Le Monde - 08.11.2019

(Sean Pound) #1
0123
VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019 culture| 21

Johnny Hallyday


fait toujours recette


Album posthume, livres, spectacles...
Deux ans après sa mort, l’artiste continue
d’alimenter la passion de ses fans

MUSIQUE


A


l’approche des deux ans
de la mort de Johnny Hal­
lyday, le 5 décembre 2017,
à l’âge de 74 ans, le chanteur est à
nouveau présent avec la sortie de
livres, disques et des spectacles.
Histoire de s’y retrouver dans une
carrière commencée à la fin des
années 1950, L’Encyclopédie John­
ny, de Christian Eudeline, se révèle
une somme utile. Sous la forme
d’un dictionnaire, avec plus de
2 600 entrées, de « Aber », Geor­
ges, auteur et adaptateur, en parti­
culier dans les années 1960, de
succès anglo­saxons en français
pour Hallyday, à l’Italien « Zuc­
chero », qui enregistra deux duos
avec Johnny. Les chansons, les al­
bums en studio et en public ont
une notice. Mais surtout, Chris­
tian Eudeline met en avant celles
et ceux qui ont travaillé avec Hal­
lyday. Jusqu’au plus obscur des
musiciens, auteurs, qui n’auront
été là que le temps d’une chanson.
Les souvenirs de musiciens, jus­
tement, servent de matière à
d’autres livres. L’harmoniciste
Greg Zlap, de son vrai nom Szlapc­
zynski, dont Sur la route avec John­
ny est accompagné de la mention
« 282 concerts, 10 ans de compli­
cité », journal de moments passés
sur scène, en studio, dans les loges
lors des tournées. Idem avec Mes
1 000 concerts avec Johnny, du gui­
tariste Robin Le Mesurier, qui peut
se prévaloir de « 23 ans de
rock’n’roll avec Johnny Hallyday »
indiqués par un bandeau rouge.

L’Olympia est complet
Au rayon disques, la sortie ven­
dredi 25 octobre de l’album sim­
plement titré Johnny est déjà un
succès commercial, avec 150 000
exemplaires vendus une semaine
après sa sortie. C’est avec une pa­
rure symphonique qu’il se fait en­
tendre. Comme dans des paru­
tions précédentes consacrées à El­
vis Presley, Roy Orbison ou Aretha
Franklin, des pistes de voix ont été
isolées, auxquelles ont été ajoutés
force cordes, cuivres et chœurs.
Guère convaincant. La surabon­
dance orchestrale venant en rajou­
ter dans les chansons déjà bien

chargées comme Que je t’aime,
L’Envie, Vivre pour le meilleur ou
Requiem pour un fou, et des choix
de pistes de voix plutôt dans l’ex­
cès. Quelque chose de Tennesse,
Marie ou Le Chanteur abandonné,
à l’orchestration plus resserrée sur
les cordes, le surlignement mélo­
dique, s’en sortent de justesse.
Autre disque, en public, enregis­
tré en juin 2017, à l’AccorHotels
Arena, par les Vieilles Canailles,
soit Hallyday et ses copains Eddy
Mitchell et Jacques Dutronc. Des
succès des uns et des autres, sur le
mode du passage de relais à cha­
que refrain. Avec guitares rock,
section de vents et rythmique. Il
fallait peut­être avoir assisté au
concert, ou à l’un de ceux de la
tournée, pour trouver cela autre­
ment que sympathique.
Sur le plan des spectacles,
L’Olympia est complet, le 1er dé­
cembre, avec un film réalisé à par­
tir de séquences de concerts, dont
certaines inédites, et d’entretiens.
Au Casino de Paris, prévu à partir
du 18 décembre, L’Idole des jeunes,
est présenté comme « une célébra­
tion de la carrière » de Johnny Hal­
lyday. La chanson du même titre,
de 1962, devrait y figurer en bonne
place. Quant au phénomène Jean­
Baptiste Guegan, aux timbre de
voix et inflexions quasi identiques
à Hallyday, il continue d’attirer les
fans avec une tournée, jusqu’en
avril 2020, et le répertoire de Puis­
que c’est écrit – 100 000 ventes de­
puis la sortie en septembre –, re­
cueil de chansons originales écri­
tes par Michel Mallory, qui a signé
plus d’une centaine de chansons
pour Hallyday.
sylvain siclier

L’Encyclopédie Johnny,
de Christian Eudeline, éd.
Hugo­Image, 560 p., 24,95 € ; Sur
la route avec Johnny, de Greg Zlap,
éd. Hors collection, 224 p., 25 € ;
Mes 1 000 concerts avec Johnny,
de Robin Le Mesurier, Talent
Editions, 240 p., 19,90 €. Johnny,
1 CD Panthéon­Mercury/UNiversal
Music ; Les Vieilles Canailles – Le
Live, 1 double CD Warner Music.
L’Idole des jeunes, au Casino
de Paris, du 18 décembre 2019
au 21 janvier 2020.

