24 |culture MARDI 15 OCTOBRE 2019
0123
La troublante et émouvante
fantasmagorie de Nosfell
« Le Corps des songes », du chanteur, danseur et compositeur, a été créé
à L’Echangeur, à ChâteauThierry, vendredi 11 octobre
SPECTACLE
châteauthierry (aisne)
envoyé spécial
L
ieu de diffusion et de rési
dence d’artistes, L’Echan
geurCentre de déve
loppement chorégraphi
que national de ChâteauThierry
(Aisne) organise chaque année
deux festivals. L’un, pour le jeune
public, Kidanse, de début mars
à début avril, sur l’ensemble des
départements des Hautsde
France, l’autre, C’est comme ça !, à
l’automne, avec pour cœur la salle
de L’Echangeur et d’autres struc
tures proches. Dès sa création,
en 2008, le festival s’est montré
attentif « aux croisements de la
danse avec d’autres disciplines, le
cinéma, les arts plastiques, la
chanson... », soulignent ses res
ponsables Frédérique Latu et
Christophe Marquis.
La 12e édition, commencée le
21 septembre et prévue jusqu’au
19 octobre, en propose plusieurs
exemples. Parmi lesquels les ins
tallations Edénique, de Clédat
& Petitpierre, ou Talking Dance, de
Valérie Castan et Diane Blondeau,
l’exposition des photographies
d’Arsène Marquis, le spectacle de
cabaret Le Secret, de Jérôme
Martin, les explorations chorégra
phiques de l’histoire de l’art de
Gaëlle Bourges, artiste associée...
Et la création, l’une des sept du
festival, vendredi 11 octobre, du
Corps des songes, du chanteur,
danseur et compositeur Nosfell.
Imaginaire et autobiographique
Le plateau est occupé par des for
mes rocheuses, vertes, disposées
sur un grand dessin, étalement
d’un sable fin, vert aussi, carte à
plat des terres, fleuves, plaines
d’un pays. Représentation en
grand par Nadia Lauro de celui
qui est tatoué sur le dos de
Nosfell. Ce pays, Klokochazia, est
une contrée inventée par Nosfell,
présentée dès un premier al
bum, Pomaïe Klokochazia balek,
en 2004, avec ses mythes, sa lan
gue propre. Elle a trouvé son ori
gine dans les mystérieux mots
sons que lui murmurait son père,
« comme des psaumes », nous
confiaitil, quelques heures plus
tôt. Nosfell l’a développée en une
langue artistique, mélodique et
rythmique, qui, au cours des ans,
a été structurée avec une écriture.
Dans Le Corps des songes, Nosfell
en dit ici et là des mots et leur tra
duction. Elle est dans son chant à
certains moments. D’autres chan
sons, des récitatifs, sont en fran
çais. Il conte d’abord les sept for
ces fécondes qui ont créé le pays,
plus loin un parcours de village en
village. L’imaginaire et l’autobio
graphique se mêlent. Une voix
d’enfant, inquiète, qui dit « De
quoi aije peur? » Ces forêts peu
plées de monstres, histoires féeri
ques ou souvenirs de cauchemars
lointains? Un « homme à l’anorak
rouge », agresseur, est évoqué.
La danse de Nosfell est faite
d’équilibres fragiles ou tendus, de
courbures en « S » lorsqu’il se dé
place autour du territoire, de brus
ques détentes ou allongements
des mouvements des bras, des
jambes. Il prend des positions si
miesques, devient ours ou loup re
vêtu d’une fourrure, centaure avec
des chaussures sabots, saurien
lorsque les grains de sable se col
lent à sa peau, insecte avec un
masque à cornes, gargouille par
des grimaces. Vocalement, Nosfell
puise dans tout son registre de
quoi donner voix aux personna
ges de sa fantasmagorie. Certains
nommés, d’autres que l’on croit
deviner. Sombres graves, envols
lyriques, douceurs, rages, tremble
ments mélodiques, souffles.
La voix, en direct, se pose sur la
diffusion d’une musique plus
ou moins orchestrée selon les ta
bleaux. Piano, percussions, gui
tare, saxophone basse, violon
celle, alto, dans un traitement qui
permet d’avoir, dans la salle, un
effet enveloppant. Instruments
dans leurs sonorités d’origines
mais parfois déformées, menant
vers une sobre étrangeté. Tout ici,
le chant, la danse dans son décor
peu à peu transformé, la musique
à entrées stylistiques variées (pop,
classique, orientale, folk, con
crète...) transporte vers l’envoûte
ment, le trouble émotionnel.
sylvain siclier
Festival C’est comme ça,
à ChâteauThierry (Aisne),
jusqu’au 19 octobre.
Le Corps des songes, à La Rose
des vents, scène nationale de Lille
Métropole, à Villeneuved’Ascq
(Nord), du 15 au 17 octobre ;
au Théâtre de la Cité
internationale, à Paris,
du 21 au 23 novembre ; plusieurs
représentations en 2020.
Nosfell
lors d’une
représentation
du « Corps
des songes »,
à Paris.
