siamoise, dite«LaMadone de Lansdowne », du nom de son dernier
propriétaireconnu–l’actuel propriétaireétantsecret.AussiVincent
Delieuvin,co-commissairedel’exposition duLouvre,a-t-iltenuàles
exposercôte àcôte, laissantgrand public et spécialistes s’amuser au
jeu des différences.
C’estàlachutedes Sforza,àMilan, en 1499, queVinci auraitreçu la
commande de FlorimondRobertet,conseiller duroifrançais
Louis XII, d’uneMadone au fuseau.Lamême année,auretourdes
Sforza, lepeintreprend la fuitepourRome,Venise et enfin Florence.
Lesouvenir dutableau disparaît jusqu’à la fin duxixesiècle.Pas
moins de quarante-cinqcopies serontrépertoriées, mais seules deux
retiennentl’attention des historiens d’art:celle de Buccleuchetcelle
de Lansdowne.S’agit-il de deuxversions d’atelier enpartie peintes
soussoncontrôle ?D’un originaletd’unecopie?Ouencorede deux
originauxréalisés enparallèle?C’est l’option queretientMartin
Kemp.Àsonavis, l’une des deuxversions aurait étéenvoyéeà
FlorimondRobertet,tandis que l’autreseraitrestée enpossession
deSalai,leplus proche élèveet amantdeVinci.Unethèse qu’accré-
ditentles habitudes dupeintre.Legénietoscanpeaufinait inlassa-
blementsescompositions.Pourexplorer plusieursalternatives,
il travaillaitparfois ses projets sous uneforme duellecomme
enattestentles deuxversions deLa Vierge au Rocher,conservées au
LouvreetàlaNational Gallery.
Soit, mais laquelle des deuxMadones serait la plus«léonardesque»?
Difficileàdire.«Àmon avis les deuxtableaux ontautantd’intérêt
l’un que l’autre, avec des qualités et des défauts différents,avance
prudemmentVincentDelieuvin,conservateur auLouvre.Tous deux
ontété peints ensemble, au plus près du maître.»Certaines diffé-
rences sontfrappantes. «LaBuccleuch»est dans son jus, sur son
panneau d’origine,avec unvernis jaune qui accentue le sfumato.
«LaLansdowne»aétéplusieursfois restauréeetenasouffert.Le
paysage alpin bleutédecette version est enrevancheconforme aux
habitudes du maître,tandis que le décor de«LaBuccleuch»est bien
trop médiocrepour lui êtreattribué.
CinziaPasquali, qui s’estoccupée de larestauration de laSai nteAnne
duLouvre,alongtemps cru que les deuxversions sevalaient.Mais,
depuis qu’ellearestaurécelle de Lansdowne, en 2017,elle lui donne
sa préférence.«Ledessin préparatoirerévélé par infrarougeest plus
fin,réaliséàlamain libre,détaille-t-elle,alorsque la version
Buccleuchest unreport schématiqueàpartir d’uncalque.Lespig-
ments bleuscontiennentdulapis-lazuli–une caractéristique du
maître–etletraitementdes visagesetdes cheveux est plus proche de
la technique deLéonard.»Directeur du FitzwilliamMuseum, à
Cambridge,LukeSyson ne jureenrevanche queparlaversion
Buccleuch, aupointdenepasavoir empruntécelle deLansdowne
pour l’exposition de laNational Gallery,dontilétait commissaire.
Sansêtreaussi catégorique, AidanWeston-Lewis,conservateur en
chef àlaGalerie nationale d’Édimbourg,pense aussi que laversion
écossaise est plus proche des intentions du maître.«Lepanneau est
sur noyer,précise-t-il,un bois quin’est jamais utiliséàFlorencemais
dans le norddel’Italie,ce qui suggèreque Vinci s’y est attaqué proba-
blementquand il était encoreàMilan et l’atransportéàFlorence. »
Quantàl’éventualitédetrouver un jour des documents éclairant
l’historique deLa Madone au fuseau,il n’ycroit pasdavantage que
les historiens.«Çaresteraunsecret d’atelier »,souritVincent
Delieuvin.
RichaRd
Scottn’ignorerien des débats, maisrefuse
de sepositionner.«C’estformidable qu’il
existe deuxLéonard plutôt qu’un seul.»Le
descendantd’une lignée quiarésistéànombredebouleversements
historiques neperdpasson calmepour sipeu.Unecontroverse
d’une autrenaturepourrait d’ailleursserévéler plus angoissante :
la réforme agraireprévueparlegouvernementécossais. Laforma-
tion menéeparNicola Sturgeon, duPartinational écossais, marqué
àgauche, souhaiteréduirelamainmise sur leterritoireécossais
de quelquesfamilles et lesforcer,par des mesures fiscales,àvendre
des biens. Et les Buccleuchsontenligne de mire, eux qui ontgardé
leursterres etfait fructifier leursactivités dans unconglomératcom-
prenantnotammentdesforêts, dufoncier urbain et une usine
d’agroalimentaire.SelonThe SundayTimes,leursactifspèseraient
plus de 200 millions de livres sterling (2,32 millions d’euros).
Parlepassé, les aristocratesaux abois ontpris l’habitude de se
défairedeleursœuvresafin deregarnir leur trésorerie.Pour«réé-
quilibrer ses investissements »,le duc deSutherlandavendu en
2008 deuxTitienàlanationpour la somme de 95 millions de livres
(11,02 millions d’euros). Des années 1920 aux années 1950,
les Buccleuchaussi ontliquidé quelques biens, notamment
unetoile deRembrandt et un grandpaysage deRubens.Mais
le dixième duc de Buccleuchestferme.Pourrait-ilvendreson
Vinci ?«Jamais, je préfère céder desterres que des œuvres!»Et
d’ajouter :«Vendre, c’estromprel’histoiredugoût et l’intégritéd’une
collectionconstituée depuis des siècles.»
“Léonard de Vinci”, au musée duLouVre,
jusqu’au24féVrier.LouVre.fr
La Madone,au
Musée national
d’Écosse,
àÉdimbourg,
en août.
L’établissement
apris en charge
la surveillance
et lavaleur
d’assurance
de la toile.
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