Le Monde Diplomatique - 11.2019

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LEMONDEdiplomatique–NOVEMBRE 2019


UNEFFET INATTENDU DES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE


ÀCanton, menace sur la «petite Afrique»


Selon lui, la plupart des résidents vien-
nentàCanton«pour fairedes petits
business, servir derelais entredes entre-
prises au bled et des entreprises chi-
noises ».Lacommunauté africaine de la
ville–entre 15000 et 25000 per-
sonnes (3)–s’est spécialisée dans
l’achat de produits bon marché manu-
facturés sur place (bijoux, matériel élec-
tronique, contrefaçons...), puis revendus
dans le pays d’origine.

Cette situation n’est pas nouvelle. Dès
le XVIesiècle, des esclaves échappés
de Macao s’installentàCanton et
jouissent d’une certaine liberté, du
moins lorsqu’ils ne sont pas exploités
par des familles chinoises (4). Cette
population résidente disparaît durant la
période coloniale pour revenir au début
desannées1990, la croissance chinoise
attirant nombre de Nigérians, de
Congolais et de Maliens alléchés par le
commerce florissantdela«perle du
Sud». Conscient de l’impact écono-
mique de sa diaspora, le continent afri-
cain entend aujourd’huifaire de cette
population un atout dans ses relations
avec le géant chinois.

PARLOUISBERTRAND*


Dès son ouvertureàlamondialisation, au début des

années 1980, la Chine s’est tournéevers l’Afrique, dont les
marchés lui paraissaient plus accessibles. Dans lafoulée,

de nombreux commerçants africains ont émigré dans l’em-
pireduMilieu, notammentàCanton.Avec les nouvelles

routes de la soie lancées par M. Xi Jinping,leursconditions
d’installation et de résidence changent profondément.

DEprime abord, c’est un bar comme
les autres. Une flopée de serveuses chi-
noises s’affairent entre les tables rendues
collantes parla bière et la graisse, sous
le battement régulier des ventilateurs et
le ronronnement d’un téléviseur.Mais
ici, entre la Harbin et laTsingtao, on sert
àl’occasion des bouteilles de Guinness,
de l’attiéké-poisson et du jus de bissap.
Dans les quartiers nord de Canton, le
Moustache Café est depuisplusieurs
années le lieu de rendez-vousdes Ouest-
Africains de Xiaobei. Sous un amas
d’immeubles, étranglé entre l’une des
nombreuses rocades de la ville au sud et
le mont Baiyun au nord, ce petit district
acontribuéàfaire de la troisième ville
chinoise un port d’attache essentiel pour
les négociants africains venus commer-
cer dans la région,àtel point que cette
mégalopole de quinze millions d’habi-
tants concentre aujourd’hui la plus
grande communauté africaine d’Asie (1).


«Ilyades gens qui viennent faireleur
business, mais ce ne sont pas forcément
des entrepreneursàproprement parler,
avec des affaires bien implantées ici »,
confie Kélian (2), un habitué du quartier.


politiques sino-africaines. La chute des
cours des matières premières, en 2015,
adurablement ébranlé le pouvoir d’achat
de la communauté.S’y sont parfoisajou-
tées une dévaluation des monnaies natio-
nales face au yuan, l’instabilitépolitique
de certains pays d’origine et une hausse
des loyers mal maîtrisée dans les grandes
villes chinoises–une combinaison de
facteurs quiaconduit de nombreux com-
merçantsàcesser de séjourneràCanton
(pour les négociants de passage) ou à
retourner au pays (pour les établis).
«En2015, j’ai pu sentir que, lorsque cer-
tains hommesd’affaires venaient en
Chine, leurs commandes n’étaient plus
aussi importantes qu’avant,se rappelle
MmeWu.La chute des cours lesarendus
méfiants. »Comptant principalementsur
son réseau de clients soudanais, la jeune
femmesubit de pleinfouet lesmanifes-
tations qui secouent ce pays depuis
plusieurs mois :«Laplupart m’appellent
et doivent annuler les déplacements
qu’ils avaient prévus. »

chée pour le modèle chinois, M. Ndlovu
reconnaît«aimer pouvoir direcequ’[il]
veu[t]. Pour des raisons politiques, je pré-
fèrebien sûr la Chine, mais, en tant qu’être
humain attachéàmes libertés, je préfère
vivreenAfrique du Sud ».

Cette liberté, certains l’ont vue se
réduire d’année en année. Depuis fin 2013
et la crise sanitaire provoquée par l’épidé-
mie d’Ebola enAfrique de l’Ouest, les des-
centes de police se sont systématisées à
Xiaobei. Régulièrement,des immeubles
sont vidés de leurs habitants, et les oppo-
sitions frontales entre les communautés
étrangères (africaine, mais aussi arabe,
turque et pakistanaise) du quartier et la
police se multiplient. De nombreux immi-
grés ont déjà commencéàquitter Canton,
àtel point que leurs effectifs ont fondu de
moitié depuis 2010 (8).