Débauche de pixels pour la bataille de Midway


Roland Emmerich retrace à grand renfort d’effets numériques la guerre américano­japonaise


MIDWAY


L’


intérêt de ce récit de la
première victoire améri­
caine dans la guerre du
Pacifique est avant tout histori­
que. On ne parle pas ici de l’his­
toire de la seconde guerre mon­
diale, à laquelle le film de Roland
Emmerich n’apporte pas grand­
chose, mais de celle du cinéma.
Midway est le film le plus cher
jamais réalisé aux Etats­Unis sans
le concours d’une des majors
d’Hollywood. Et cet état de fait ne
tient en rien au désir d’indépen­
dance du réalisateur allemand,
mais au fait que le mouvement de
concentration des grandes multi­
nationales du cinéma a exacerbé
l’aversion de leurs dirigeants pour
les produits qui ne procèdent pas

d’une franchise déjà existante. Si
bien qu’un cinéaste aussi capable
de grimper les sommets du box­
office à force d’effets spéciaux et
de coups de massue scénaristi­
ques, d’Independence Day au Jour
d’après, a essuyé les refus de stu­
dios qui, il y a quelques années, se
seraient prosternés devant lui.

Des airs de jeu vidéo
Son projet était de relater non seu­
lement la bataille navale de
juin 1942, qui doit son nom à l’atoll
de Midway où l’aéronavale améri­
caine avait installé un poste
avancé, mais aussi l’essentiel des
six premiers mois de la guerre
américano­japonaise, Pearl Har­
bor compris. Le film a été produit
pour 100 millions de dollars (envi­
ron 90 millions d’euros), alors que
le budget initial était de 125 mil­

lions, et a bénéficié du concours
d’investisseurs chinois.
On discerne des traces de cette
genèse à l’écran : alors qu’il est plu­
tôt hors sujet, le raid du colonel
Doolittle sur Tokyo et son sauve­
tage par des troupes chinoises oc­
cupent une longue séquence ; la
pénurie d’argent explique sans
doute que les batailles aériennes
numériques entre chasseurs amé­
ricains et japonais prennent sou­
vent la texture propre aux jeux vi­
déo. C’est peut­être de cette pa­
renté que viendra le salut du film.
Les jeux inspirés du conflit mon­
dial restent populaires, et les verti­
ges d’un piqué à travers les explo­
sions d’une débauche de pixels
sont ici dispensés avec prodigalité.
Pour le reste, ce film né d’une
modernité économique et techno­
logique vertigineuse est délicieu­

sement désuet. Les Américains
sont uniformément héroïques,
les marins japonais courageux
mais aveuglés par leur complexe
de supériorité. Quant aux fem­
mes, elles tiennent leur foyer avec
autant de vertu que de résolution.
Cette solennité est un instant à
peine animée par l’irruption du
personnage de John Ford :
l’auteur de La Poursuite infernale
était présent sur l’atoll au mo­
ment de l’attaque japonaise et en
a rapporté des images autrement
saisissantes. Les dix­huit minutes
de sa Bataille de Midway sont dis­
ponibles sur Netflix.
thomas sotinel

Film américain de Roland
Emmerich. Avec Ed Skrein,
Patrick Wilson, Woody Harrelson,
Mandy Moore (2 h 18).

Sébastien Azzopardi,


chef de troupe hyperactif


Producteur, acteur ou metteur en scène, le Parisien multiplie les succès


PORTRAIT


S


ébastien Azzopardi est un
habitué des colonnes
Morris. Que ce soit en tant
que producteur, auteur,
metteur en scène ou comédien,
son nom est actuellement à l’affi­
che de quatre salles privées pari­
siennes. Entre sa nouvelle pièce
Piège pour Cendrillon, adaptée du
roman de Sébastien Japrisot sorti
en 1963, la reprise du cultissime
Tour du monde en 80 jours, ver­
sion cartoonesque et survoltée
des aventures de Phileas Fogg,
l’indéboulonnable comédie inte­
ractive Dernier coup de ciseaux et
la direction du Théâtre Michel et
du Théâtre du Palais­Royal, où
deux succès publics et critiques
(La Machine de Turing et Edmond)
perdurent, il est devenu un chef
de troupe incontournable. Pour
gérer ses multiples casquettes, il
« cloisonne » ses journées : le ma­
tin est réservé à l’écriture et à la
mise en scène, l’après­midi à l’ad­
ministratif. Le soir, il joue (actuel­
lement dans Le Tour du monde en
80 jours) ou voit des spectacles.
Le théâtre, il est tombé dedans
dès le plus jeune âge. Son père,
Christian Azzopardi, était comé­
dien et codirecteur du Palais­
Royal avec Francis Nanin. C’est ce
dernier qui, en 2013, se tournera
vers Sébastien pour qu’il prenne
le relais de son père à la mort de ce
dernier. Ses parents ont eu beau
tenter de le « préserver » de cet uni­
vers, il a eu, à 10 ans, un « coup de
cœur » pour la scène lorsque son
institutrice de CM2 lui fit jouer
Monsieur Jourdain dans Le Bour­
geois gentilhomme, de Molière.
Quelques années plus tard, ce Pa­
risien, né en 1975, entre au conser­
vatoire municipal du 5e arrondis­
sement puis au Cours Simon.

