30 | 0123 DIMANCHE 27 LUNDI 28 OCTOBRE 2019
0123
A
Jacobina, au Brésil, en
viron 50 millions de
moustiques (Aedes ae
gypti) transgéniques
mâles ont été lâchés dans la na
ture entre 2013 et 2015, afin de lut
ter contre les épidémies provo
quées par la diffusion du virus de
la dengue et du virus zika. Les dip
tères modifiés, développés par la
société Oxitec, étaient porteurs
de deux constructions généti
ques : la première leur conférant
une fluorescence, la seconde ren
dant leur descendance non via
ble. Lorsqu’elles s’accouplent avec
les mâles OX513A, les femelles
sauvages donnent naissance à des
larves incapables de se dévelop
per dans un milieu privé d’un an
tibiotique courant, la tétracycline.
Cette substance étant absente de
l’environnement, l’opération re
vient à stériliser une part des fe
melles sauvages – celles qui auront
choisi un OX513A pour se repro
duire –, en faisant avorter leur pro
géniture. Selon les travaux de sur
veillance conduits par Oxitec,
l’opération a permis de faire chuter
drastiquement les populations
d’Aedes aegypti dans la zone, tout
au long de la période durant la
quelle les lâchers ont été effectués.
Une récente étude vient trou
bler ces résultats encourageants.
Publiés miseptembre dans Scien
tific Reports et passés relative
ment inaperçus en France, les tra
vaux conduits par Jeffrey Powell
(université Yale) et ses collègues
indiquent en effet qu’une part du
matériel génétique des OX513A
s’est introduite dans les popula
tions sauvages. Les auteurs ont
prélevé des moustiques à Jaco
bina avant les lâchers, et ont com
paré leur matériel génétique avec
celui de moustiques capturés
trois mois après la fin de l’essai.
Controverse
Résultat : les aegypti de la zone
n’étaient plus tout à fait les mêmes
après la fin de l’expérience. Selon
les lieux de capture, entre 10 % et
60 % des diptères étaient porteurs
de matériel génétique de leurs
cousins transgéniques. Selon les
individus, parfois plus de 10 % de
l’ADN de ces nouveaux mousti
ques sauvages est hérité des
OX513A. Cette introgression – c’est
àdire le transfert durable de maté
riel génétique dans une popula
tion – est en outre observée sur
des individus capturés à 4 kilomè
tres des lâchers les plus proches.
Les moustiques sauvages qui
peuplent désormais Jacobina et
ses alentours sontils donc deve
nus, euxmêmes, transgéniques?
Nullement : les chercheurs ont es
timé la part d’ADN transférée,
mais n’ont pas déterminé les gè
nes transmis – bien qu’il soit à peu
près sûr que le gène de « stérilité »
des OX513A n’en fasse pas partie.
Ce que concluent les auteurs, c’est
que les aegypti des environs de Ja
cobina sont désormais le résultat
d’une hybridation de trois sou
ches : la souche brésilienne locale,
associée à un mélange de souches,
cubaine et mexicaine. C’est en ef
fet un assemblage de ces deux
souspopulations qui a été utilisé
par Oxitec pour créer, dans ses la
boratoires, le fameux OX513A.
Quelles conséquences fautil at
tendre de cette triple hybridation
des moustiques brésiliens? Peut
être rien, ou pas grandchose,
mais M. Powell et ses coauteurs
posent tout de même quelques
questions. Cette plus grande va
riabilité génétique offerte aux ae
gypti de Jacobina pourraitelle
leur conférer une « vigueur hy
bride », soit une plus grande résis
tance aux tentatives ultérieures
de les détruire? Pourraitelle leur
conférer une capacité accrue de
transporter certains virus?