Le déclin progressif de la«petite
Afrique»cantonaise sembleégalement
lié àl’état des relationséconomiques et

*Étudiant en master2àSciences PoLyon.

Échanges universitaires


(1) LireTristan Coloma,«L’improbable saga des
Africains en Chine»,Le Monde diplomatique,
mai 2010.
(2) Certains témoins ont souhaité conserver
l’anonymat.
(3) Jeremy Luedi,«Goodbye Chocolate City:the
deat hofAsia’ slargestAfrican community»,Asia by
Africa,11mars 2018, http://www.asiabyafrica.com
(4)Cf.Frank Dikotter,The DiscourseofRace in
Modern China,Oxford University Press, 1992.
(5) Gordon Mathews,«Africans in Guangzhou»,
Journal of Current Chinese Affairs,no44, Hambourg,
2015.
(6) Zhigang Li, Laurence J. C. Ma et Xue Desheng,
«AnAfrican enclave in China:The making ofanew
transnational urban space»,Eurasian Geography and
Economics,Abingdon-on-Thames, 2009.
(7) Le plus souvent, les étudiants recrutés le sont
par le ministère des affaires étrangères (et non par
le PCC).
(8)Jenni Marsh,«TheAfrican migrants giving up
on the Chinese dream», Cable News Network, Canton,
26 septembre 2016, http://www.cnn.com
(9) Discours de M. Xi Jinping lors du Forum Chine-
Afrique,3septembre 2018.

l’aventure en 2015, contre quinze mille au
début des années 2000 (6). Et, bien qu’un
nombre croissant d’entre eux soient
désormais en mesure de financer leurs
études sur place, l’État chinois s’appuie
toujours sur son système de bourses pour
cibler les profils les plus prometteurs.

Étudiantàl’université SunYat-sen de
Canton et membre du Parti communiste
sud-africain(SACP), M.Trevor Ndlovu
fait partie des heureux élus. Il admet volon-
tiers adhérer au modèle politique chinois
et cite en exemple Mao Zedong, plus
encore que les dirigeants actuels du pays :
«Àcette époque, l’éducation des Chinois
leur montrait les bienfaits du socialisme.
Celaadonné au pays ses fondations »,
explique-t-il. Des fondations sur lesquelles,
selon lui, le paysapuconstruire son propre
modèle économique, toutàlaf ois inspiré
du communisme et de ses traditions. Citant
àl’envi l’ancien président tanzanien Julius
Nyerereets on «socialismeàl’africaine»,
il vante l’entre-deuxpromu par le Parti
communiste chinois (PCC), ses élites ins-
truites, sa lutte contre la corruption.Étalé
sur un an, le contenu de sa formationaété
défini par les autorités.

MmeMarie-Lydmina Soa compte égale-
ment parmi la vingtaine d’étudiants afri-
cains de l’université SunYat-sen ayant reçu
une bourse du gouvernement. Major des
stagiairesdel’Assemblée nationale mal-
gache, elleaété démarchéealors qu’elle
était employée au ministère des affaires
étrangères de la Grande Île. M.William
Chifunile travaillait quantàlui comme ana-
lyste au ministère de l’économie zambien.
«Des hauts fonctionnaires zambienssont
venus dans les bureaux du cabinet minis-
tériel pour nommer plusieursofficiers,
raconte-t-il.C’est de cette manièreque j’ai
étérecruté. On nousadonné des instruc-
tions pour nous encourageràsaisir cette
chance, en insistant sur la qualité de notre
travail. C’est allé très vite;mafemme a
appris ma sélectionàlatélévision avant
même que je puisse la prévenir!»Contrai-
rementàleur camarade sud-africain,
MmeSoa et lui n’ont pas de passé militant.
Ils se promettent de réintégrer la haute fonc-
tion publique dès leur retour.

Les vingt et une universités cantonaises
accueillenttoute sdes promotions sembla-
bles d’étudiants venus principalement
d’Afrique et, plus largement, de l’ensem-
ble des pays concernés par la BRI. Relais
informels du modèle éducatif chinois dans
leurs pays respectifs,ceux-ci n’en demeu-
rent pas moins sceptiques sur certains
aspects de cette démarche.ÀAntanana-
rivo, le PCC avait ainsi orga-
nisé un séminaire d’une
semaine, préalable au départ des
étudiants sélectionnés (7).«C’était
ennuyeux,confie MmeSoa, qui
n’a assisté qu’à deux jours
de la formation sur
les cinq proposés.
Ils parlaient de
l’histoirede
la Chine, de
comment elle
s’étaitdéveloppée. »
De même,etmalgré
une sympathie affi-

