8 |
FRANCE
VENDREDI 15 NOVEMBRE 2019
0123
Dans la tête
des maires
de France
A quelques jours du congrès
des maires, le Cevipof et l’Association
des maires de France livrent
une enquête d’ampleur sur les élus
locaux, qui sont près de la moitié
à vouloir se représenter
A
quatre mois des élections
municipales de mars 2020,
un peu moins de la moitié
(48,7 %) des maires souhai
tent se représenter, 23 %
restent indécis et 28,3 %
disent vouloir abandonner, selon l’enquête
CevipofAssociation des maires de France
(AMF), présentée au 102e Congrès des maires
qui débutera mardi 19 novembre. A la même
question posée un an auparavant, près d’un
maire sur deux déclarait vouloir renoncer à
se présenter, ce qui, conjugué à la publica
tion de chiffres portant sur les démissions
d’élus locaux en cours de mandat, avait
alimenté les commentaires alarmistes sur le
découragement des maires et la crainte
d’une pénurie de candidats lors du prochain
scrutin. En définitive, le pourcentage de
maires ne se représentant pas en 2020
devrait être assez proche de celui de 2014
(27 %), ce qui correspond à un taux habituel
de renouvellement.
Cela ne signifie pas pour autant que les
causes du malaise des maires, dont l’AMF
s’est largement fait l’écho, aient disparu,
même si l’on peut constater de fortes évolu
tions positives entre les enquêtes menées à
un an d’intervalle. Ainsi 60 % des maires esti
ment que la situation financière de leur com
mune s’est améliorée depuis le début de leur
mandat, contre 45 % un an plus tôt : une ap
préciation qui doit être mise en relation avec
la fin de la baisse des dotations de l’Etat mise
en œuvre par la nouvelle majorité, en dépit
des virulentes critiques formulées par l’AMF
à l’encontre de la contractualisation sur la
maîtrise des dépenses de fonctionnement.
De même, il convient de constater que,
dans leur immense majorité, les maires ont
le sentiment que leur fonction donne du
sens et de la valeur à leur vie, ce qui témoi
gne de leur engagement. Et ils sont 69,2 % à
considérer avoir la reconnaissance des
citoyens de leur commune même si, à 77,1 %,
ils estiment que le niveau d’exigence de ces
mêmes citoyens est de plus en plus élevé et,
à 82,5 %, que les risques juridiques qu’ils
courent sont trop forts.
DU SENS ET DE LA VALEUR
Alors qu’est actuellement en discussion au
Parlement le projet de loi dit « engagement
et proximité », qui vise notamment à revalo
riser les indemnités des maires des commu
nes de moins de 3 500 habitants, l’enquête
du Cevipof apporte un éclairage inédit.
Ainsi, à la question « mon indemnité estelle
suffisante? », les réponses sont très égale
ment réparties selon les différents degrés
d’accord. Ce qui montre que la question des
indemnités n’est pas une motivation
première. D’ailleurs, 70 % des maires esti
ment que leur activité est une fonction et
non une activité. Toutefois, plus la tranche
de population de la commune est faible,
plus le taux horaire brut par rapport au
temps consacré à l’exercice du mandat est
lui aussi modeste : de 7,40 euros de l’heure
dans les communes de moins de 500 habi
tants à 17 euros de l’heure dans celles de
50 000 à 100 000 habitants.
Autre sujet de controverse, la refonte de la
carte des intercommunalités qui, pour 70 %
des maires ayant répondu à l’enquête, exer
cent une forte influence sur la gestion de
leur commune. La moitié d’entre eux esti
ment que leur intercommunalité fonc
tionne très bien ou plutôt bien contre un
quart portant une appréciation inverse. De
même, 54 % jugent qu’il n’est pas nécessaire
de modifier le périmètre de leur intercom
munalité contre une proportion non négli
geable (37 %) qui émet un avis contraire. Ils
se répartissent quasiment à égalité entre
ceux qui considèrent que l’intercommuna
lité a facilité l’exercice de leur mandat de
maire et ceux qui ont un avis opposé. Mais
ils restent très majoritairement opposés,
pour plus des trois quarts, à l’élection des
conseillers communautaires au suffrage
universel.
Les maires interrogés semblent donner
crédit aux associations d’élus, dont l’AMF,
qui dénoncent une volonté de « recentrali
sation » de la part de l’exécutif. Ainsi, 71,6 %
d’entre eux estiment que « l’Etat veut repren
dre la main sur l’action des municipalités ».
Infographie Le Monde
Source : sondage Sciences Po-Cevipof, Association des maires de France (AMF). Calculs réalisés par Martial Foucault,
directeur du Cevipof, avec la participation de Pierre-Henri Bono, chercheur.
