Les Echos - 14.10.2019

(Ron) #1
Il n’y a « rien de personnel » dans la révocation de Thierry Bolloré, « c’est la vie des entreprises », a affirmé vendredi le président
de Renault, Jean-Dominique Senard, à propos du départ forcé de son numéro deux. Photo Denis Allard/RÉA

si ce n’est pas une spécialiste de
l’automobile. « Plusieurs rescapés
chez Renault ou Nissan pourraient
avoir le potentiel nécessaire », souf-
fle un bon connaisseur du groupe.
« Il faut un dirigeant (ou une diri-
geante) capable d’emmener les
troupes, ayant une expérience dans
l’industrie, si possible dans l’auto-
mobile ou chez un équipementier.
Il (ou elle) devra avoir été numéro
un, et être capable de travailler à
l’international », explique une
source bien informée. Une bonne
connaissance de l’Asie, voire de la
culture japonaise, sera évidem-
ment cruciale, alors que la relance
de l’Alliance est clef pour Renault.
Enfin, « une expérience avec un Etat
présent au capital serait un plus »,
indique la même source.

L’exemple Ben Smith
Jean-Dominique Senard a ajouté
vendredi quelques critères – égra-
tignant en creux Thierry Bolloré.
« Il faudra une personnalité qui
comprenne le caractère impératif
de l’Alliance, et capable d’insuffler
un esprit de responsabilité, de briser
les silos, d’accroître la transversalité
des décisions ». Le recrutement
du canadien Ben Smith, nommé
directeur général d’Air France-
KLM en août 2018, est cité en
exemple par plusieurs protago-
nistes de l’affaire : l’expérience, la
connaissance du secteur, et la
compétence devront primer sur
d’autres considérations, comme
l’appartenance à l’élite française
ou même la nationalité. « Une
bonne dizaine de dirigeants cochent
les cases », affirme une source au
fait du dossier. Les candidats
seraient en tout cas nombreux à
frapper à la porte. —A. F.

Qui pour remplacer Thierry Bol-
loré à la direction générale de
Renault? La chasse est désormais
officiellement ouverte, confiée,
selon nos informations, à deux
cabinets, le suisse Egon Zehnder et
le français Emeric Lepoutre &
Partners. « Il va falloir aller vite,
nous nous donnons quelques
semaines », indique un proche du
Losange. Même si le président
Jean-Dominique Senard a expli-
qué vendredi que « tout est
ouvert », la liste des candidats
internes possibles semble réduite.
Au cours de l’ère Ghosn, plu-
sieurs numéros deux considérés
comme successeurs possibles du
PDG tout-puissant, ont quitté le
groupe. Patrick Pelata a été sacrifié
après l’affaire des espions, et
l’impatient Carlos Tavares a pris la
tête de l’ennemi historique, PSA.
Depuis la nomination de Thierry
Bolloré, l’hémorragie de hauts
dirigeants à la tête du Losange
ou de l’Alliance Renault-Nissan
s’est poursuivie – à supposer que
l’un d’eux ait eu le profil pour diri-
ger un groupe qui emploie
186.000 salariés dans le monde.
La porte n’est toutefois pas tota-
lement fermée. La directrice géné-
rale intérimaire, Clotilde Delbos,
qui a connu Jean-Dominique
Senard chez Pechiney, fera partie
des candidats auditionnés, même

Les cabinets de recrute-
ment Egon Zehnder
et Emeric Lepoutre &
Partners devront trouver
un dirigeant ayant une
expérience de l’industrie,
capable de travailler
à l’international et ayant
été numéro un.

A la recherche d’une


nouvelle direction


Bien sûr, elle doit être améliorée.
Mais ce n’est pas le sujet. » C’est une
femme de cinquante-deux ans,
Clotilde Delbos, qui a été désignée
pour assurer l’intérim. Directrice
financière du losange depuis 2016,
elle avait rejoint Renault en 2012
après avoir fait une bonne partie de
sa carrière dans le groupe Pechiney
(racheté en 2005 par Alcan) – où elle
a côtoyé Jean-Dominique Senard.
Le directeur commercial, Olivier
Murguet, et le directeur de la fabri-
cation, Vicente de los Mozos, ont été
nommés directeurs généraux
adjoints. Après leur allocution
devant le conseil, les t rois dirigeants
ont été vivement applaudis, selon
une source interne. « L’atmosphère
était pesante, nous allons enfin respi-
rer », dit un cadre.

