16 |économie & entreprise SAMEDI 26 OCTOBRE 2019
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Radio France internationale
mise sur les langues africaines
La station vient d’installer au Sénégal une rédaction en mandingue
et en fulfulde, deux idiomes parlés par 80 millions d’individus
dakar (sénégal)
C
omment traduiton
Brexit en mandingue?
Ce genre d’interroga
tions est le lot quotidien
de Kpénahi Traoré. Originaire du
Burkina Faso, la journaliste tra
vaille pour la rédaction de Radio
France Internationale (RFI), qui
produit des contenus dans cette
langue parlée par plus de 40 mil
lions de personnes au Mali, au
Burkina, et dans les pays voisins.
« On dit Brexit, mais ensuite, il faut
bien expliquer, détaille la jeune
femme, qui, ce matinlà, a mis le
sujet au menu de son bulletin d’in
formation. Beaucoup de choses
ont évolué dans le monde, mais pas
forcément les langues africaines.
Nous devons bien réfléchir au lexi
que, et parfois le recréer, pour pou
voir commenter l’actualité. »
La radio émet en mandingue de
puis déjà quatre ans. Mais le projet,
démarré au siège, à IssylesMouli
neaux, en 2015, a pris une nouvelle
dimension avec l’installation des
équipes à Dakar, au Sénégal, dans
des locaux inaugurés mardi 22 oc
tobre (une cérémonie à laquelle Le
Monde était convié). Il s’est aussi
enrichi, depuis le printemps, d’un
magazine hebdomadaire en ful
fulde, la langue des ethnies peules,
elle aussi pratiquée par 40 mil
lions de locuteurs dans la bande
sahélienne. Des programmes dif
fusés en modulation de fréquen
ces, en ondes courtes et via des ra
dios partenaires.
La radio creuse ainsi son sillon
après avoir déjà lancé, en 2007,
une antenne en haoussa, l’une des
langues principales d’Afrique de
l’Ouest, puis, en 2010, un service en
kiswahili, notamment parlé dans
la région des Grands Lacs et sur la
côte est du continent. « Nous choi
sissons à chaque fois des langues
transnationales, explique Cécile
Mégie, la directrice de RFI. Avec el
les, on atteint des populations rura
les, plus jeunes, féminines et moins
alphabétisées, que l’on n’arrive pas
à toucher avec le français seul. »
Historiquement, sur le conti
nent, la radio rivalise avec d’autres
stations internationales, telles que
la BBC, l’allemande Deutsche
Welle ou l’américaine Voice of
America. Toutes diffusent en plu
sieurs langues africaines, certai
nes depuis des décennies. RFI s’y
est, elle, convertie tardivement.
Dans son « pré carré », en Afrique
francophone, elle demeure cepen
dant la première radio internatio
nale, selon TNSSofres. En
moyenne, 40 % de la population
l’écoute chaque semaine – et
même 75 % des cadres dirigeants.
D’ailleurs, la « radio mondiale » est
avant tout une radio africaine. La
part du continent dans son audi
toire est estimée à plus de 70 %.
« RFI reste très populaire, mais
elle doit composer avec un paysage
médiatique qui s’enrichit de radios
privées nationales et aussi de nou
velles radios étrangères, venues de
Chine ou du Maroc, analyse le Béni
nois Gilles Yabi, fondateur du
think tank Wathi, à Dakar. Emettre
dans des langues locales permet de
capter des populations larges qui
sont peu à l’aise avec le français,
mais deviendront peutêtre de plus
en plus influentes politiquement.
C’est intelligent d’un point de vue
stratégique, à la fois pour RFI et
pour la diplomatie française. »
Une portée politique
La station se défend d’être le porte
voix du Quai d’Orsay. « Nous som
mes une radio de “service au pu
blic”, pas un média d’Etat », insiste
Mme Mégie. La portée politique du
projet n’est pas niée. Les contenus
en mandingue et fulfulde ciblent
une bande sahélienne où la situa
tion sécuritaire ne cesse de se dé
grader, avec la multiplication de
conflits interethniques et la mon
tée en puissance de groupes terro
ristes. « C’est important de donner
accès à un journalisme libre et
équilibré dans des zones tendues
qui subissent une radicalisation de
l’information », affirme Marie
Christine Saragosse, la patronne
de France Médias Monde (RFI,
France 24, etc.).
Un objectif ambitieux qui doit,
pour l’heure, s’accommoder d’un
volume de diffusion modeste.
Quand le service en haoussa pro
duit plus de 14 heures de program
mes par semaine, le mandingue
n’en est qu’à six heures hebdoma
daire et le fulfulde une heure.
