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SAMEDI 26 OCTOBRE 2019 international| 3
L’Irak ne veut plus
récupérer les
djihadistes étrangers
Face à l’instabilité sociale, Bagdad se dit dans
l’incapacité de gérer les combattants de l’EI
L’
option d’un jugement, à
Bagdad, des combattants
étrangers de l’organisa
tion Etat islamique (EI) toujours
détenus dans les prisons du nord
est de la Syrie semble de plus en
plus compromise, du fait de l’ins
tabilité politique et des réticences
croissantes des autorités irakien
nes. « Nous allons récupérer et ju
ger uniquement les ressortissants
irakiens. On ne sera pas responsa
bles des combattants étrangers. La
proposition d’en recevoir certains a
été rejetée », assure un diplomate
irakien. Evoquant les manifesta
tions massives qui ont repris à Ba
gdad et dans le Sud chiite du pays,
jeudi 24 octobre au soir, après une
semaine de mobilisation dure
ment réprimée au début du mois,
au prix de 157 morts, ce diplomate
estime qu’« une telle éventualité
est difficilement envisageable, au
vu de la situation interne en Irak. Il
en va de la stabilité du pays ».
La position irakienne a été noti
fiée au ministre des affaires étran
gères français, JeanYves Le Drian,
lors de sa visite à Bagdad, le 17 oc
tobre. Son homologue irakien,
Mohamed Ali AlHakim, avait
alors déclaré au sujet des combat
tants étrangers que « les pays con
cernés doivent prendre des mesu
res nécessaires et appropriées pour
les juger ». Le lendemain, à Erbil, la
capitale du Kurdistan irakien,
M. Le Drian avait toutefois an
noncé la mise en place, « très pro
chainement », d’une nouvelle coo
pération entre Paris et Bagdad sur
les volets « humanitaire, judiciaire
et pénitentiaire », qui pourrait
concerner des ressortissants fran
çais considérés comme justicia
bles devant les tribunaux irakiens.
Soixante combattants français
seraient encore détenus, avec
2 500 à 3 000 autres combattants
étrangers, dans les prisons sous
contrôle des forces kurdes syrien
nes. Près de 400 femmes et en
fants français se trouvent parmi
les 12 000 étrangers hébergés
dans les camps de déplacés du
NordEst syrien. Selon une source
bien informée, des ressortissants
français ou des francophones
pourraient aussi figurer parmi la
cinquantaine de combattants
étrangers transférés de Syrie vers
l’Irak par les Américains avant
l’offensive turque sur le nord de la
Syrie, le 9 octobre.
Malaise évident
Plusieurs sources diplomatiques
européennes laissent entendre
que l’option auparavant envisagée
de mettre en place en Irak un « mé
canisme juridictionnel spécifique »
pour juger leurs ressortissants,
négociée par une mission techni
que de sept pays, est compromise.
On assure toutefois à Paris que
quelques officiels irakiens ne fer
ment pas totalement la porte à de
nouvelles propositions de la
France ou du groupe des sept, une
perspective encore aléatoire. En
Belgique et aux PaysBas, des
questions posées à quatre minis
tères sont restées sans réponse,
signe d’un malaise évident.
Il y a une dizaine de jours, ces
deux pays avaient, avec leurs
cinq partenaires (France, Allema
gne, RoyaumeUni, Danemark et
Suède), signé une déclaration in
diquant que les contacts avec Bag
dad se poursuivaient, en vue d’un
traitement judiciaire « conforme
aux valeurs et objectifs de l’Union
européenne en matière de justice,
de sécurité et de respect des droits
de l’homme ». A savoir, notam
ment, le refus de la peine de mort.
Informés par les autorités irakien
nes de « la tâche immense » qui in
combait à cellesci, les signataires
redisaient cependant leur espoir
de voir encore les combattants de
l’EI jugés « au plus près des lieux où
ils ont commis leurs crimes ».
L’instabilité politique à Bagdad,
qui fragilise le gouvernement
d’Adel Abdel Mahdi, a entamé la
détermination irakienne. « Avant
la visite de M. Le Drian, il y a eu des
rumeurs dans la presse irakienne
que l’Irak allait juger 12 000 djiha
distes étrangers. Cela a aggravé la
situation interne », précise le di
plomate. De vives critiques ont
notamment été formulées par des
partisans du chef populiste chiite,
Moqtada AlSadr, qui dirige la pre
mière force politique au Parle
ment et soutient les manifesta
tions contre le gouvernement.
L’Irak estime par ailleurs n’être
pas « en capacité » d’accueillir ces
combattants étrangers, faute de
structures pénitentiaires et du
fait, avec l’instabilité politique, de
la crainte renforcée d’évasions.