Les marchés apprécient
Les investisseurs ont salué ce qui
apparaît comme une clarification
de la gouvernance : le cours de
l’action Renault a fini vendredi en
hausse de 5,12 %. Désormais seul
aux manettes, Jean-Dominique
Senard sort de cet épisode renforcé,
mais également plus exposé. L’Etat
lui a renouvelé son soutien, et il va
pouvoir choisir son numéro deux.
Un oiseau rare qui aura la lourde
tâche de recentrer le constructeur
sur ses enjeux commerciaux et
industriels, alors que le secteur est
pris en tenaille entre le ralentisse-
ment des marchés et les investisse-
ments nécessaires dans la voiture
du futur.n

lUn conseil extraordinaire a acté vendredi la révocation avec effet immédiat du directeur général du Losange.


lLe président assure qu’il n’y a « rien de personnel » dans cette décision, qui est censée relancer aussi bien Renault


que l’Alliance avec Nissan. La chasse de tête pour recruter le nouveau DG a été lancée.


En évinçant Bolloré, Senard cherche

un « nouveau souffle » pour Renault

Anne Feitz
@afeitz
et Lionel Steinmann
@lionelSteinmann


Exit Thierry Bolloré. Les soubre-
sauts qui agitent la gouvernance de
Renault depuis l’arrestation de Car-
los Ghosn au Japon en novem-
bre 2108 ont connu un nouvel épi-
sode vendredi, avec la révocation
« avec effet immédiat » du directeur
général, décision prise par un con-
seil d’administration extraordi-
naire convoqué la veille en urgence.
« Il y a eu très peu de débats sur le
fond », indique une source proche
du groupe. Le plaidoyer du diri-
geant déchu devant les administra-
teurs n’y a rien changé.
Devant la presse, le président
Jean-Dominique Senard s’est
efforcé de jouer l’apaisement, après
le brûlot lancé la veille par Thierry
Bolloré. Se sachant menacé, le
numéro deux du losange avait
dénoncé dans une interview aux
« Echos » « un coup de force stupé-
fiant et inquiétant. » Sans aller aussi
loin, nombre d’observateurs se sont
dits surpris par la manière, comme
le syndicat CFE-CGC, qui a pointé
dans cette éviction « la brutalité d e la
forme [...] pour le moins inadaptée ».


« Une décision collégiale »
Le limogeage a paru brutal, car rien
n’avait réellement filtré des graves
dissensions qui couvaient depuis
plusieurs mois au sommet de
l’entreprise. Jean-Dominique
Senard n’a pas voulu jeter de l’huile
sur le feu. Il a simplement assuré
que, cette « décision collégiale »
(adoptée à l’unanimité moins trois
abstentions) n’a rien eu de précipité.
Elle résulte d’une réflexion sur la
gouvernance de Nissan, mais aussi
de Renault, « qui atteint aujourd’hui
sa maturité ». Les représentants au
conseil de l’Etat français (qui détient
15 % du capital de Renault), ont
« suivi les recommandations du pré-
sident », indique-t-on à Bercy. L’exé-
cutif réclamait d e longue d ate que le
« ménage soit fait » au sein du
losange.
« Le nouveau souffle de l’Alliance
nécessite une nouvelle gouvernance,
le nouveau souffle pour Renault
nécessite un nouveau patron », a
répété Jean-Dominique Senard,
affirmant que l’éviction de Thierry
Bolloré n’était liée ni au change-
ment de gouvernance chez Nissan,
décidé quelques jours plus tôt, ni
aux résultats économiques du
losange : « La question de la perfor-
mance collective n’est p as sur la table.


AUTOMOBILE


ZAC DE CHAMPIGNY PARIS-EST –
CHAMPIGNY-SUR-MARNE
Dans le cadre de la concertation de La
ZAC « Champigny-Paris-Est » d’initiative
EpaMarne, sur le territoire de la commune
de Champigny-sur-Marne, lancée en mai
2019, une réunion publique de restitution
avait été annoncée en octobre ou
novembre 2019 selon le calendrier initial.
La concertation étant prolongée, il est
apparu nécessaire d’ajouter un atelier
complémentaire, en conséquence, cette
réunion de bilan de concertation sera
reprogrammée ultérieurement.
A noter qu’un registre reste ouvert en
mairie de Champigny-sur-Marne afin de
poursuivre cette période de concertation.

