Le Monde - 05.10.2019

(Marcin) #1

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FRANCE


SAMEDI 5 OCTOBRE 2019

0123


RÉCIT


A


vec ses airs de forte­
resse de l’ordre, nichée
au cœur de la capitale,
sur l’île de la Cité, elle
semblait presque inébranlable. La
Préfecture de police de Paris a été
profondément meurtrie, de l’inté­
rieur, jeudi 3 octobre, quand trois
policiers et un agent administratif
ont été tués à l’arme blanche par
l’un de leur collègue, lui­même
fonctionnaire. L’assaillant a en­
suite été abattu par un jeune gar­
dien de la paix dans la cour cen­
trale du bâtiment.
Une tuerie aux motivations en­
core floues, qui a duré quelques
minutes à peine, juste le temps de
provoquer un effet de sidération :
jamais depuis la Libération ce cen­
tre névralgique du pouvoir n’avait
connu pareil carnage en ses murs.
D’autant plus que les faits ont eu
lieu pour partie dans les locaux de
la direction du renseignement de
la Préfecture de police (DRPP), un

service ultrasensible, chargé de la
collecte et de l’analyse des infor­
mations, notamment sur les su­
jets liés au terrorisme.
L’auteur de l’attaque, Mickaël H.,
faisait partie de cette unité, en tant
qu’informaticien au service tech­
nique. Agé de 45 ans, cet adjoint
administratif, qui souffrait d’une
surdité partielle, était né à Fort­de­
France, en Martinique, en 1974. Il
avait intégré les services de la Pré­
fecture de police de Paris en 2003.
Résident dans un immeuble à Go­
nesse (Val­d’Oise), il était marié de­
puis 2014 et s’était converti à l’is­
lam dix­huit mois avant la tuerie.
D’après des voisins interrogés par
l’Agence France­Presse, il était pra­
tiquant, se rendant régulièrement
à la mosquée du quartier. Aucun
signe de radicalisation n’avait ce­
pendant été repéré chez cet
homme au profil psychologique
« très fragile, très effacé », selon une
source policière haut placée. Inter­
rogée en garde à vue, sa femme a
révélé aux enquêteurs qu’il se se­

rait réveillé, au cours de la nuit pré­
cédent le drame, en affirmant
avoir entendu des voix.
Comme tous les agents tra­
vaillant dans ce type d’unité, il
avait fait l’objet d’une habilitation
secret­défense, une autorisation
qui doit ensuite être renouvelée
tous les cinq ans. Un service natio­
nal des enquêtes administratives
de sécurité (SNEAS) a été créé
en 2017 au ministère de l’intérieur
pour encadrer davantage ces pro­
cédures. Mais les différentes éva­
luations n’ont manifestement pas
permis de mettre au jour d’éven­
tuelles failles psychologiques.

Sujet épineux
Le sujet est épineux pour la Préfec­
ture : la DRPP, l’entité chargée de la
surveillance de la mouvance isla­
miste dans la capitale, a­t­elle
couvé en son sein un élément
trouble? D’après les informations
du Monde, Mickaël H. ne faisait
l’objet d’aucun suivi particulier de
la part des services de renseigne­

ment et n’était pas fiché. Contrai­
rement aux informations qui ont
circulé quelques heures après le
drame – il était fait état d’un récent
changement de conduite vis­à­vis
des femmes –, aucune modifica­
tion de l’attitude n’avait été détec­
tée par sa hiérarchie.
« Il n’a jamais présenté de difficul­
tés comportementales », ni « le
moindre signe d’alerte », a résumé
Christophe Castaner, le ministre
de l’intérieur, lors d’un point
presse organisé sur place. Son ap­
partement a été perquisitionné