EMMANUEL WINO
Klokochazia
est une contrée
inventée
par Nosfell,
présentée
dès son premier
album en 2004
Les trésors italiens de la
collection Alana exposés
Le Musée JacquemartAndré présente
76 œuvres acquises par le couple chilien
EXPOSITION
L
a collection Alana, présen
tée au Musée Jacquemart
André à Paris, doit son nom
aux prénoms de ses fondateurs,
l’homme d’affaires, économiste et
mécène chilien Alvaro Saieh et son
épouse Ana Guzman. Quatrième
fortune du Chili, ils ne mettent pas
leurs moyens à profit pour acqué
rir de l’art actuel, mais pour consti
tuer une collection d’art italien an
cien. Cette particularité suffirait à
attirer l’attention. Aux gloires à la
mode pour lesquelles tant de mil
lionnaires ou milliardaires paient
très cher afin de gagner un peu de
célébrité, ils préfèrent Florentins,
Siennois ou Vénitiens. On ne sau
rait leur donner tort. Entre un
Koons ou un Wool de série et un
Bellini ou un Pontormo, le choix
est vite fait. Que les seconds
vaillent aujourd’hui beaucoup
moins que les premiers est l’une
des aberrations du marché de l’art.
A ses débuts, Alvaro Saieh s’inté
ressait aux avantgardes du début
du XXe siècle. Il s’est converti à l’Ita
lie depuis une vingtaine d’années
et, dans ce court laps de temps,
la collection a vite augmenté. Les
76 œuvres exposées en sont une
anthologie. Il est donc encore pos
sible de réunir un ensemble de
maîtres anciens, dont des piè
ces de grande qualité : c’est le
deuxième enseignement de l’ex
position. Pour y parvenir, il faut
une curiosité dédaigneuse des hié
rarchies habituelles, ce que la pre
mière salle affirme jusqu’à la pro
vocation. Le regard s’y heurte à des
dizaines de tableaux superposés.
Sans doute fautil voir dans cette
disposition une déclaration
d’amour, déclaration brutale d’un
amour qui s’aveugle parfois car,
sur ces murs, quoique prétende le
soustitre de l’exposition, les
chefsd’œuvre sont rares.
Ce préambule n’est cependant
pas inutile. Il rappelle à quel point
la production et la diffusion
d’images religieuses relèvent, dès
le XIVe siècle, d’une organisation
structurée. Peintres, menuisiers
et doreurs collaborent pour ré
pondre aux demandes des com
manditaires : ordres religieux,
paroisses, hôpitaux, aristocrates
ou bourgeois. L’offre s’adapte à la
demande ou la suscite en propo
sant des modèles nouveaux – par
exemple, l’autel portatif, parfait
pour la dévotion privée. Dans
une structure de bois sculptée à
l’imitation d’une église, colon
nades et pinacles compris, et en
tièrement dorée – Dieu ne déteste
pas les sacrifices financiers – pren
nent place saintes et saints, cru
cifixions et miracles. L’ensemble
peut être divisé en deux panneaux
reliés par des charnières. Les di
mensions sont proportionnelles
aux moyens du commanditaire.
Débats compliqués
La notoriété du maître est un
autre facteur essentiel, quoiqu’il
soit souvent difficile de savoir ce
que l’artiste a fait de sa main et ce
qu’il a délégué à l’un de ses élèves.
C’est l’un des exercices préférés
des spécialistes que de se disputer
pour savoir si telle Crucifixion est
entièrement ou partiellement de
Bernardo Daddi ou mesurer la
part de Lorenzo Monaco dans une
Annonciation qui lui est attribuée.
Ces débats sont d’autant plus
compliqués qu’à partir du
XVIIIe siècle et plus encore au
XIXe, triptyques et polyptyques
ont été divisés par antiquaires et
marchands. Le Saint Sixte de Fra
Angelico de la collection Alana
allait avec une Crucifixion qui se
trouve au Harvard Center, à Flo
rence (Italie), fragments d’un trip
tyque exécuté pour le cardinal
Juan de Torquemada. La Vierge
et l’Ange de l’Annonciation de
Giovanni di Paolo appartenaient
probablement à un retable qui
reste à reconstituer. L’exposition
abonde en problèmes d’attribu
tion et de reconstitution. On peut
cependant la regarder d’une autre
façon, moins savante et plus sub
jective, préférer Filippo Lippi ou
Carlo Crivelli dans l’expression du
tragique ; se demander qui, de
Pontormo ou de Bronzino, est le
portraitiste le plus expressif ; ou
s’arrêter aussi longtemps que
nécessaire devant les SaintPierre
et SaintPaul de Véronèse.
philippe dagen
« La collection Alana.
Chefsd’œuvre de l’art italien »,
Musée JacquemartAndré,
Paris 8e. Jusqu’au 20 janvier 2020.
C I N É M A
« Joker » domine
encore le box-office
nord-américain
Le « Joker » a décroché, pour la
deuxième semaine d’affilée,
la première place du boxof
fice nordaméricain, selon les
chiffres provisoires publiés,
dimanche 13 octobre, par
Exhibitor Relations. Le film
de Todd Phillips sur la vie du
meilleur ennemi de Batman
a récolté 55 millions de dollars
(49,9 millions d’euros) de re
cettes en trois jours. Malgré
les polémiques suscitées aux
EtatsUnis par les thématiques
violentes de la production des
studios Warner, Joker a en
caissé 192,7 millions de dollars
depuis sa sortie. – (AFP.)
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