D
ix jours après le début de
l’opération «Source de paix»
- l’offensive turque contre
les milices kurdes du nord syrien –,
le vice-président américain, Mike
Pence, a annoncé un cessez-le-feu
de cent vingt heures. Il venait de
s’entretenir plusieurs heures à An-
kara avec le président turc, Recep
Tayyip Erdogan.
Depuis le 9 octobre, les cartes ont
été complètement rebattues entre
les forces sur le terrain (lire ci-con-
tre). Washington, après avoir provo-
qué l’embrasement en décidant in-
tempestivement le retrait de ses
troupes le 6 octobre, avait con-
damné l’opération et réclamé la fin
des combats en menaçant la Tur-
quie de sanctions.
Mais depuis une semaine, c’est sur-
tout la Russie qui est à la manœuvre,
négociant avec toutes les parties
belligérantes. Depuis l’Arabie Saou-
dite et les Emirats arabes unis, où il
recevait lundi un accueil grandiose
dans les bastions pro-américains du
Moyen-Orient, Vladimir Poutine a
pu savourer les points marqués par
ses négociateurs sur le théâtre nord-
Par
Veronika Dorman
et Hala Kodmani
éditorial
Par
Alexandra
Schwartzbrod
Brèche
La nature a horreur du vide
et le Moyen-Orient encore
plus. La puissance améri-
caine se retirant du jeu
de massacre en cours
depuis 2011 en Syrie et dans
ses environs, la Russie s’est
engouffrée dans la brèche.
Vladimir Poutine, qui a
compris depuis longtemps
à quel point l’inconsé-
quence de Donald Trump
pouvait lui être utile, n’a eu
qu’à se baisser pour ramas-
ser la mise. Il a tranquille-
ment attendu que les trou-
pes américaines se retirent
de Syrie, que les Turcs atta-
quent comme ils annon-
çaient vouloir le faire
depuis des mois, que la per-
spective d’un bain de sang
kurde fasse frémir la pla-
nète pour apparaître
comme une sorte de sau-
veur. Pire encore : celui
qu’il tient à bout de bras de-
puis le début du délitement
syrien, celui que l’on ne
peut plus appeler autre-
ment que «le boucher de
Damas», Bachar al-Assad,
se donne des allures de
chevalier blanc, espérant se
refaire une vertu et une
légitimité auprès de diri-
geants européens et améri-
cains empêtrés dans leur
impuissance ou leurs
contradictions et leur
lâcheté. Depuis dix jours,
c’est un nouvel ordre syrien
qui se met en place, ou plu-
tôt un nouveau désordre :
malgré les rodomontades
du vice-président améri-
cain, jeudi soir, s’enor-
gueillissant d’avoir obtenu
un cessez-le-feu, c’est bien
Moscou qui a poussé An-
kara à faire baisser la pres-
sion sur le terrain. Les per-
dants sont les Kurdes, qui
voient une nouvelle fois
s’envoler l’espoir d’un terri-
toire, mais aussi les Occi-
dentaux, qui ont fait tout ce
qu’il ne fallait pas (ou évité
de faire tout ce qu’il fallait)
depuis le début de cette tra-
gédie. Les gagnants sont
Recep Tayyip Erdogan, qui
obtient la sécurisation de la
zone frontalière entre la
Turquie et la Syrie, Bachar
al-Assad, qui continue
à s’agiter au bout des ficel-
les tenues par l’allié russe,
et Vladimir Poutine, qui
aura toutes les cartes
en main une fois le cessez-
le-feu effectif sur
le terrain.•
Événement
A la roulette
syrienne,
c’est les Russes
qui gagnent
Attaque turque, retrait des troupes américaines,
alliance des Kurdes avec Damas... Et finalement
un cessez-le-feu annoncé jeudi soir par
Washington. En quelques jours, les cartes ont été
rebattues en Syrie. Moscou, l’allié d’Al-Assad, est
désormais en position de force, militairement
et diplomatiquement.
Zone tampon
visée par la Turquie
TURQUIE
LIBAN
SYRIE
IRAK
Oensive
turque
Deir el-Zor
Qamichli
Hassaké
Tall Tamr
Al-Hol
Al-Baghouz
Tabqa Raqqa
Tall Afar
Semalka
Al-Malikiyah
Palmyre
Hamah
Alep
Afrin Manbij
Kobané
Jarablous
Gaziantep
Tall Abyad
Ras al-Ain
Ain Issa
Mosul
Homs
Idlib
Euphrate
Euphrate
Source : AFP
Armée turque
et alliés
Forces arabo-kurdes
Forces
gouvernementales
Rebelles jihadistes
Hayat Tahrir al-Sham
Zones contrôlées par
Combats
Peuplement kurde
Présence du régime syrien
40 km
2 u Libération Vendredi^18 Octobre 2019