jeudi après­midi. D’après nos in­
formations, aucun élément
saillant attestant d’une dérive ra­
dicale n’a été découvert lors des
premières recherches.
Si les enquêteurs poursuivaient
vendredi leurs investigations
pour tenter d’élucider les raisons
de ce passage à l’acte, le scénario
de la tuerie, lui, se précise peu à
peu. Peu après 12 h 30, Mickaël H.
s’en prend d’abord à deux poli­
ciers et un agent administratif de
son service, tuant les trois hom­
mes avec un couteau de cuisine.
Puis il quitte les locaux de la DRPP,
s’engouffre dans l’escalier où il
poignarde deux femmes, une po­
licière de la Direction de la sécu­
rité de proximité de l’aggloméra­
tion parisienne (DSPAP) et une
agente administrative des res­
sources humaines.
La première est mortellement
atteinte. La seconde sera transpor­
tée quelques minutes plus tard en
urgence absolue à l’hôpital mili­
taire de Percy, à Clamart (Hauts­
de­Seine). Débouchant dans la
cour du 19­Août­1944, l’assaillant
tombe sur un jeune agent de la di­
rection de l’ordre public et de la cir­
culation (DOPC), qui se saisit de
son arme, un fusil d’assaut
HK G36, lui intime à plusieurs re­
prises l’ordre de lâcher son cou­
teau, et devant son refus finit par
faire feu. Mickaël H., touché en
pleine tête, s’effondre.

Grande confusion
Il est alors presque 13 heures et
l’institution chargée de faire ré­
gner l’ordre à Paris est en proie à
une grande confusion. Tous les
policiers présents ont dégainé
leurs armes, des agents fondent en
larmes, certains sortent leurs télé­
phones et filment la scène. En
quelques minutes, le périmètre est
entièrement bouclé avec un dispo­
sitif impressionnant. Des barrages
policiers sont placés aux abords de
l’île de la Cité, où se situe la Préfec­
ture. L’île Saint­Louis est égale­
ment fermée à la circulation pour
accueillir un hélicoptère de la sé­
curité civile. La rumeur de la pré­
sence d’un deuxième assaillant

Militaires
à proximité
de la Préfecture
de police de Paris,
le 3 octobre.
BERTRAND GUAY/AFP

Mickaël H. ne
faisait l’objet
d’aucun suivi
particulier de la
part des services
de renseignement
et n’était pas fiché

circule un temps avant d’être bat­
tue en brèche par les autorités.
Christophe Castaner, accompa­
gné de son secrétaire d’Etat,
Laurent Nunez, se rend sur place à
la rencontre du préfet de police,
Didier Lallement, bientôt rejoint
par le premier ministre, Edouard
Philippe et le président de la
République, Emmanuel Macron.
Ce dernier déplore un « véritable
drame ». Un qualificatif repris par
l’institution policière, qui écrit sur
Twitter : « La Préfecture de police
est éprouvée par un drame terrible.
Nos pensées vont à nos collègues
tués et à leurs familles que nous
n’abandonnerons pas. » De son
côté, l’Assemblée nationale inter­
rompt ses travaux pour observer
une minute de silence en hom­
mage aux victimes.
La machine judiciaire se met éga­
lement en marche. Le procureur
de Paris, Rémy Heitz, se transporte
immédiatement sur les lieux pour
annoncer l’ouverture d’une en­
quête pour homicides volontaires.
Les investigations sont confiées à
la brigade criminelle de la direc­
tion régionale de la police judi­
ciaire (DRPJ), le fameux « 36 », la
seule des grandes entités policiè­
res de la capitale à ne plus avoir ses
locaux sur l’île de la Cité.
Ses enquêteurs, qui sont compé­
tents en matière de terrorisme,
sont chargés d’explorer toutes les
pistes. Dans un premier temps,
celle d’un différend au sein du ser­
vice, sur fond de conflit personnel,
est évoquée par les autorités judi­
ciaires. Les agents doivent égale­
ment déterminer si le geste a été
prémédité ou non, à l’aide notam­
ment de l’analyse de la prove­
nance de l’arme du crime, un long
couteau de cuisine.
Signe de l’hésitation générale
sur le mobile de la tuerie, le tout
récent Parquet national antiterro­
riste, installé en juillet 2019 et des­
tiné à être mobilisé en cas d’atten­
tat, est également mis en alerte
toute la journée. Vendredi 4 octo­
bre au matin, il n’avait toujours
pas été saisi.
nicolas chapuis
et élise vincent