Le simple fait d’avoir soulevé ces
questions a provoqué une tem
pête dans le Landerneau des spé
cialistes. Oxitec a publié sur son
site Web une série de griefs contre
l’étude (lui faisant parfois dire ce
qu’elle ne prétend nullement) et a
protesté auprès du comité édito
rial de la revue. Certains coauteurs
(engagés dans des collaborations
avec Oxitec) se sont même désoli
darisés de leurs collègues... Le fait
qu’une petite part de la descen
dance des moustiques transgéni
ques d’Oxitec parvienne à survi
vre est pourtant connu. « Environ
4 % de ces populations (...) peuvent
survivre sans tétracycline et il est
inquiétant que, jusqu’à présent, il
n’y ait aucune étude publiée sur
leur capacité à prospérer », obser
vaient de manière assez prémoni
toire, en juillet 2018, Zahra Me
ghani (université de Rhode Island)
et Christophe Boëte (Institut des
sciences de l’évolution de Mont
pellier), dans PLoS Neglected Tropi
cal Diseases.
Le coup de colère de la firme
tient sans doute, en réalité, plus à
la médiatisation de l’étude diri
gée par M. Powell qu’à l’étude elle
même. Car ce que craint plus que
tout Oxitec, ces joursci, est la
mauvaise publicité. Sa deuxième
génération de moustiques trans
géniques est lancée depuis peu et
il s’agit de n’affoler ni les foules ni
les régulateurs.
La controverse autour du mous
tique stérilisateur d’Oxitec n’est
pas sans rappeler celle des tau
reaux sans cornes de Recombine
tics. Ces bovins avaient été modi
fiés pour éviter le « décornage »
des bêtes, mais les autorités amé
ricaines ont réalisé en juillet, c’est
àdire avec cinq années de retard,
qu’un fragment d’ADN bactérien
avait été introduit par inadver
tance dans leur génome, suscepti
ble de leur conférer une résistance
à certains antibiotiques. A l’heure
où les biotechs veulent soustraire
leurs innovations à toute régula
tion, les premières expériences
commerciales d’ingénierie géné
tique sur des animaux plaident
plutôt en faveur d’une réflexion
accrue sur les risques qu’elles gé
nèrent, en regard des bénéfices
qu’il est permis d’en attendre.
Et même sur ce point, la con
naissance est parfois lacunaire.
En octobre 2017, le groupe d’ex
perts ad hoc de l’Organisation
mondiale de la santé critiquait le
fait que les essais conduits par
Oxitec étaient évalués en fonc
tion de la réduction de popula
tion d’insectes, non en termes de
réduction de l’incidence des ma
ladies qu’ils transmettent aux
hommes. C’est pourtant bien le
but, n’estce pas ?
L
âchés par leurs alliés occidentaux, les
Kurdes se retrouvent une fois de plus
dans la position des laisséspour
compte de l’histoire. L’annonce soudaine du
président américain, Donald Trump, de reti
rer les forces spéciales américaines du nord
est de la Syrie les a mis le dos au mur. Pour
ne pas être massacrées par l’armée turque et
ses supplétifs syriens coutumiers des exac
tions, les forces kurdes ont dû se placer sous
la protection du Kremlin et du régime de Ba
char AlAssad, avec lequel elles ont toujours
ménagé leurs relations. Cette alliance a un
goût amer. Celui des tomates pourries que
les habitants de Kamechliyé, ville majoritai
rement kurde de l’extrême nordest de la Sy
rie, ont jetées sur les véhicules blindés amé
ricains en partance vers la frontière ira
kienne les 20 et 21 octobre.
Pendant plus de quatre ans, les forces kur
des ont été le fidèle bras armé des Occiden
taux dans la lutte contre l’organisation Etat
islamique (EI). Epaulés par leurs alliés améri
cains et français, ces vaillants combattants
ont payé un lourd tribut (plus de 10 000
combattants et combattantes) à la lutte con
tre le « califat » autoproclamé. Sans eux, les
coupeurs de têtes de l’EI séviraient encore.
Les Kurdes étaient nos frères d’armes,
mais c’était hier. En guise de remerciement,
Donald Trump les a lâchés en un tourne
main, justifiant sa volteface par un tissu
d’âneries : « Ils sont pires que l’EI », « Ils ne
nous ont pas aidés en Normandie », « Ils ont
assez de sable làbas pour jouer ».