A Dakar, la petite équipe assure
pourtant avoir déjà trouvé son pu
blic. « Depuis qu’on a lancé l’émis
sion, ça réagit beaucoup, tellement
qu’on ne sait pas comment répon
dre à tout le monde », s’exclame
Aïssatou Ly, animatrice en ful
fulde, une langue jusqu’alors igno
rée par toutes les radios interna
tionales. Cette ancienne du jour
nal sénégalais Le Quotidien mon
tre sur son téléphone les
33 787 messages en attente dans le
fil de discussion WhatsApp consa
cré au programme.
La rédaction en mandingue, avec
ses huit journalistes – tous afri
cains – installés à Dakar et son ré
seau de huit correspondants dans
la région, met un point d’honneur
à ne pas négliger l’actualité inter
nationale. « Il ne faut pas croire,
eux aussi s’intéressent à ce qui se
passe en Syrie, entre les grandes
puissances. Cela peut avoir des ré
percussions sur leurs vies », affirme
Ousmane (qui préfère taire son
nom), exjournaliste de la télévi
sion nationale burkinabée.
MarieChristine Saragosse plai
de pour développer ces nouveaux
services. A charge pour elle de
convaincre l’Agence française de
développement qui finance
aujourd’hui les contenus pro
duits et diffusés en fulfulde. Et, à
l’avenir, pourquoi ne pas décliner
aussi un des magazines en wolof,
la langue la plus parlée au Séné
gal? Puisque la nouvelle rédac
tion est établie à Dakar, atelle ex
pliqué mardi, ce serait un geste de
respect. De « yeuk », comme on
dit en wolof.
marie de vergès
« On atteint
des populations
rurales, plus
jeunes, féminines
et moins
alphabétisées »
CÉCILE MÉGIE
directrice de RFI
Droits d’auteur : les médias français
ripostent à Google et scrutent Facebook
Les deux géants du Web ne respectent pas la loi. La presse porte plainte
L
a presse française précise
sa riposte face à Google.
Comme pressenti, l’Al
liance de la presse d’information
générale (APIG) a annoncé, jeudi
24 octobre, le dépôt de plaintes
auprès de l’Autorité de la concur
rence pour dénoncer un abus de
position dominante du leader
mondial de la recherche en ligne.
Les médias espèrent ainsi forcer
Google à négocier le droit voisin
instauré par la loi du 23 juillet, qui
leur donne la possibilité de
s’entendre sur une rémunération
pour la reprise d’extraits de leurs
articles – ce que l’entreprise amé
ricaine refuse.
Les plaignants demandent à
l’Autorité de la concurrence de
prendre des « mesures conserva
toires » : ordonner à Google de
proposer une offre tarifaire pour
la reprise des contenus, désigner
un expert de l’Autorité sous
l’égide duquel la négociation se
mènera, fixer un délai de négocia
tion de trois mois et imposer que
le prix s’applique de façon ré
troactive à partir du 24 octobre,
date d’entrée en vigueur de la loi.
Les plaintes sont déposées par
l’APIG et ses membres, les syndi
cats de la presse quotidienne na
tionale, quotidienne régionale,
magazine ou hebdomadaire ré
gionale. L’Agence FrancePresse a
déposé un recours similaire. Côté
audiovisuel, France Télévisions,
Radio France et M6 soutiennent
la démarche.
« Google nous a laissé le choix en
tre la peste et le choléra », a justifié
JeanMichel Baylet, président de
l’APIG. En effet, l’entreprise améri
caine a refusé la logique du droit
voisin : elle a annoncé, le 25 sep
tembre, qu’elle cesserait d’utiliser
des extraits d’articles – les quel
ques lignes de texte citant le con
tenu, ainsi que les photos – sur le
moteur de recherche et sur Goo
gle Actualités. Elle ne laisserait
qu’un titre et un lien, à moins que
les éditeurs lui donnent l’autorisa
tion de les afficher gratuitement.
Une bataille politique
Les éditeurs de l’APIG ont rétorqué
qu’ils ne pouvaient pas « s’ampu
ter euxmêmes » d’une part des
clics apportés par Google, plus
nombreux quand les extraits sont
enrichis. Les médias ont donc de
mandé à la firme de Mountain
View (Californie) de ne rien enle
ver, tout en faisant savoir qu’ils
« ne renonçaient en rien » à leur
droit voisin. Et ils déposent
plainte. Celleci pourratelle
aboutir juridiquement?
