«A
u plus tôt.» Trois petits
mots qui, il y a un mois,
sont passés inaperçus
dans le discours d’Edouard Phi-
lippe sur la réforme des retraites :
«L’entrée dans le nouveau système
concernerait uniquement les per-
sonnes qui sont nées après l’an-
née 1963», avait déclaré – avec un
conditionnel de rigueur – le Premier
ministre, le 12 septembre, devant le
Conseil économique, social et envi-
ronnemental (Cese). «Au plus tôt»
en 2025. Et au plus tard? On ne sait
pas. Dans un document de travail
transmis aux partenaires sociaux,
le haut-commissaire chargé de la
réforme des retraites, Jean-Paul
Delevoye, «soumet» de nouveau
«à la concertation» d’autres «op-
tions», bien plus tardives, pour le
top départ du futur régime de re-
traites, universel et par points, ap-
pelé à remplacer les 42 régimes
existants. Explications.
Quand débutera
le régime universel?
Pour l’instant, en 2025. La question
est censée avoir été tranchée depuis
le rapport Delevoye remis mi-juillet.
«Le système universel s’appliquera
au plus tôt aux personnes nées
en 1963 et après, et dont l’âge légal
de départ en retraite, soit 62 ans,
sera atteint à compter du 1er jan-
vier 2025», peut-on lire à la page 25
de ce document. Pour les métiers
qui bénéficient de départs antici-
pés, les premières générations
concernées seront celles nées
en 1968 (pour ceux pouvant partir
à 57 ans) ou en 1973 (pour un départ
possible à 52 ans). Mais, déjà, le
haut-commissaire laissait ouvert,
dans ce même rapport, «d’autres
options qui conduiraient à appli-
quer le nouveau système à des géné-
rations autres que la génération née
en 1963». «Il peut s’agir de choisir
d’appliquer le système soit à une
génération postérieure, soit aux
nouveaux entrants sur le marché du
travail», est-il également écrit.
Cette idée d’un «plan B» du gouver-
nement fait beaucoup sourire à la
CGT, vent debout contre cette
réforme. «C’était déjà dans un docu-
ment distribué au printemps. On le
connaît par cœur, fait savoir Cathe-
rine Perret, numéro 2 de la centrale.
D’ailleurs, l’idée d’appliquer le nou-
veau régime aux seuls nouveaux en-
trants, Delevoye dit l’avoir mise pour
nous faire plaisir. Il appelle ça “le
scénario CGT”.»
En revanche, ces deux options
alternatives font beaucoup moins
rire à la CFDT, seule grande centrale
à réclamer un régime universel par
points. «On ne peut pas vouloir une
réforme avec plus de justice et dire
qu’on l’appliquera peut-être un
jour...» s’agace Frédéric Sève, en
charge de cette question pour le
syndicat. S’il faut repousser les
débuts de cette réforme, ce serait,
dit-il, uniquement «pour des raisons
techniques» liées aux «systèmes
informatiques» des différentes cais-
ses de retraite. Quant à réserver le
régime universel aux futurs en-
trants sur le marché du travail (op-
tion dite de «clause du grand-père»),
Sève n’en voit pas l’intérêt : «On veut
simplifier les choses et on créerait un
43 e régime? De jeunes, en plus? C’est
l’inverse de ce qu’il faudrait faire. On
aurait un régime de vieux d’un côté
qui finira en faillite et de l’autre, de
jeunes, en excédent.»
Seule exception possible : pour cer-
taines professions qui bénéficient
aujourd’hui de régimes particuliers
- spéciaux ou non. «Cela ne me cho-
que pas que, dans certains régimes,
la transition puisse être plus longue
parce que la marche est plus impor-
tante», affirme Dominique Corona
à l’Unsa. Ce qu’avait d’ailleurs ad-
mis Edouard Philippe dans son dis-
cours au Cese : «Si, pour certaines
professions, la période de transition
doit être plus longue, nous l’allon-
gerons», avait-il déclaré, citant en
exemple la possibilité de jouer sur
les «taux de cotisation pour les indé-
pendants» et les «âges de départ»
pour les métiers risqués ou fati-
gants, comme policier ou conduc-
teur de métro.
Le gouvernement
prépare-t-il un report?
Absolument pas. «Si certains com-
mencent à croire qu’on va reporter
cette réforme, la réponse est non»,
insiste-t-on à Matignon. En dépla-
cement jeudi soir à Lons-le-Saunier
(Jura) pour un débat sur cette
réforme, Edouard Philippe devait
rappeler le calendrier prévu : projet
de loi au printemps et premier pas-
sage au Parlement d’ici à l’été 2020.
Mais le Premier ministre, comme il
y a un mois devant le Cese, devait
également insister sur le «temps
nécessaire» pour que les Français
saisissent l’étendue du chantier.
«Les gens ont du mal à comprendre :
qu’est-ce qu’un “point”? Un “système
universel”? Beaucoup croient que
cette réforme ne concerne que les
régimes spéciaux, dit-on à Mati-
gnon. On veut que les détails de la
réforme entrent dans l’atmosphère.»
Que compte
faire Matignon?
Temporiser encore quelques semai-
nes avant le bras de fer avec certains
syndicats annoncé pour le 5 décem-
bre (lire ci-contre). Et laisser filtrer
l’idée que les générations plus ou
moins proches de la retraite pour-
raient ne pas être concernées. «La
première génération concernée
par la réforme sera-t-elle celle née
en 1963, 1964, 1965...? On verra»,
assure-t-on à Matignon.
Epargner cette partie de la popula-
tion qui craint de perdre ses acquis
à quelques années de la retraite
serait aussi stratégique : si, comme
il l’a annoncé, le gouvernement
souhaite rétablir l’équilibre du sys-
tème au moment de la bascule dans
le régime universel, il devrait
demander aux générations nées
entre 1963 et 1973 de travailler plus
longtemps. Edouard Philippe ne
livrera pas sa solution avant la
mi-novembre et la publication d’un
rapport commandé au Conseil
d’orientation des retraites (COR).
Mais puisqu’il a déjà exclu de
repousser l’âge légal de départ
(62 ans), d’augmenter les cotisations
ou de geler les pensions, il ne lui
reste guère d’autres solutions. Une
pleine génération concernée à la
fois par les débuts du régime univer-
sel et à qui on demanderait de por-
ter l’effort de l’équilibre du système,
ciblée en raison de l’âge et non de la
catégorie professionnelle : ce serait
un cadeau inespéré aux syndicats
opposés à cette réforme et qui espè-
rent toujours mobiliser des millions
de personnes dans la rue.•
Décryptage
Par
Lilian Alemagna
Retraites
Une vague
montée
en régime
Sans pour autant vouloir reporter le planning
de la réforme, le gouvernement et le haut-
commissaire Jean-Paul Delevoye entretiennent
le flou sur ses modalités. En particulier
sur la première génération de Français
concernée par le nouveau système.
France
«On veut simplifier
les choses
et on créerait
un 43e régime?
De jeunes, en plus?
C’est l’inverse de ce
qu’il faudrait faire.»
Frédéric Sève chargé
des retraites pour la CFDT
12 u Libération Vendredi^18 Octobre 2019