L’impéritie des Occidentaux a un visage,
celui de Havrin Khalaf, 35 ans, kurde et mili
tante de la société civile. La jeune femme a
été abattue sommairement le 12 octobre par
les supplétifs syriens du groupe Ahrar Al
Charkiya, allié à l’armée turque. Tirée de son
véhicule, la jeune militante, qui n’était pas
armée, a été traînée par les cheveux avant
d’être tuée de plusieurs balles en plein vi
sage et dans le dos par les nervis islamistes à
la solde d’Ankara.
La région était l’une des rares zones de Sy
rie où une paix relative régnait entre les dif
férentes communautés ethniques et reli
gieuses (kurdes, yézidies, assyriennes, ara
bes). En deux semaines, l’incursion turque a
semé la mort et la destruction sur ce terri
toire, poussant 200 000 personnes sur les
routes de l’exode. Un entretien de six heures
entre les présidents, russe, Vladimir Pou
tine, et turc, Recep Tayyip Erdogan, le 22 oc
tobre, à Sotchi, a suffi à y mettre un terme.
La victoire revient à M. Poutine, qui se
pose plus que jamais en acteur incontourna
ble de la région après avoir réussi à calmer
l’ardeur guerrière de son « ami » Erdogan.
Tout à sa nostalgie ottomane, ce dernier se
rêve en justicier de l’islam sunnite, à même
de rendre les régions situées à l’est de
l’Euphrate « à leurs propriétaires naturels »,
les Arabes et surtout les réfugiés syriens de
Turquie (3,6 millions), qu’il brûle de ren
voyer chez eux, un projet irréalisable qu’il
nourrit pour gagner des points auprès de
son électorat islamonationaliste.
Avant tout, le triomphe est total pour Ba
char AlAssad. Principal responsable de la
tragédie syrienne, il est désormais considéré
par toutes les parties comme l’incarnation
du moindre mal. L’opportunisme habile du
maître du Kremlin a pu aider à sortir d’une
situation difficile. Il ne suffira pas à faire
émerger une solution politique en Syrie. Re
mettre en selle un régime sanguinaire ne
saurait être la pierre angulaire de l’ordre rai
sonnable que tout dirigeant devrait cher
cher à promouvoir. Incapables de proposer
une alternative convaincante à l’offre de
Poutine, Américains et Européens se sont
retirés du jeu. Ils n’auront pas leur mot à
dire sur l’avenir de la Syrie, ils seront juste
sollicités pour sa reconstruction.
UNE ÉTUDE JETTE
LE TROUBLE
SUR LES RÉSULTATS
ENCOURAGEANTS
DES LÂCHERS DE
DIPTÈRES MODIFIÉS
POUR LUTTER CONTRE
CERTAINES ÉPIDÉMIES
LES KURDES,
ÉTERNELS
LAISSÉSPOUR
COMPTE
PLANÈTE | CHRONIQUE
pa r s t é p h a n e f o u c a r t
Les surprises du
moustique transgénique
LES « AEGYPTI » DES
ENVIRONS DE JACOBINA,
AU BRÉSIL, SONT
DÉSORMAIS LE RÉSULTAT
D’UNE HYBRIDATION
DE TROIS SOUCHES
Tiragedu Monde daté samedi 26 octobre : 191 472 exemplaires
AntoinePouillieute
Ambassadeurde Fran ce
au Brésil en 2006,
il est aujo urd’ hui conseiller
d’État honoraire à Paris
et président d’Interna tional
Projects Governance,
une société de conseils
en stra tégie.
Votre itinéraire
Rio de Janeiro – Petropolis – Tiradentes
Congonhas – Ouro Preto – Belo Horizonte
Brasilia – Parc National des chutes d’Iguaçu
Paris
JOYAUX DU SUD BRÉSILIEN
Du 9 au 20 mai 2020
Voyage au Brésil
Renseignements etinscriptionsau 0156813812
[email protected], par courrier :
Les Maisons du Voyage, 82 rue Bonaparte, 75006 Paris
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Crédit photo : Unsplash/Agustín Diaz
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