Les Echos - 22.10.2019

(avery) #1

Thibaut Madelin
@ThibautMadelin
et A. D.


Que va faire Matthieu Pigasse? Un
jour après la démission du prési-
dent de Lazard France, le banquier
d’affaires souvent présenté comme
« l’enfant terrible » de la finance
maintient le mystère sur ses inten-
tions. « Je suis excité d’entamer un
nouveau chapitre au-delà de la
banque d’investissement, avec un
nouveau projet entrepreneurial »,
a-t-il déclaré dans un communiqué


publié dimanche soir par Lazard.
Pour la banque américaine,
l’énarque passé par le cabinet de
Dominique Strauss-Kahn avait de
plus en plus de mal à jongler entre
ses responsabilités au sein de la
banque et les activités qu’il menait
en parallèle. Il devrait, selon elle, se
consacrer à sa passion : les médias.
Le banquier « punk », comme on le
présente, est notamment action-
naire du journal « Le Monde », où il
a créé un tollé en vendant à la sur-
prise générale la moitié de sa parti-
cipation à l’homme d’affaires tchè-
que Daniel Kretinsky.

Actionnaire du « Monde »
Pour une source proche du ban-
quier, cependant, Matthieu Pigasse
va au contraire faire ce qu’il sait le
mieux faire : de la banque d’affaires,

mais dans « une structure entrepre-
neuriale avec une dimension de par-
tnership et pas dans une société
cotée ». La « redistribution de la
richesse » chez Lazard ne lui conve-
nait plus, selon cette source. Les
noms des boutiques américaines
Evercore et Centerview sont évo-
quées comme possibles partenai-
res, mais sans confirmation.
Jusqu’au bout, le banquier rebelle
et touche-à-tout, qui s’est même vu
candidat à la présidence de la Répu-
blique face à Emmanuel Macron,
restera une énigme. Une chose est
sûre, sa relation avec la banque fon-
dée aux Etats-Unis par les frères
Lazard, émigrés de France dans les
années 1840, devenait tendue. Ces
derniers mois, Matthieu Pigasse
semblait davantage préoccupé par
« Le Monde » et ses autres investis-

sements dans les médias (« Les
Inrocks », « L’Obs », Radio Nova...).
« On s’était habitué à vivre avec
Matthieu, raconte un salarié. Il avait
ses activités en dehors et ses contrain-

tes personnelles. Quand on attirait
son intérêt, c’était un excellent ban-
quier. Il a beaucoup de talents, ce qui
explique que beaucoup a été toléré. Il a
aussi beaucoup été starisé, mais les
mandats ne peuvent pas se faire à
temps partiel. » C’est aussi la conclu-
sion du président de la banque, Ken
Jacobs, venu de New York à Paris
dimanche.

« Millionnaire au milieu
de milliardaires »
Dans quelle mesure celui qui a res-
tructuré les dettes de la Grèce et de
l’Argentine est-il à son tour
contraint financièrement? Les
mauvaises langues disent qu’il
aurait été proche de la faillite per-
sonnelle après avoir eu du mal à
rembourser un prêt de 26 millions
d’euros à la Banque Palatine (filiale

de BPCE) qui lui avait servi à entrer
au capital du « Monde ». Ses pro-
ches affirment au contraire que ses
investissements dans les médias
sont profitables ou à l’équilibre et
que la cession de sa participation à
Daniel Kretinsky devrait lui rappor-
ter quelque 40 millions d’euros.
Mais même eux reconnaissent
que Matthieu Pigasse est un « mil-
lionnaire au milieu de milliardaires ».
Bref, il n’a pas les moyens de Xavier
Niel, le fondateur de Free et action-
naire du « Monde » avec lequel il est
désormais en froid mais possède
une société de production audiovi-
suelle cotée, Mediawan. Le meilleur
moyen de connaître sa santé finan-
cière serait d’ouvrir les comptes de
son groupe de presse, Les Nouvelles
Editions indépendantes, mais ils
n’ont pas été publiés depuis 2012.n

L’avenir du banquier « punk » suscite des interrogations


Matthieu Pigasse, qui
a annoncé dimanche
sa démission de Lazard,
dont il préside la filiale
française, entretient le
mystère sur ses intentions.


Matthieu Pigasse avait rejoint la banque Lazard France en 2002 après avoir été conseiller du ministre de l’Economie et des Finances,
Dominique Strauss-Kahn. Photo Bernard Bisson/« JDD »/Sipa