Les critiques exprimées contre la
justice irakienne (la condamna
tion à la peine de mort, les risques
de torture et le manque de garan
ties pour un procès équitable) lors
du jugement, en juin, des onze
Français transférés depuis la Syrie
ont par ailleurs suscité un im
mense désarroi à Bagdad, où l’on
pointe le manque de cohérence
de la France.
Si la piste irakienne était aban
donnée, la question du sort des
combattants étrangers se poserait
à nouveau. Avec l’arrêt de l’offen
sive turque, l’urgence n’est plus la
même, assureton à Paris : pour le
moment, les forces kurdes conti
nueront à garder les camps et les
prisons du NordEst syrien. Le
chaos des combats avait favorisé
des évasions. Plus de 800 femmes
et enfants étrangers de l’EI – dont
neuf Françaises et une vingtaine
d’enfants – se sont échappés du
camp de réfugiés d’Aïn Issa. Quel
que 100 prisonniers étrangers se
sont évadés des prisons depuis le
début de l’offensive turque, selon
l’émissaire américain pour la
Syrie, James Jeffrey.
On ne sait pas ce qu’il en sera à
plus long terme, si se confirme un
retour complet du pouvoir de Da
mas. La Syrie n’a pas hésité, dans le
passé, à libérer des djihadistes ou à
les instrumentaliser à des fins po
litiques, afin de faire pression sur
les capitales européennes pour un
rétablissement de relations diplo
matiques, ce qui serait un sym
bole de la « normalisation » que le
régime appelle de ses vœux, avec
le soutien de son parrain russe.
hélène sallon, marc semo
et jeanpierre stroobants
(à bruxelles)
Le chantage aux élections de Boris
Johnson pour sortir de l’impasse
Le premier ministre britannique dit vouloir donner plus de temps
aux députés pour examiner l’accord sur le Brexit
londres correspondante
B
rexitland vire à l’Absurd
land... Jeudi 24 octobre,
dans un nouveau mouve
ment aussi tactique qu’improba
ble, Boris Johnson a renoncé offi
ciellement à son Brexit pour Hal
loween – le 31 octobre – pour pro
poser aux députés des élections à
Noël. Il espère ainsi sortir de l’im
passe dans laquelle il se trouve à
nouveau, la résistance à son ac
cord, décroché la semaine der
nière à Bruxelles, s’organisant
progressivement à Westminster.
Son offre est une forme de chan
tage faite aux députés : M. John
son a dit bien vouloir « être rai
sonnable » et leur donner plus de
temps pour examiner son « excel
lent » accord avec Bruxelles, à
condition qu’ils soutiennent sa
demande d’élections générales le
12 décembre. « Il est vraiment
temps que l’opposition se con
fronte au jugement de nos pa
trons, les citoyens britanniques. »
Les élus doivent se prononcer sur
ce scrutin lundi 28 octobre.
Accepterontils de relever le
gant? Depuis le « Fixedterm Par
liaments Act » de 2011, il ne suffit
pas au premier ministre britan
nique de décréter des élections
générales pour qu’elles aient
lieu. Cette loi, prévue à l’époque
pour consolider le gouverne
ment de coalition entre libéraux
démocrates et conservateurs,
impose une majorité qualifiée
des deux tiers des voix à la
Chambre des communes pour
déclencher une élection législa
tive anticipée. Il faut donc à
M. Johnson réunir 434 voix. Dans
ce contexte, les suffrages des tra
vaillistes, deuxième force politi
que à Westminster, sont indis
pensables.
Jeremy Corbyn a, jeudi soir, re
fusé de répondre par l’affirmative.
Il ne soutiendra de nouvelles élec
tions que si le risque de « no deal »
est totalement évacué, atil af
firmé. Attendons la décision des
Européens demain, a dit en subs
tance le leader travailliste au mi
cro de la BBC. L’Union européenne
(UE) doit décider, dans les jours qui
viennent, d’un report du Brexit. Le
premier ministre britannique lui a
réclamé, le weekend dernier, un
décalage au 31 janvier 2020.
La France insistait jusqu’à pré
sent sur un report plus court.
Quelle sera sa position, après l’an
nonce de M. Johnson et la rebuf
fade de son adversaire? La déci
sion d’un report se prend à l’una
nimité des VingtSept. « Nous se
rons capables de prendre des
décisions si les élections ne sont
pas juste désirées, mais annon
cées, organisées », a déclaré, jeudi
soir, Amélie de Montchalin, se
crétaire d’Etat aux affaires euro
péennes. Paris préférerait atten
dre le vote de lundi sur l’élection
générale pour trancher.
En provoquant des élections gé
nérales, M. Johnson espère rega
gner la majorité absolue perdue
en juin 2017, à la suite de la campa
gne ratée de Theresa May. Il
compte jouer l’opposition entre
lui, qui aura tout entrepris, y com
pris négocier avec succès un nou
vel accord de divorce avec Bruxel
les, et des députés acharnés à l’em
pêcher de réaliser le Brexit, fruit
de la volonté populaire exprimée
lors du référendum de 2016...
