Monde
Par
Alexandra Pichard
Photos Cristóbal Olivares
CHILI «Pour l’instant,
l’état d’urgence est
surtout social»
Onze morts, jusqu’à 2 000 arrestations, une majorité de régions
sous couvre-feu... Le président néolibéral, Sebastián Piñera,
réprime dans la violence la révolte populaire depuis vendredi.
C
oncerts de casseroles, saccages de ma-
gasins, nuages de gaz lacrymogène : la
contestation ne retombe pas alors que
le Chili entame son quatrième jour de mobili-
sation très durement réprimée (11 morts et
jusqu’à 2 000 arrestations). «Le couvre-feu
donne toute licence aux militaires d’emprison-
ner ceux qui sont dans les rues après 22 heures,
mais aussi une autorisation à tirer. Ce n’est pas
une opération de maintien de l’ordre mais une
partie de chasse», dit à Libération Corentin
Rostollan-Sinet, un doctorant. La hausse, ven-
dredi, du prix du ticket de métro (800 à
830 pesos, de 0,99 à 1,02 euro) a déclenché la
vague de manifestations la plus importante
depuis des décennies. Et la révolte continue
même après l’annonce de son retrait samedi,
et malgré l’instauration d’un couvre-feu et de
l’état d’urgence dans la capitale, Santiago, et
dorénavant dans neuf autres des 16 régions du
pays. Près de 10 000 policiers et soldats ont été
déployés : une première depuis la fin de la dic-
tature d’Augusto Pinochet (1973-1990).
«Ce n’est pas à cause de 30 pesos, mais des
trente dernières années», peut-on lire sur les
murs de la ville, en référence à la multiplica-
tion ces dernières décennies des privatisa-
tions dans la santé, l’éducation ou l’eau et à
l’explosion des inégalités. Pourtant, le Chili
est considéré comme un des pays les plus sta-
bles d’Amérique latine, politiquement et éco-
nomiquement. Un «paradoxe» pour Franck
Gaudichaud, politologue spécialiste du Chili
et des mouvements sociaux en Amérique la-
tine. «Depuis des années, il y a une accumula-
tion de mécontentement, de mal-être, face à
la vie chère, qui vient d’exploser, dit-il à Libé-
ration. Le Chili est un véritable laboratoire du
système néolibéral à l’échelle mondiale. Il y
avait déjà eu des protestations en 2011, de
grandes mobilisations autour du système de
retraite, une importante grève féministe l’an-
née dernière. Ce sont la massivité et l’intensité
du mouvement qui sont surprenantes.»
«Armes de guerre»
Le mouvement a commencé par une fraude
massive de groupes étudiants dans le métro
de Santiago. La police militaire est intervenue
et a tiré à balles réelles dans une des stations
occupées, blessant gravement à la jambe un
étudiant. Une répression qui a provoqué des
manifestations pacifiques à Santiago, mais
aussi des faits de violence entre les manifes-
tants et la police, et des pillages dans des su-
permarchés ou des banques. Le président,
Sebastián Piñera, a alors décrété l’état d’ur-
gence dans la capitale chilienne, puis à d’au-
tres régions : Valparaíso, Biobío, Coquimbo et
O’Higgins. Avant de confier la responsabilité
de la sécurité à un général, Javier Iturriaga del
Campo. L’armée a immédiatement déployé
ses troupes.
Depuis, les hélicoptères qui survolent la ville
en permanence participent au climat de vio-
lence et d’insécurité. Une décision «irrespon-
sable», estime Franck Gaudichaud : «Les for-
ces militaires qui n’ont aucune expérience de
la gestion de manifestations, ils ont des armes
de guerre. Le maintien de l’ordre au Chili a été
très marqué par la dictature, et la police mili-
taire est connue pour son niveau de violence.
Déployer des militaires dans les rues pour la
première fois depuis la fin de la dictature est
un signal très fort.»
Selon les autorités, 1 462 personnes ont été
arrêtées, dont 644 dans la capitale lll
8 u Libération Mardi^22 Octobre 2019