La bataille est aussi politique et
le débat intègre désormais un
deuxième protagoniste : Face
book. L’entreprise de Mark Zuc
kerberg a fait savoir, jeudi, qu’elle
ne comptait pas davantage que
Google payer pour le droit voisin :
« Les dispositions de cette loi pré
voient notamment l’autorisation
des éditeurs de presse pour affi
cher, dans un format enrichi, les
liens vers leurs contenus. C’est déjà
le cas sur Facebook. Les éditeurs de
presse décident, en effet, de la pu
blication de leurs contenus sur no
tre plateforme », argumentet
elle dans un communiqué. Et
pour les articles que les utilisa
teurs de Facebook partagent sur
le réseau social? Ceuxci ne repré
sentent qu’une « très petite part
des contenus » de presse vus sur
Facebook, assure l’entreprise. « Si
les éditeurs souhaitent que les liens
publiés par les utilisateurs s’affi
chent dans un format enrichi sur
Facebook, ils auront la possibilité
de nous donner leur accord »,
ajoute le groupe.
Pourtant, Facebook semblait,
jeudi, se distinguer de Google, aux
yeux des éditeurs de presse. Le ré
seau social annonce en effet, ce
vendredi, un nouvel onglet ré
servé aux contenus de médias de
qualité, qui seront rémunérés par
la plateforme. Cette initiative est
réservée aux EtatsUnis, mais le ré
seau social dit « engager des discus
sions avec les éditeurs français ».
« Cela revient au principe de payer
pour du contenu. L’attitude de Face
book est différente de celle de Goo
gle », estimait jeudi Marc Feuillée,
directeur général du Figaro. Tout
en mettant en garde : « Le partena
riat de Facebook aux EtatsUnis ex
clut certains éditeurs et il ne vaut
pas mise en conformité avec le droit
voisin. Nous sommes ouverts à la
discussion, mais il y a une loi. »
alexandre piquard
Le CSA face au cas Zemmour
L
e Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) doitil et peutil
contrer Eric Zemmour, présent quotidiennement à la télé
vision? L’essayiste, dont l’allocution du 28 septembre, lors
de la « convention de la droite » organisée par des proches de Ma
rion Maréchal, avait été diffusée in extenso sur LCI, officie, de
puis le 14 octobre, chaque soir sur CNews pendant une heure.
Problème : la mission du CSA n’est pas de sanctionner des pro
pos potentiellement illégaux, mais d’obliger les chaînes à respec
ter leurs conventions et certaines règles déontologiques fixées et
ce, sans nuire à la liberté d’expression. C’est muni de cet arsenal
juridique complexe que le régulateur a tenté de lancer un avertis
sement aux chaînes de télévision, jeudi 24 octobre.
Le CSA a annoncé qu’il allait utiliser pour la première fois con
tre une chaîne française l’article 40 du code de procédure pé
nale, qui oblige une autorité publique à notifier au procureur
toute infraction pénale potentielle. Il va donc collaborer à l’en
quête ouverte par le parquet de Paris le 1er octobre contre Eric
Zemmour pour « injures publiques » et « provocation publique
à la discrimination, la haine ou la violence » en transmettant au
procureur « les éléments en sa possession », et notamment les
saisines des téléspectateurs. Dans le passé, le CSA avait collaboré
avec la justice, en 2005, après des pro
pos d’incitation à la haine raciale dif
fusés sur la chaîne iranienne Sahar 1.
En revanche, l’instance a décidé de
ne pas prendre de sanctions contre
LCI, se contentant d’une simple mise
en garde. Et ce, même si elle a estimé
que « le format de l’émission » – la dif
fusion du discours dans sa totalité –
« n’avait permis ni de mettre en con
texte les propos tenus, ni d’apporter une contradiction adé
quate ». Pourquoi un tel renoncement? Visiblement, le CSA
craignait que LCI, qui n’a eu de cesse de rappeler qu’une émis
sion en plateau avait été organisée ensuite pour débattre de l’al
locution, conteste une sanction devant le Conseil d’Etat.
Enfin, s’adressant, sans la nommer, à CNews, le régulateur a
appelé les médias « à la responsabilité ». « La liberté d’expression
ne saurait justifier la diffusion de propos susceptibles d’inciter à
la haine ou aux discriminations », a tancé le conseil. La veille,
Eric Zemmour, déjà condamné pour provocation à la haine ra
ciale à la miseptembre, faisait encore scandale, justifiant des
massacres de populations lors de la conquête de l’Algérie.
« Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence par
massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi, je
suis du côté du général Bugeaud », lançait l’essayiste. Un nou
veau cassetête en perspective pour le régulateur.
sandrine cassini
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