Le Monde - 15.11.2019

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VENDREDI 15 NOVEMBRE 2019 international| 3

Israël dénonce l’étiquetage « colonies israéliennes »


La Cour de justice de l’UE oblige à signaler l’origine des produits issus des territoires occupés par l’Etat hébreu


jérusalem ­ correspondance

L


es autorités israéliennes
en appréhendaient l’is­
sue. Mardi 12 novembre,
la Cour de justice de
l’Union européenne (CJUE) a sta­
tué en faveur d’une législation
controversée concernant l’éti­
quetage « des denrées alimen­
taires originaires de territoires oc­
cupés par l’Etat d’Israël ». Au nom
de « l’information des consomma­
teurs », celles­ci doivent « porter la
mention de leur territoire d’ori­
gine » et indiquer si, à l’intérieur
de ce territoire, elles proviennent
d’une colonie israélienne, préco­
nise l’arrêt de la CJUE.
Son jugement réitère les posi­
tions de l’Union européenne (UE),
qui, conformément au droit in­
ternational, distingue Israël de
ses colonies implantées en Cisjor­
danie, à Jérusalem­Est et sur le
plateau syrien du Golan. L’Etat
hébreu a aussitôt dénoncé une
décision qui pourrait nuire à son
image et à ses exportations, tout
en nourrissant le mouvement in­
ternational de boycottage contre
lui. En 2015, au moment de l’an­
nonce des premières mesures
de la Commission européenne,
le premier ministre Benyamin
Nétanyahou avait dénoncé le
« rappel de souvenirs sombres »
qu’elles entraînaient selon lui et
estimait que « l’Europe devrait
avoir honte d’elle­même ».
La Commission avait suggéré, à
l’époque, que les denrées issues
des territoires occupés par Is­
raël depuis 1967 devaient com­
porter une « information géogra­
phique complémentaire » telle

que « produit originaire du pla­
teau du Golan/Cisjordanie (colo­
nie israélienne) ».
Mardi, la CJUE a en fait répondu
au Conseil d’Etat français, qui
l’avait sollicitée à la suite de la
contestation de la décision prise
en novembre 2016 par le minis­
tère de l’économie et des finances
sur cette indication de l’origine
des produits issus des territoires
occupés. La France entendait sui­
vre la notice interprétative émise
par Bruxelles.

« Puissance occupante »
Dénonçant l’avis ministériel fran­
çais, le producteur de vin israélien
Psagot, installé en Cisjordanie, et
l’Organisation juive européenne
(OJE) avaient déposé, en jan­
vier 2017, un recours auprès du
Conseil d’Etat qui s’en était remis
à la CJUE. Soucieuse des considé­
rations « éthiques » du public
européen dans ses achats, celle­ci
s’est dite favorable à un étique­
tage spécifique des marchandises
issues des colonies israéliennes
pour que les consommateurs « ne
puissent être induits en erreur
quant au fait que l’Etat d’Israël est
présent dans les territoires concer­
nés en tant que puissance occu­
pante et non pas en tant qu’entité
souveraine ».
Dès mardi, le ministère des af­
faires étrangères israélien a re­
gretté un jugement « politique et
discriminatoire » qui instaure un
« deux poids, deux mesures » en­
tre le cas de l’Etat hébreu et « plus
de deux cents disputes territoria­
les dans le monde ». De son côté,
Washington s’est dit « profondé­
ment préoccupé ». « Les circons­

tances entourant les critères de la­
bellisation dans les faits précis
présentés à la Cour suggèrent un
parti pris anti­israélien », a jugé le
porte­parole du département
d’Etat américain.
A l’inverse, l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) a
appelé « tous les pays européens à
mettre en œuvre cette obligation
légale et politique », souhaitant
même que les produits des colo­
nies « soient bannis des marchés
internationaux ». Les organisa­
tions de défense de droits hu­
mains ont également salué la dé­
cision européenne.
Néanmoins, la réalité de l’éti­
quetage est loin d’être aussi affir­
mée. L’organisation EuMEP (Eu­
ropean Middle East Project), à
Bruxelles, décrit une « application
très passive par les autorités des
vingt­huit Etats membres » de la
notice européenne de 2015,
d’après une étude qu’elle a effec­
tuée sur la vente en ligne de vins
issus des colonies israéliennes.

Une étude menée récemment en
Belgique a conclu que, sur cinq
cents produits, deux seulement
présentaient un étiquetage con­
forme. Selon un expert européen,
les douanes israéliennes signale­
raient rarement l’origine exacte
des produits. L’étiquetage est as­
sez aisé pour le vin, beaucoup
plus compliqué pour les agrumes,
les légumes ou les herbes fraî­
ches, explique François Dubuis­
son, professeur de droit interna­
tional à l’Université libre de
Bruxelles et auteur d’une récente
étude sur le sujet pour l’UE.
En outre, l’impact de la décision
de la CJUE sur les Etats membres
est difficilement mesurable,
faute d’une position européenne
unifiée vis­à­vis d’Israël. De leur
côté, les entreprises israéliennes
ont émis des craintes, l’UE étant
le premier partenaire commer­
cial de l’Etat hébreu. Après la no­
tice de 2015, certaines grandes
firmes, installées en territoires
occupés, s’étaient déjà résolues à

se relocaliser en Israël. « Au ni­
veau économique, cette politique
fonctionne, reconnaît Ofer Zalz­
berg, analyste à l’International
Crisis Group. Dans une perspec­
tive plus symbolique, c’est l’effet
contraire. Les autorités et le pu­
blic israéliens y voient une me­
sure très injuste. »
A ce titre, la Commission euro­
péenne a tenu à rappeler, mardi,
que l’UE ne soutenait « aucune
forme de boycott ou de sanctions
contre Israël ». Il n’empêche,