Cette stratégie, son conseiller spé
cial Dominic Cummings la lui su
surre depuis des semaines.
Mais M. Corbyn a déjà, par deux
fois, refusé de retourner aux ur
nes en septembre. Ce manque
d’enthousiasme trahit de profon
des divisions internes. A en croire
les médias britanniques, lui
n’aurait rien contre des élections,
mais ses troupes, elles, sont nette
ment moins allantes. « Jusqu’à la
moitié » du groupe parlementaire
travailliste se rebellerait contre
son chef, s’il décidait de jouer le
jeu de M. Johnson, affirme le
Guardian. Tandis que le Tele
graph, proche de la ligne Johnson,
rapportait que les « whips » – les
responsables de la discipline du
parti à Westminster – ont fait cir
culer jeudi soir une note auprès
des élus, leur enjoignant de s’abs
tenir lundi.
Gouvernement zombie
Ils redoutent de payer par une
lourde défaite le positionnement
ambigu du parti sur le Brexit. Lors
du congrès annuel des travaillis
tes, fin septembre, M. Corbyn a re
fusé d’adopter une stratégie
100 % « remain » (rester dans l’UE)
et d’appeler immédiatement à un
deuxième référendum. Il défend
qu’une fois premier ministre, il
renégociera (pour la troisième
fois...) l’accord de divorce avec
Bruxelles. Avant de le soumettre
au choix des citoyens.
Downing Street semblait dé
sespéré jeudi soir, menaçant de
retirer le texte d’implémenta
tion dans le droit britannique de
son accord de divorce, si les élus
ne lui accordaient pas d’élec
tions anticipées lundi. Ce texte a
reçu une première validation,
mardi 22 octobre, après avoir
réussi à décrocher une majorité
confortable (30 voix), lors d’un
vote en deuxième lecture. Mais
Boris Johnson a décrété une
pause après que les députés lui
ont refusé une procédure d’exa
men ultrarapide du texte (deux
jours). Depuis, l’inquiétude des
députés, en particulier celle des
remainers (pour le maintien
dans l’UE), n’a cessé de monter,
s’agissant du contenu même du
texte. Il reprend, certes, de très
grands pans de l’accord conclu
entre Theresa May et les Euro
péens – dispositions concernant
les citoyens expatriés, par exem
ple –, mais présente des différen
ces fondamentales. Il ambi
tionne de couper franchement
les liens avec l’UE, rejetant tout
alignement systématique du
RoyaumeUni sur ses règles et
normes. Avec des conséquences
économiques potentiellement
dommageables, l’Union étant,
de loin, le premier partenaire
commercial du pays.
Les députés s’inquiètent aussi
des implications pratiques du pro
tocole nordirlandais, instaurant
des contrôles douaniers entre
cette province et le reste du Royau
meUni. Cette solution – qui pré
voit que l’Irlande du Nord reste
dans le territoire douanier britan
nique mais, dans les faits, conti
nue à faire partie du marché inté
rieur européen pour les biens –
implique des déclarations doua
nières dans les ports britanniques,
pour les biens en partance vers
Belfast.
Le DUP, le parti unioniste nord
irlandais, a rejeté cette solution,
et Nigel Dodds, le chef de file du
parti à la Chambre des commu
nes, insiste sur les risques d’insta
bilité politique en Irlande du
Nord qu’elle pourrait engendrer.
Que se passetil lundi si M. Jo
hnson perd son nouveau pari?
Un gouvernement zombie, sans
majorité, avec un « deal » dans les
limbes à Westminster, et incapa
ble de trouver l’issue de secours
des élections générales? Un cau
chemar pour les Britanniques
comme pour les Européens.
cécile ducourtieux
SOIXANTE
COMBATTANTS
FRANÇAIS SERAIENT
ENCORE DÉTENUS DANS
LES PRISONS SOUS
CONTRÔLE DES FORCES
KURDES SYRIENNES
Johnson espère
regagner
la majorité
absolue perdue
en juin 2017
Quel avenir pour l’individu
et ses libertés à l’ère
de l’intelligence artificielle?
« L’essayisteet romancier signe une enquête
sur les risques liberticides attachés
à l’intelligence artificielle. »
FlorentGeorgesco,Le Monde
«Une enquête fourmillante dans les lieux
où s’élabore l’intelligence artificielle.»
Alexandre Devecchio,Le Figaro Magazine
de l’intelligence artificielle?
« L’essayiste et romancier signe une enquête
sur les risques liberticides attachés
à l’intelligence artificielle. »
Le Monde
« Une enquête fourmillante dans les lieux
où s’élabore l’intelligence artificielle. »
Le Figaro Magazine