prend. «Tout était pré-
caire par rapport à la mine», explique Garcia.
Finalement, quatre thèmes émergent pour
cette Découverte. «Sport loisir», un pôle «mé-
moire», un autre «musique et festival» et, en-
fin, «l’écologie» : 7 000 tonnes de terre sont re-
muées, un projet «pharaonique», comme le
souligne encore aujourd’hui Paul Quilès.
«Il fallait être fou pour penser tout cela»,
­rajoute Patrick Garcia, qui rappelle que Quilès
détenait un joli carnet d’adresses, qu’il était
«brillant» et pétri de «valeurs», et qu’il savait
faire «rejaillir la gloire» sur ceux qui le
­côtoyaient.
Les «locaux» de l’étape ne tarissent pas d’élo-
ges : «Lorsque Paul Quilès m’a parlé de ce fan-
tastique projet, j’ai tout de suite souhaité ap-
porter l’aide nécessaire à sa réalisation,
d’envergure régionale, mais aussi nationale»,
note Martin Malvy, inamovible président du
conseil régional de Midi-Pyrénées de 1998
à 2015. Un projet qu’il considère «comme sym-
bole du renouveau du territoire de Carmaux».
Même combat côté département, par la voix

Carmaux


la mémoire des mines


Près la commune


du Tarn, un parc de


loisirs et un musée


ont remplacé


l’exploitation


de charbon.


Sur le site du pôle Cap’Découverte à Garic, près de Carmaux (Tarn), le 19 novembre.

U


n immense terrain de 700 hec-
tares, autour d’un lac et d’une
base de loisirs, de grands bâti-
ments dédiés à la musique, une
piste cyclable de 36 kilomètres, un... télésiège
et une piste de ski sur neige synthétique, un
musée passionnant, le tout pour une facture
de 61,5 millions d’euros d’investissement lors
du démarrage en 2003... Voici Cap’Décou-

de Thierry Carcenac, autre baron PS : «Tout
notre territoire bénéficiera des retombées éco-
nomiques, sociales et culturelles. [...] C’est une
initiative porteuse d’avenir». Car une des
­réussites de cette aventure est la conservation
de la mémoire, chère à la mythologie socia-
liste de la région. Le musée de la mine y
­contribue. Les anciens mineurs ont reconsti-
tué des galeries qu’ils font visiter avec une
énergie communicative. Le rythme. A la
mine, il fallait l’avoir, pour creuser et remon-
ter tant et plus de charbon, les mineurs sont
alors payés au rendement. Et puis, il y a la sur-
vie, faire attention au gaz. On regarde si les
rats s’enfuient, dans ce cas, on envoie un «pé-
nitent», repris de justice qui descend en pre-
mier voir si on peut respirer et gagne sa liberté
s’il remonte indemne... La solidarité n’est pas
un vain mot, le mineur dépend de son voisin
qui l’aide en cas de pépin. Au fond, l’autre ne
va pas sans l’un. Les anciens ont récupéré du
matériel que la compagnie Charbonnage de
France vendait au prix de la ferraille, «pour
montrer à leurs femmes et enfants où ils tra-
vaillaient, ils ont réussi à recréer une atmos-
phère», explique Véronique Malfettes, res-
ponsable du musée. Lequel musée leur
a permis de «passer à la postérité».

«Aventures»
Difficile, toutefois, de tourner complètement
la page. La mine est toujours dans les têtes,
dans les cœurs... «Avec les mineurs, il y avait
de l’argent, des moyens, aujourd’hui, la rue
pleure, les commerces sont vides, cela manque
d’entretien, il faudrait refaire les façades», ex-
plique un commerçant. Selon un ancien fonc-
tionnaire «pessimiste mais franc du collier»,
qui tient à rester anonyme, les habitants n’ont
pas voulu voir que la ressource charbon allait
disparaître. Il regrette aussi que les commer-
çants et autres professions libérales aient pré-
féré investir ailleurs, dans les Pyrénées ou le
Languedoc, mais jamais à Carmaux... Et de
souligner que la ville aurait le plus gros «taux
d’IFI [impôt sur la fortune immobilière, ndlr]
du département».
Le projet de Quilès comprenait un Pierre et
Vacances, un grand hôtel et un tas d’infras-
tructures. Mais il n’est pas allé au bout. Un
peu la faute des politiques qui ne se seraient
pas impliqués suffisamment pour ne pas
«froisser la population locale opposée au pro-
jet». Il se dit que certains auraient même «pré-
féré la fermeture pour pleurnicher sur le mode
“nous, on n’a rien et on est délaissés”». L’an-
cien ministre s’en souvient aujourd’hui en
riant : «On se sentait un peu supérieurs dans
le coin. On disait qu’ici, on avait “redressé la
France avec le charbon”. Maintenant, est-ce
qu’on aurait pu faire autre chose? Difficile de
réécrire l’histoire...»
D’autres restent optimistes. Comme cette
­libraire de Carmaux qui assure : «Les gens qui
viennent ici sont curieux et avides de découvrir
de la littérature et des aventures qu’ils ne con-
naissent pas.» Comme en témoigne, par exem-
ple, l’excellent festival Rock Time qui a eu lieu
pendant plus de quarante-cinq ans. Au bout
du compte, Paul Quilès n’a pas à rougir. Il a ba-
taillé contre vents et marées, et réussi à faire
venir un centre d’appels de quelques centaines
d’emplois. L’ancien ministre rappelle, à toutes
fins utiles, que le spectacle Ils ont tué Jaurès,
donné en 1994, a attiré 5 000 personnes cha-
que soir durant sept jours. A défaut d’être re-
devenu un bassin d’emploi prospère, Carmaux
continue à faire vivre à travers la culture l’âge
d’or de l’industrie minière en Occitanie.•

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