« cette décision détériore la vision
que les Israéliens ont de l’Europe »,
affirme Ofer Zalzberg. Dans une
récente étude de l’institut israé­
lien Mitvim, 51 % du public juif is­
raélien interrogé considère
d’ailleurs l’UE comme « un adver­
saire » plutôt que comme « un al­
lié ». « Le risque est que l’UE se li­
mite à une approche légaliste du
conflit, très théorique, au détri­
ment des aspects liés à l’identité
ou la religion qui sont beaucoup
plus tangibles localement, pour­
suit l’analyste. L’UE a voulu trans­
mettre un message fort, mais il a
été perçu ici d’une manière très
différente. »
Les responsables européens ré­
futent, en tout cas, les critiques is­
raéliennes quant à l’aspect pré­
tendument « discriminatoire » de
leurs décisions. Ils soulignent, par
exemple, que les sanctions décré­
tées à l’égard de la Russie depuis
son occupation de la Crimée sont
beaucoup plus sévères.
claire bastier

La Commission
européenne a
rappelé que l’UE
ne soutenait
« aucune forme
de boycott
ou de sanctions
contre Israël »

Après 34 morts, cessez­


le­feu précaire à Gaza


Des tirs de roquettes se sont poursuivis
jeudi matin malgré l’annonce de la trêve

jérusalem ­ correspondant

A


près deux jours d’échan­
ges de feu à Gaza, le Jihad
islamique, groupe armé
radical de l’enclave palestinienne,
a annoncé une trêve, jeudi 14 no­
vembre à l’aube. En dépit de tirs de
roquettes qui se sont poursuivis
dans la matinée, elle paraît appe­
lée à mettre fin, pour l’heure, au
cycle de violence le plus intense
depuis le mois de mai. Une cen­
taine de raids aériens ont fait au
moins trente­quatre morts côté
palestinien, dont au moins vingt
militants, selon l’armée israé­
lienne, mais aussi huit membres
d’une même famille, dont cinq en­
fants, tués peu avant l’entrée en vi­
gueur du cessez­le­feu. Aucune
victime n’était à déplorer en Israël.
Cette séquence entérine surtout
une communauté d’action sans
précédent de l’armée israélienne
avec le Hamas, le maître de l’en­
clave, qui semble s’être tenu de
bout en bout à l’écart des combats.
Israël a rompu avec sa doctrine
passée, qui consistait à punir le
Hamas pour toute attaque menée
par les factions de Gaza, en s’atta­
chant cette fois­ci à frapper exclu­
sivement le Jihad islamique.
L’armée estime avoir affaibli
l’organisation en assassinant l’un
de ses commandants, présenté
comme « incontrôlable », Baha
Abou Al­Ata, et en visant l’un de
ses responsables politiques à Da­
mas, dans une frappe aérienne
que Tsahal n’a pas reconnue, puis
en pilonnant ce groupe à Gaza.
Intimement lié au Hamas, le Ji­
had islamique professe son oppo­
sition à une trêve non officielle.
Cet accord, fruit de négociations
inédites menées notamment avec
l’aide de l’Egypte, a permis un allé­

gement significatif, du blocus im­
posé à l’enclave depuis 2007. Dans
cette dernière opération, Israël
s’est aussi immiscé dans les équili­
bres entre les factions, forçant la
main du Hamas, en espérant con­
forter ce dernier face à des élé­
ments jugés plus radicaux. Il reste
à déterminer si l’élimination d’un
simple commandant régional de
l’une des factions valait de paraly­
ser la moitié sud du pays et de ris­
quer une escalade vers la guerre.

Sans image forte à exploiter
Le Jihad islamique a tiré 450 ro­
quettes, principalement de courte
portée. Mardi soir, il avait concen­
tré ses efforts sur la barrière de sé­
curité qui ceint l’enclave, avec des
tirs de snipers et de missiles anti­
tanks. Son échec à frapper une ci­
ble de valeur laisse le mouvement
sans image forte à exploiter, sinon
ce fait : il a été le seul à incarner la
« résistance » armée face à Israël.
Mardi soir, dans une interview à
la chaîne libanaise Al­Mayadeen,
le secrétaire général du Jihad isla­
mique, Ziyad Al­Nakhalah, a af­
firmé que le mouvement avait dé­
montré qu’il pouvait paralyser Is­
raël. M. Nakhalah se serait rendu
dans la soirée au Caire, pour négo­
cier avec les services de renseigne­
ment égyptiens.
M. Nakhalah avait auparavant
énoncé une liste minimale de de­
mandes : la fin des assassinats ci­
blés israéliens et des tirs à balles
réelles lors des manifestations or­
chestrées par les factions de Gaza
sur la barrière de sécurité, ainsi
qu’un allégement du blocus im­
posé à l’enclave. Un tel assouplis­
sement est attendu : Israël devra
désormais renforcer le Hamas face
aux critiques pour son inaction.
louis imbert
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