quel contraste entre les mines détermi­
nées mais réjouies aperçues la veille mani­
festant dans les rues de Paris et celles, défai­
tes et inquiètes, qui ornaient les visages des
policiers de la Préfecture de police (PP),
jeudi 3 octobre. Quelques heures après la
tuerie qui a frappé cet emblème du pouvoir,
faisant quatre victimes plus l’auteur des
meurtres, lui­même abattu, les fonction­
naires n’en revenaient toujours pas d’avoir
été attaqués de l’intérieur. « Ça fait mal que
ça soit l’un des nôtres, hier [jeudi] on était
tous ensemble pour défiler, et aujourd’hui il
y a ce massacre... ça va être très dur à digé­
rer », soufflait un agent de la direction de la
sécurité de proximité de l’agglomération
parisienne (DSPAP), la plus grande des di­
rections de la Préfecture, qui déplore la
perte d’une fonctionnaire dans l’attaque.
Des milliers de policiers, dont beaucoup
issus de la Préfecture, s’étaient en effet
retrouvés la veille pour une marche de pro­
testation contre la dureté de leurs
conditions de travail, la réforme des retrai­
tes à venir, et le drame humain et social que
représente la vague de 52 suicides au sein

de la profession depuis le début de l’année.
Le succès symbolique de la mobilisation
(27 000 personnes, selon les syndicats) qui
avait réuni tous les corps (commissaires,
officiers, gardiens de la paix, agents admi­
nistratifs, techniques et scientifiques) était
encore dans toutes les têtes au moment de
cette attaque à l’arme blanche.

« C’est malheureusement un fait divers »
Quelques heures après, les organisations
professionnelles tentaient de faire la part
des choses. « Ce drame purement humain,
qui n’a rien à voir avec notre métier, aurait
pu se produire dans n’importe quelle entre­
prise », soulignait dans un communiqué
Yves Lefebvre, le secrétaire général d’Unité
SGP Police­FO, majoritaire au sein du
ministère de l’intérieur. « C’est malheureu­
sement un fait divers », renchérissait sur
BFM­TV Jean­Marc Bailleul, le secrétaire gé­
néral du Syndicat des cadres de la sécurité
intérieure, majoritaire chez les officiers.
Au sein des rangs de la police nationale,
on spéculait sur le profil de l’assaillant dans
des boucles de messages internes, notam­

ment au vu de son appartenance à la presti­
gieuse et secrète direction du
renseignement de la Préfecture de police
(DRPP). Mais c’est surtout la tristesse pour
les collègues morts, dont trois membres de
ce même service, qui l’emportait dans les
échanges. Et l’inquiétude sur les consé­
quences. Si les fonctionnaires aiment à
éreinter la toute­puissance de la « PP »,
habituellement qualifiée d’« Etat dans
l’Etat » – surtout par ceux qui n’en sont pas
–, beaucoup redoutaient jeudi de voir le na­
vire amiral tanguer.
Les services directement touchés ont
reçu, vendredi 4 octobre au matin, une
visite de soutien du ministre de l’inté­
rieur, Christophe Castaner, et de son se­
crétaire d’Etat, Laurent Nunez. Les deux
membres du gouvernement se sont
rendus auparavant au chevet de la fonc­
tionnaire blessée, toujours en observa­
tion à l’hôpital militaire Percy à Clamart
(Hauts­de­Seine). Un moment de re­
cueillement devait être observé au sein de
l’institution, au cours de la journée.
n. ch.

Dans les rangs, de la tristesse et des interrogations


A Paris, la Préfecture de police meurtrie


Un informaticien de la maison, aux motivations encore floues, a tué quatre personnes, avant d’être abattu

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