Méthodologie : enquête réalisée en ligne entre le 12 octobre et le 7 novembre 2019, auprès de 33 279 maires, à partir
du chier des maires de l’AMF. Le taux de réponses s’établit à 13 % (soit 4 355 réponses complètes de maires) et 18 % si
l’on tient compte des réponses incomplètes (soit 6 450 maires). La représentativité de l’enquête est assurée par une
proportion équivalente de maires répondants dans chacune des strates de population des communes françaises.
Près d’un quart des maires sont encore indécis
Souhaitent se représenter Ne souhaitent pas se représenter Ne savent pas encore
A la date d’aujourd’hui, que prévoyez-vous de faire à la n
de votre mandat de maire?
48,7 % 28,3 %
23 %
Ne savent
pas encore
souhaitent
se représenter
Ne souhaitent pas
se représenter
Souhaits de représentation selon le nombre de mandats
1 mandat
2 mandats
3 mandats ou plus
57,1 20,1 22,
42,4 36,1 21,
37,7 37,5 24,
Souhaits de représentation selon la taille de la commune
(en nombre d’habitants)
De 30 000 à 100 00
De 10 000 à 30 000
De 5 000 à 10 000
De 3 500 à 5 000
De 1 500 à 3 500
De 1 000 à 1 500
De 500 à 1 000
Moins de 500
75 12,5 12,
63,3 26,5 10,
74,8 1 7,18,
67,7 19,2 13,
54,4 31,5 14,
56,5 26,3 17,
48,2 27,8 24
42,4 29,5 28,
Vous avez signié vouloir ne pas vous représenter
Parmi les raisons suivantes, laquelle ou lesquelles
ont motivé votre choix?
72,
62,
28,
22,
9,
8,
8,
8,
Me concentrer sur ma vie
personnelle et familiale
J’ai le sentiment d’avoir
rempli ma mission
Diicultés à satisfaire
mes administrés
Je n’ai pas (plus) les moyens
nanciers de mon action
Manque de personnels
Sentiment
d’être inutile
Diicultés avec
mon équipe municipale
Me consacrer à
mon activité professionnelle
Nombre d’heures déclarées par semaine et taux horaire brut, en euros par heure,
selon la taille de la commune (en nombre d’habitants)
50 000
à 100 00
20 000
à 50 000
10 000
à 20 000
3 500
à 10 000
1 000
à 3 500
500
à 1 000
Moins
de 500
63 h 59 h 51 h 45 h 35 h 29 h 22,3 h
17 /h 14,80 /h 12,40 /h 11,90 /h 11,90 /h 10,40 /h 7,40 /h
Smic horaire
10,03 euros
58,3 % des maires n’exercent pas d’activité professionnelle en parallèle
de leur mandat. 26,1 % étaient retraités au moment de leur élection
Votre mandat de maire a-t-il eu un impact sur votre vie familiale et personnelle?
Un impact positif Un impact négatif Aucun impact
23,7 42,8 33,
Un impact négatif sur la vie privée
Des maires reconnus par leurs citoyens mais qui jugent les risques trop importants
En analysant à votre expérience de maire, êtes-vous d’accord ou non avec les airmations suivantes?
Tout à fait
d’accord
Plutôt
d’accord
Ni d’accord
ni pas d’accord
Plutôt
pas d’accord
Pas d’accord
du tout
Mon indemnité de maire est suisante
19
24,2 25,
19,
11,
Les risques juridiques et pénaux sont trop forts
39,9 42,
11,
4,8 0,
Le niveau d’exigence des citoyens est trop élevé
29,
47,
15,
6,
0,
En tant que maire, j’ai la reconnaissance
des citoyens de ma commune
14,1 19,
8,
2,
55,
Une vision positive du fonctionnement de l’intercommunalité
Dans quelle mesure êtes-vous d’accord
ou non avec les airmations suivantes?
Tout à fait d’accord
Plutôt d’accord
Ni d’accord
ni pas d’accord
Plutôt pas
d’accord
Pas d’accord
du tout
L’Etat veut reprendre la main
sur l’action des municipalités
La crise des gilets jaunes
vous a rapproché
des représentants de l’Etat
Le grand débat vous a permis
de mieux connaître
les attentes des administrés
27,
43,
16,
8,
2,
0,
8,
25,8^27
37,
1,
13,
22,
31,8 30,
Vous diriez que l’intercommunalité fonctionne :
La situation nancière de votre commune est ...
Très bien
Plutôt mal
9,9 %
Très mal
6,7 %
Plutôt bien
41 %
Ni bien ni mal
24,7 %
17,4 %
Saine
49,2 %
1,6 %Critique
Plutôt saine
39,7 %
Plutôt
critique
9,4 %
A la suite de la suppression de la taxe d’habitation,
laquelle des solutions suivantes a votre préférence?