David-Weill et Bruce Wasserstein
au début des années 2000.
A l’é chelle française, cette fois, la
reprise en main de l’équipe pari-
sienne s’annonce plutôt pacifique.
« Les schémas sont ouverts, y com-
pris sous une forme collégiale », indi-
que-t-on. Tous les noms circulent,
du bras droit historique, et à la
manœuvre de tous les « deals » sen-
sibles et politiques, Jean-Louis
Girodolle, à Charles-Henri Filippi,
67 ans, qui a quitté Citi pour Lazard
il y a deux ans. Le nom d’Alexandra
Sotto, qui a rejoint le leadership glo-
bal de la firme en juin dernier, est
aussi évoqué. « Dans tous les cas,
une décision rapide sera prise »,
explique-t-on. Ce serait l’affaire de
quelques jours. Mais l’effort de
« continuité » affiché pourrait être
sérieusement mis en cause si Mat-
thieu Pigasse lançait sa franchise,
sous bannière américaine ou sous
son nom propre. Chez certains
clients i nterrogés, on ne s’émeut pas
davantage des dernières annonces.
Néanmoins, la maison parisienne a
déjà dû essuyer plusieurs départs
ces derniers mois, dont celui de
Nicolas Constant, une référence sur
la profitable clientèle des fonds
d’investissement, et de Pierre Pas-
qual. On les dit partant chez Center-
view, un nom également évoqué
pour Matthieu Pigasse, en dépit du
communiqué officiel de Lazard
voulant que l’homme d’affaires ait
renoncé à lui faire concurrence
dans la banque d’investissement.

Des rumeurs à propos
de Bank of America
« La vérité est que rien n’est tranché »,
croit-on savoir chez ceux qui l’ont
côtoyé. Interrogé, Matthieu Pigasse
n’a pas réagi. Selon des sources, il
aurait approché Mediobanca tout
juste avant que JeanMarie Messier
et Erik Maris, son ancien rival,
signent en avril la vente de leur fran-
chise pour 160 millions d’euros à la
banque italienne. On l’a même dit
partant pour Bank of America-Mer-
rill Lynch. Nommé en décem-
bre 2018 à la tête de la banque
d’affaires et d’investissement sur un
projet de doublement des effectifs,
notamment via des embauches,
Bernard Mourad n’aurait plus
d’assurance en ce sens, disent des
sources. Interrogées, aucune des
parties n’a souhaité faire de com-
mentaires. Ce qui est certain c’est
que le départ de Matthieu Pigasse
suscite des fantasmes... et pas seule-
ment chez Lazard.n

lAu lendemain de l’annonce du départ du banquier d’affaires star Matthieu Pigasse, la maison du boulevard Haussmann


se presse de réorganiser sa gouvernance.


lUne rupture qui suscite les rumeurs les plus folles sur son point de chute sur la place de Paris.


Lazard veut rapidement tourner


la page Matthieu Pigasse


Anne Drif
@Anndrif


« Personne n’est irremplaçable. » Au
lendemain de l’annonce du départ
choc, dimanche soir, de Matthieu
Pigasse, le soulagement est quasi de
mise boulevard Haussmann au
siège de la maison Lazard, après des
semaines de non-dits, rumeurs et
démentis. « Ses activités p ersonnelles
ne marchaient probablement pas
aussi bien que ce qu’il espérait, il fal-
lait bien qu’il s’en charge, dit-on en
interne. On ne pouvait pas rester
dans l’incertitude. » Si tous lui recon-
naissaient sans l’ombre d’un doute
ses talents de « dealmaker », le
« star-system » décalé qu’il entrete-
nait, le cumul de ses fonctions dans
la banque (responsable mondial des
fusions-acquisitions et d u conseil au
gouvernement) et à l’extérieur jus-
qu’à l’é talage de ses difficultés au
journal « Le Monde », interro-
geaient. Sinon lassaient.


« Un océan de stabilité »
Lundi, à Paris, on s’appliquait donc
à afficher le maximum de sérénité.
« C’est un bon signe si, en raison de ce
départ, tout le monde nous casse du
sucre sur le dos avenue de Messine ou
rue de Miromesnil [les sièges de
Rothschild et Messier Maris,
NDLR], c’est que nous sommes au
sommet et que nous gênons », dit l’un.
« Regardez nos concurrents, lâche un
autre. A côté, nous sommes un océan
de stabilité. » La réalité est légère-
ment moins rose. Face aux incerti-
tudes macroéconomiques et
géopolitiques, les fusions-acquisi-
tions sont en berne et les boutiques
indépendantes, sous pression. A fin
juin, Lazard s’affichait au quatrième
rang du marché en France, en recul
de deux places, selon le classement
Refinitiv (–71 % en volume, à 11,4 mil-
liards de dollars). Au global, le mar-
ché français baisse de 31 % sur le
semestre, à son plus bas niveau en
quatre ans.
Ce n’est pas la première fois que
Lazard doit gérer un changement
de gouvernance dans l’urgence. En
avril 2010, l e patron Kenneth Jacobs
avait tranché en faveur de Matthieu
Pigasse, alors engagé dans un duo
difficile avec Erik Maris à la tête de
la franchise parisienne. Et les
batailles de pouvoir a u sein du Saint
des saints de la banque d’affaires
sont devenues légendaires d epuis la
lutte au sommet entre Michel


BANQUE


« Je suis excité
d’entamer un
nouveau chapitre
au-delà
de la banque
d’investissement,
avec un nouveau
projet
entrepreneurial. »
MATTHIEU PIGASSE

FINANCE & MARCHES


Les EchosMardi 22 octobre 2019

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