La ligne de référence est de 40 signes
en corps minimal de6points didot.
Le calibrage
de l’annonce est établi de filetàfilet.
Les départements habilités
sont 75, 78, 91, 92, 93, 94, 95 et 69.
LES ECHOS SOCIÉTÉS-LEPUBLICATEURLÉGAL-LAVIE JUDICIAIRE

« La seule chose que l’on me repro-
che peut-être, c’est d’avoir été
nommé directeur général adjoint
début 2018 sur proposition de Car-
los Ghosn. » Dans son ultime inter-
view donnée jeudi aux « Echos »,
Thierry Bolloré défend son bilan
et plaide l’injustice. Après le rema-
niement de l’état-major de Nissan,
en début de semaine, l’ancien
directeur de Renault était, il est
vrai, le dernier haut dirigeant res-
capé de l’ère Ghosn. A-t-il payé sa
loyauté à son ancien mentor?
Peut-être.
Mais ce n’est certainement pas
la seule explication à sa disgrâce.
Le conseil d’administration de
Renault et Jean-Dominique
Senard avaient choisi de lui laisser
sa chance. L’ex-dirigeant de
Michelin, entré chez Renault en
2012, était loin d’avoir le soutien de
l’ensemble des administrateurs
lorsqu’il a été nommé numéro
deux du groupe en janvier 2019
dans la tempête de l’affaire Ghosn.
Beaucoup s’interrogeaient alors
sur sa vision stratégique et sa
capacité à emmener le groupe.
Faute d’autre candidat évident, et
pour ne pas déstabiliser davan-
tage un groupe traumatisé par le
scandale, le choix de la continuité
avait finalement alors prévalu.
Thierry Bolloré n’a pas su trans-

former l’essai. Jean-Dominique
Senard a eu beau répéter vendredi
que sa mise à l’écart n’était « pas
personnelle », la confiance ne s’est
jamais vraiment installée entre les
deux hommes. Les relations
s’étaient même nettement dégra-
dées ces derniers mois – même si
l’ex-DG se prévaut d’avoir toujours
été loyal.
« Senard a découvert qu’il lui
cachait sciemment des éléments
importants, ou qu’il ne suivait pas
ses instructions », rapporte un bon
connaisseur du dossier. Plusieurs
sources rapportent aussi que
Thierry B olloré commençait à cri-
tiquer quasi ouvertement le prési-
dent pour sa gestion de la fusion
ratée avec Fiat Chrysler, l’accusant
de faiblesse à l’égard de Nissan.

En l’occurrence, la défiance
(réciproque) qu’il continuait de
manifester vis-à-vis de l’état-ma-
jor japonais, son attitude cassante
à leur encontre, ont également
joué contre lui, constituant un
frein puissant à une relance de
l’Alliance jugée absolument
nécessaire à Paris.
Enfin, sa gestion de l’entreprise,
qualifiée de brutale, suscitait de
plus en plus de critiques. S’il est
naturel pour un nouveau patron
de constituer un comex à sa main,
le choix d’anciens consultants ou

de novices de l’automobile, conju-
gué aux départs de nombreux
dirigeants (pour certains appré-
ciés en interne), a alerté le Conseil.
« Sans parler des départs non
médiatisés : il y avait une véritable
fuite des talents », souffle un
ancien. Le programme FAST, mis
en place pour rendre l’entreprise
plus a gile, a aussi e ntraîné une cer-
taine désorganisation. « Les gens
sont perdus, les décisions à long
terme ont du mal à se prendre »,
pointe une source interne, déplo-
rant un recours excessif aux
consultants du Boston Consulting
Group.
Il est difficile de mesurer
l’impact de ces décisions sur les
performances d’un Renault en
crise depuis onze mois. Les der-
niers résultats semestriels ont, il
est vrai, été marqués par un free
cash-flow négatif de 700 millions
d’euros, et ont été « aidés par la
comptabilité », selon les analystes
spécialistes du groupe. Mais cette
dégradation des comptes s’expli-
que aussi par l’effondrement de
plusieurs marchés importants
(Turquie, Argentine) et par le lan-
cement de nouveaux véhicules
comme la ZOE ou le Captur. « Des
lancements qui auront un impact
positif l’an prochain », rappelle
Gaëtan Toulemonde, chez Deuts-
che Bank.
« Nous préparons l’avenir, la
remontée de cash en cours est con-
forme aux années précédentes », se
défend Thierry Bolloré. Mais les
plans d’économies tous azimuts et
les retards de paiement des four-
nisseurs, utilisés pour stopper
l’hémorragie de cash, alimentent
aussi les arguments de ses détrac-
teurs. —A. F.

L’ex-directeur général


n’a pas transformé l’essai


Thierry Bolloré est
aujourd’hui accusé d’avoir
manqué de loyauté à
l’égard de Jean-Dominique
Senard, d’attiser la
défiance vis-à-vis de l’allié
japonais et de créer
des tensions au sein
de l’entreprise avec
une gestion brutale.

Son attitude cassante
à l’encontre de Nissan
a joué contre lui,
constituant un frein
puissant à une
relance de l’Alliance.

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Lundi 14 octobre 2019Les Echos

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