35,
Un nouvel
impôt local
Une prise en charge
par l’Etat
Donner une partie
d’un impôt national
Ne se prononce pas
30,
15,
19,
ON PEUT CONSTATER
DE FORTES
ÉVOLUTIONS
POSITIVES ENTRE
LES ENQUÊTES
MENÉES À UN AN
D’INTERVALLE
Se représenter ou pas, les ressorts psychologiques d’un choix
L’enquête menée par le Cevipof met en évidence l’importance du bienêtre des maires dans leur choix de briguer un second mandat ou non
Q
uelles sont les raisons
qui conduisent certains
élus à continuer et
d’autres à abandonner?
En 2014, le taux de renouvelle
ment des maires, après les élec
tions, avait atteint 40 %. Mais
« renouvellement » ne signifie
pas qu’ils aient été 40 % à ne pas
se représenter. En réalité, ils
n’étaient que 27 % dans ce cas,
laissant la voie à de nouveaux
élus. Les 13 % restants ont laissé
leur place, mais parce qu’ils ont
été battus dans les urnes.
Si les intentions dont nous ont
fait part les maires devaient pren
dre corps, le scrutin 2020 ressem
blerait à celui de 2014. Et l’enquête
nous en dit davantage sur les
mobilités décisionnelles. Parmi
les maires qui déclaraient en 2018
vouloir abandonner, la moitié
seulement maintiennent ce
choix. A l’inverse, 78 % de ceux
déclarant vouloir se représenter il
y a douze mois le souhaitent tou
jours aujourd’hui, 18 % hésitent
encore et 4 % ont changé d’avis.
Importance de l’ancienneté
L’enquête met en évidence deux
dimensions cruciales pour com
prendre leur choix : la taille de la
commune et l’ancienneté électo
rale, quels que soient l’âge, le sexe
et le niveau de diplôme du maire.
L’effet « taille » joue d’une ma
nière attendue. Les maires de très
petites communes (moins de
1 000 habitants) sont presque
deux fois moins nombreux à vou
loir se représenter. Même s’il faut
se garder de tomber dans une ca
ricature qui consisterait à opposer
les « maires ruraux décrocheurs »
aux « maires urbains résilients ».
Ensuite, l’ancienneté électorale,
étroitement corrélée à la taille de
la commune, consacre le syn
drome du « mandat de trop ». Les
primomaires (élus pour la pre
mière fois en 2014) manifestent
l’envie d’exercer un second man
dat pour 57,1 % d’entre eux alors
qu’ils ne sont plus que 37,7 %
parmi celles et ceux arrivant au
terme de leur troisième mandat
ou plus. Audelà d’une lassitude,
la décision d’arrêter relève sou
vent de la sphère privée, liée à
l’impossibilité de concilier leur
mandat avec une vie familiale.
Mais elle traduit aussi un ressort
psychologique plus profond sur
leur rapport à euxmêmes.
En combinant leurs réponses
aux questions portant sur le degré
de satisfaction de la vie menée
aujourd’hui, la valeur ou le sens
donné aux réalisations personnel
les et le degré de satisfaction sur
les perspectives futures, il ressort
un indicateur composite de bien
être (bonheur) contre malêtre
(malheur). Cet indicateur offre
une perspective d’analyse renou
velée sur les ressorts psychologi
ques de la décision électorale des
élus. Plus les maires expriment un
niveau élevé de « bonheur », plus
les chances qu’ils veuillent se re
présenter sont élevées, et inverse
ment pour les « pessimistes » ou
« malheureux ». La robustesse de
cet indicateur est confirmée pour
les maires sortants qui n’ont pas
encore fait leur choix : l’indécision
est d’autant plus grande que le
niveau de bonheur est faible.
Comme l’ont avancé plusieurs
travaux en sciences politiques, la
motivation des maires des gran
des villes serait guidée par un
impératif de satisfaction d’inté
rêts personnels et, dans les peti
tes communes, elle serait animée
par un esprit républicain. En
réalité, ces deux situations entre
tiennent le bienêtre personnel
du maire et orientent son choix
de se représenter ou non. Et d’ail
leurs, nombreux sont les maires
qui, bien qu’insatisfaits de leur re
lation à l’Etat ou d’un rapport
consumériste des administrés à
la politique locale, s’en affranchis
sent plus facilement dès lors que
leur thermomètre de bonheur at
teint des sommets.
A relire Rousseau, pour qui « le
bonheur est un état permanent
qui ne semble pas fait icibas pour
l’homme », les maires de France
paraissent moins rêveurs que ce
promeneur solitaire.
martial foucault
(directeur du cevipof)
C O N G R È S D E S M A I R E S
L’ANCIENNETÉ
ÉLECTORALE,
ÉTROITEMENT CORRÉLÉE
À LA TAILLE DE
LA COMMUNE, CONSACRE
LE SYNDROME DU
« MANDAT DE TROP »