A
u bout du fil, le diagnostic de Flora (1)
est tombé sans équivoque : «Bonjour,
nous avons un cas de bébé secoué.»
L’appel émanait de l’hôpital de Verdun et
Amélie Buchert se souvient du ton catégori-
que, et si peu banal, du pédiatre au téléphone
ce jour-là. «Les médecins sont prudents dans
le diagnostic de ce syndrome. Ils préfèrent par-
ler de suspicion, mais dans cette situation, ils
n’avaient pas le moindre doute», retrace-t-elle.
Amélie Buchert, 35 ans, est cheffe de la cellule
de recueil d’informations préoccupantes de
la Meuse (Crip 55), basée à Bar-le-Duc.
C’est à elle et sa petite unité que revient la res-
ponsabilité de récolter et de trier la totalité
des signalements de mineurs en danger du
département. De prendre aussi, si nécessaire,
les premières mesures de protection d’ur-
gence – le placement en établissement, en fa-
mille d’accueil ou le maintien en institution
médicale. Pour Flora, amenée en catastro-
phe par des parents tourmentés par ses
vomissements, la décision fut prise de la
laisser en sécurité à l’hôpital et de limiter
les visites des proches. Le temps de démêler
l’affaire.
«Scénarios»
«Trois semaines se sont depuis écoulées et nous
n’avons toujours pas éclairci ce drame»,
reprend Amélie Buchert. Comme tous les ma-
tins, elle a donc rassemblé les deux coordina-
trices de la cellule, Aurélie Lucion et Elodie
Giraux, et sa grande patronne, Fanny Ville-
min, pour un énième point d’étape. A les ob-
server toutes les quatre autour de la table de
réunion, la parole troublée et les expressions
Par
Anaïs Moran
Envoyée spéciale à Bar-le-Duc
Illustration Cat O’Neil
Enfants
maltraités
Fêlures
sur la ligne
reportage
Protection de l’enfance (2/5)
Alors qu’une «stratégie nationale» est
en projet pour repenser ce secteur sinistré,
«Libération» est allé à la rencontre
des premiers concernés et des acteurs
de terrain. Cette semaine, la cellule
de recueil d’informations préoccupantes
de la Meuse, qui traite de nombreux cas
de violences sur mineurs.
france
figées, on comprend rapide-
ment que l’affaire empoi-
sonne les esprits : de Flora,
l’équipe de la Crip 55 ne sait
toujours presque rien. Seu-
lement que le nourrisson a
6 mois, des parents unis,
une nounou respectable,
une famille nombreuse et ai-
mante, mais deux hématomes
symétriques de chaque côté du
crâne. Une enquête pénale a bien été
ouverte, des heures d’audition se sont déjà
écoulées, mais personne ne veut passer aux
aveux. Alors, à qui confier la garde de l’en-
fant? Des jours qu’elles ruminent pour tran-
cher sur le meilleur épilogue.
«Rien ne nous permet d’établir un semblant de
vérité. L’environnement de la petite paraît
sain et tous les proches se disent sous le choc.
Des dizaines de scénarios sont envisageables,
mais quelqu’un a bien fait quelque
chose, rappelle la coordinatrice
Elodie Giraux. Dans ces mo-
ments compliqués, nous de-
vons garder en tête les prin-
cipes fondamentaux du
métier. Notre objectif pre-
mier est d’assurer la sécurité
de l’enfant et donc d’évaluer le
risque de réitération des mal-
traitances. Alors oui, s’il faut sé-
parer un bébé de son foyer familial
tant que l’enquête n’a pas mis l’entourage hors
de cause, tant que le doute persiste, nous le fe-
rons.»
Flora est la 629e information préoccupante
traitée par la cellule meusienne depuis le dé-
but de l’année. Avant elle, il y a eu la jeune Hé-
lène, adolescente fugueuse de 15 ans, retrou-
vée camée dans un squat par un éducateur de
rue, sans que le père célibataire ne s’en
20 km
MEUSE MOSELLE
MEURTHE
ET
MOSELLE
MARNE
HAUTE
MARNE
LUX.
BELG.
Bar-le-Duc
18 u Libération Mardi^22 Octobre 2019