L’étiquette de « fils de »
« Mes parents ne m’ont ni poussé
ni découragé », résume le comé­
dien, qui a débuté dans des pièces
de boulevard aux côtés de Marthe
Mercadier ou Michel Roux. « Je
gagnais ma vie avec dix répliques
dans des grosses productions », se
souvient­il. Pour éviter de « s’en­
fermer » et assouvir son idée pre­
mière de « raconter des histoires »,
Sébastien Azzopardi monte ses
propres spectacles (Les Classiques
contre­attaquent), crée sa compa­
gnie et adapte Dix petits nègres
dans le théâtre de son père. Il sait
qu’il doit « faire [ses] preuves »
pour combattre les soupçons de
favoritisme. Avec la complicité de
son ami d’enfance et coauteur

Sacha Danino, les succès s’enchaî­
nent (dont Mission Florimont) et
font oublier l’étiquette « fils de ».
Sébastien Azzopardi fait partie
de cette génération de quadras – à
l’image de Fleur et Thibaud
Houdinière, de Théâtre actuel –
qui tente de renouveler l’image
du théâtre privé. « Quand j’ai com­
mencé, au début des années 2000,
il y avait à Paris vingt­cinq pièces
de boulevard sur cinquante théâ­
tres », se rappelle­t­il. Sa dernière
création, Piège pour Cendrillon,
atteste de cette volonté de diver­
tir sans les portes qui claquent. Ce
thriller contemporain teinté
d’une touche de glamour est de
bonne facture, avec une mise en
scène inventive et trois excellen­
tes comédiennes, Alyzée Costes,
Nassima Benchicou et Aurélie
Boquien.
Cet indépendant a surtout eu du
nez en relevant le pari de pro­
duire, au Théâtre du Palais­Royal,
Edmond, la pièce d’Alexis Micha­
lik. « On s’est connu au Festival off
d’Avignon. Il m’avait raconté son
projet, qu’il souhaitait au départ

développer pour le cinéma avant
de le transformer en pièce de théâ­
tre. » Lorsque Sébastien Azzopardi
reçoit le scénario, il le lit « d’une
traite », conquis. Accepter un
spectacle à douze personnages
sans têtes d’affiche ne lui a pas fait
peur. « J’étais rassuré par mes ex­
périences précédentes, notam­
ment celle de La Dame blanche. »
Si Edmond est devenu un triom­
phe dès sa création en 2016 (et se
joue toujours, à Paris et en tour­
née, cumulant plus de 1 200 re­
présentations), au départ « ça
reste un coup de poker », insiste­
t­il. Qu’il s’agisse d’Edmond ou de

La Machine de Turing (plus de
300 représentations depuis 2018),
qu’il programme au Théâtre Mi­
chel, ces créations récompensées
de plusieurs Molières sont, « à la
base, de l’artisanat. Tout l’inverse
d’un coup ». Alors il savoure la
réussite : « Dans le secteur hyper­
concurrentiel du spectacle vivant,
un succès comme Edmond je n’en
aurai peut­être plus. »
Ses choix, assure­t­il, « ne dépen­
dent pas du genre. Peu importe.
L’important est de transmettre des
émotions sincères aux specta­
teurs ». Il assume de naviguer en­
tre spectacle « facile » (Dernier
coup de ciseaux) et « plus pointu »
(Piège pour Cendrillon), revendi­
quant son « envie d’attirer à la fois
des habitués du théâtre et ceux qui
n’y vont quasiment jamais ».
sandrine blanchard

« Piège pour Cendrillon »,
au Théâtre Michel, Paris 8e.
« Le Tour du monde
en 80 jours », au Théâtre de
La Gaîté­Montparnasse, Paris 14e.
Les deux jusqu’au 4 janvier 2020.

Pour assouvir son
idée première
de « raconter
des histoires »,
il monte
ses propres
spectacles

Sébastien Azzopardi présente en novembre sa dernière création, « Piège pour Cendrillon ». PASCAL ITO

CHEF­D'ŒUVRE   À  NE  PAS  MANQUER   À  VOIR   POURQUOI  PAS   ON  PEUT  ÉVITER

#MaitresduJapon
Avec le soutien de

Utagawa
Kunisada (1786 - 1864)

Hayari sô,Le

Type populaire série

Tôsei sanjûni sô,Physionomie de trente-deux types dans le monde moderne

(détail),1821-1822,

signé Gototei

Kunisada ga,Editeur Nishinomiya Shinroku (Gangetsudô)

nishiki-e
, oban horizontal

, 38,2 x 27 cm,Collection Georges Leskowicz,Photo : © Christian Moutarde
Free download pdf