«
LAJournée mondiale de l’Afrique est
un jour solennel qui ne peut qu’émouvoir
les cœurs des Africains, ici,àCanton,
notremagnifique ville d’accueil et de rési-
dence. »Le 24 mai 2019, MmeAlima Dan-
fakha Gakou, consule générale du Mali,
ne craignait pas d’employer les grands
mots devant le parterre de diplomates, étu-
diants et entrepreneurs réuniàl’hôtel
Soluxe, dans le très prisé quartier des
affaires deTianhe. De part et d’autre d’un
écran géant, les drapeaux de la Chine et
de l’Union africaineaffichaientlescou-
leurs d’une soirée qui avait reçu l’appro-
bation de la municipalité. Depuis le lan-
cement des nouvelles routes de la soie
(Belt and Road Initiative,BRI), les consu-
lats africains se sont multipliés dans la
ville. Les derniers en date, ceux du Ghana
et de laTanzanie, ont rejoint en 2019 la
quinzaine de représentations diplomatiques
du continent déjà existantes.


Officiellement,cetype d’événement
vise àconsolider les réseaux de commer-
çants présentsàCanton.«Jem’y suisren-


due parce qu’un ami soudanais m’avait
invitée,explique une négociante canto-
naise.La plupart des Africains de Canton
vivent dans leur pays d’origine. Quand
leur businesssedéveloppe, ils viennent
ici etrestent deuxàtrois semaines. Je les
prends alors en charge. »Comme elle, de
nombreux Chinois etAfricains établis de
longue dateàXiaobei guident les nou-
veaux venus. Les«présidents»(5), diri-
geants élus ou autoproclamésdechaque
communauté nationale, assurent généra-
lement la liaison entre les négociants de
passage et les autorités, par exemple pour
les longues procédures administratives
imposées aux immigrants.

La présence africaineàCanton dépasse
le domaine commercial pour toucher au
politique. De plus en plus investie sur la
scène africaine,laC hine souhaiteyétendre
son prestige(soft power).Pour cela,elle
mise en particulier sur les étudiants. Si les
échanges universitaires entre les deux ter-
ritoires ne sont pas nouveaux, la tendance
repart nettementàlahausse depuis
plusieurs années. Plus de cinquante
mille jeunes Africains ont ainsi tenté

Concours étudiants 2019


Place aux intermédiaires locaux


NOMBREde résidents africains se
voient contraintsde délaisserl’empiredu
Milieu, quitteàlaisserdes intermédiaires
locauxreprendreleflambeau.Comme
MmeWu,ils sontdésormaisdes dizaines
àinvestir Xiaobei, seconstituant un
réseauauprèsdes agentsafricainsencore
en place,puis ouvrant leur propre société
lorsque l’occasionse présente.«Je tra-
vaillais au sein d’une équipe africaine.

J’ai acquis beaucoup d’expérience grâce
àeux, ils m’ont beaucoup appris:com-
ment fairedes affaires, comment travail-
ler »,se souvient-elle.

Alors, la communautédeXiaobeiest-
elle condamnée àdisparaître?Les
échanges entre Canton et le continent afri-
cain devraient, eux, se poursuivre, Pékin
affichant une volonté croissante d’inté-
gration des États africains dans le cadre
de la BRI. Mais, en officialisant ces
échanges, les autorités semblent se diriger
vers l’éviction de la seule communauté
africaine historique du pays, pour mettre
plutôt sur pied des événements réservés
àdes commerçantsaccréditésetencadrés,
amenésàécourter leur passage. En 2018,
le président Xi Jinping en annonçait les
contours :«LaChineadécidé d’organiser
sur son territoireune foireéconomique et
commerciale Chine-Afrique. Elle encou-
ragera les entrepriseschinoisesàaccroî-
treleurs investissements en Afrique,
construiraetmodernisera des zones de
coopération économiqueetcommerciale
en Afrique(9).»Fin juin 2019, la première
de ces foires s’est tenueàChangsha, chef-
lieu de la province du Hunan, bien loin
d’une diaspora cantonaise en sursis.

L


’ASSOCIATIONLes Amis duMonde diplomatique(AMD), quiregroupe les
lecteurs du journal (1),aorganisé cette année son huitième concours
destiné aux étudiants, doté d’un prix de 10 00 euros. Le jury,présidé par
Denise Decornoy (directrice de collection littéraire) et composé de Mireille
Azzoug (maîtresse de conférences hors classe, ancienne directrice de l’Institut
d’études européennes de l’université Paris-VIII), Philippe Leymarie (ancien
journalisteàRadio France Internationale, animateur du blog Défense en ligne,
sur le site du mensuel) et Mathieu O’Neil (chercheur,collaborateur duMonde
diplomatique),aétudié plusieurs dizaines dereportages et enquêtes. Les
cinq meilleurs articles ont été soumisàlarédaction duMonde diplomatique.
Le lauréatvoitsontextepubliéici.Ladatelimitederemise des propositions
pour la prochaine édition est le 15 juin 2020.

(1) http://www.amis.monde-diplomatique.fr
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