TexteClémentine Goldszal
rihanna, cheffe d’œuvres.
La reinedelapop,aux 280millions de disques
vendus, alancé une“biographie visuelle”,
unecompilation qu’ellerevendiquecomme
uneœuvre d’art. Rien de moins.
Rihanna, lors
de la soirée
de lancement de
son livre publié
par Phaidon,
éditeur d’art,
le 11 octobre,
àNew York.22
lasemaineEvan Agostini/AP/SipaLe monde despopstars estune courseauxmiL-
Lions,où desnombres àsept ou neufchiffresdeplusenplus
abstraits(nombredeclics,def ollo wers, cumuls deventes ou
de streaming) sont censés lessituer su rleb aromètredela
popula rité mondiale.Toutenhaut,BeyoncéetRihanna se
disput ent depuisdes années le titr edereine de lapop. Mais,
alorsque la première court-circuit eles voiestraditionnelles
de promotion,pourfaire de sesalbumsdes événements
transmédias, Riha nnaconstruitunempireauseinduquel
la musique,malgrésacarrièreaux 280millions dedisques
vendus,est de plus enplus anecdotique.Une pairedebaskets
pour la marque desportswear Puma, le statut historique
de premièreégérie noire de la maison Dior,une lign ede
maquillageencollaboration avecLVMHlancé eengrande
pompeen2017(FentyBeauty),suivied’une marque devête-
ments, cetteannée...Rihanna est-elle uneartiste,une œuvre
d’art, unefemmed’affaires,une militante?Difficileàdire,
et,après tout,pourquoi choisir?
Dern ière aventureartistic o-médiatiqueendate:unbeaulivre,
sobrementintituléRihanna,revient,enplusdecinqcents
pages et mi llephotos, surlav ie et l’ œuvredel’interprètede
Diamonds.Cette «biographie visuelle»deprèsdesept kilos,
tirée àplusieu rs dizainesdemilliersd’exemplaires,vendue
140euros,consti tueunbeaucoupdepub pour Phaidon,l’il-
lustre éditeurdeLucianFreud,OlafurEliassonouWillem de
Kooning. Jointe partéléphone,Debor ah Aaronson ,sav ice-
présidente, affirme avoir voulu donneraux lecteurs un aperçu
du quotidien de Rihanna:«Elle estent ournée,sef aittatouer,
va àundéfilé de mode,partenvacancesavecses amis...Etil
yabiensûr lesrendez-vousrégul iers :Coachella,leMet Gala,la cérémoniedes Grammy
Awards...»Compilation d’images
toutes plus instagrammables les
unes queles autres,Rihanna(le
livre) introniselachanteuse-busi-
nesswoman-mil itante-i cône en
artiste d’elle-même,maîtresse d’ un
storytellingsavammentorchestré.
«Rihanna se positionne commeune
Madonnacontemporaine,analyse le
directeur artisti queFabienBaron.
Danstoutcequ’elle fa it,ilyaun
message.Elle assume soncorps,n’hésitepas àdirecequ’elle
pense,mais, en mêmetemps, elle estpolitiquement correcte:
elle dé fendlesdroitsdesfemmesetdes minorités,ets aittrès
bienque le moment n’estpas àl’iconoclas me.Choqueravec
desimages, ça n’estpas dans l’airdutemps.»
Baronsaitdequoi il parl e. Au début desannées1990,il acosi-
gnélel ivreSex,de Madonna.Fruit de troissemaines de
séance sphoto ultrasecrètesaveclephotographe de mode
StevenMeisel ,ilp araî tenoctobre1992, le lendemainde
la sortiedel’albumErotica.Rudoyé parlac ritique, le livre
batpourtantinstantanémenttous le srecords :cinqcent mille
exemplairesont ét éachetés,une semaineaprès sa sortie.
Aujourd’huiencor e, avecson million et demid’exemplaires
écoulés,Sexrestel’undes «beaux livres»les plus vendus.
«Personne n’avaitjamai sosé fair eça,poursuitFabienBaron.
Pendantque noustravaillionsdessus,les paparazzis cher-
chaientpar tous lesmoyensàobtenir de simagesdushooting,
certains fo uillaientmêmemes poubelles. Tout le monde voulait
savoircequi se tramai t. Et,dès sa sortie,lec lipaété censuré,
l’Église étaitscandalisée...»Cerise surleg âteau, mêmeles
associationsféministesdénoncent desfantasmessadomaso-
chistesqui gl orifieraient laculturedu viol.
Près de trente ansplustard, Instagram et la fétichisation du
réeletdel’intimesont passés parlà. Rihannaavoulu,pourson
beaulivre,«une vibe spontanéeet naturelle,unpeu comme
lesreportagesdes années 1960,oùunphotographe suivait
un groupederockentournée pendant plusieurs semain es»,
explique Jen OHill,directriceartistique deFentyetcoéditrice
du livre. Pour dénicher desimagesinédites, lesproches de
la staront épluchésesarchives numériques,allantjusqu’à
exhumer d’un vieilordinateu rde2008des photosd’adoles-
cenceàlaBarbade. Début octobre, Rihannaannonçaitsur
Instagram la parution desa«première œuvre d’artdansune
nouvelle industrie»et,quelques joursplustard, unesoirée
de lancementréunissait au MuséeGuggenheimdeNew York
un parterre de fans et de gensdelamode. En septembre,
un exemplaire numéroté de l’ édit ion«UltraLuxur ySupreme»
(58kilos pour le livreetson piédestalenmarbre) aété rem-
portéaux enchères parlac hanteuseCardi BlorsduDiamond
Ball,leg aladecharit éque Rihannaorganisechaque année
pour sonassociation quipromeutl’accèsàl’éducationpour
desenfantsdéfavorisé s. Le prix ?Cent onze milledollars.