Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1

  1. TRANSVERSALES Courrier international — n 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


PARIS 89 FM


DANIEL DESESQUELLE

CARREFOUR DE L’EUROPECARREFOUR DE L’EUROPE
DIMANCHE 18H10 @CarrefourEuropet

La radio mondiale en français La radio mondiale en français
et 13 autres langueset 13 autres langues

—Radio-Canada Montréal

L


’ancienne Guyane bri-
tannique [jusqu’en 1966]
va-t-elle succomber à la
“maladie des ressources”?
En 2015, Exxon Mobil a décou-
vert du pétrole à 200 kilomètres
des côtes, dans la zone de Stabroek,
l’ancien nom hollandais de la capi-
tale, Georgetown. Le premier puits
a été nommé Liza-1, puis un autre,
Liza-2, a été foré. Exxon en est
maintenant à 13 découvertes, aux-
quelles des noms de poissons ont
été donnés. En 2025, la compa-
gnie et ses partenaires, Hess
et la chinoise CNOOC Nexen,
comptent produire au minimum
750 000 barils de pétrole par jour,
soit l’équivalent d’un baril par habi-
tant du Guyana. D’autres compa-
gnies, dont la canadienne CGX,

explorent d’autres zones très pro-
metteuses. Ce pétrole est de très
bonne qualité.

Exportations. Pas une goutte
de ce brut ne doit atteindre les
côtes, tout sera exporté. Un pétro-
lier transformé, le Li za Dest iny, va
pomper et stocker le pétrole et
d’autres tankers viendront faire
le plein. Il y a aussi du gaz natu-
rel, selon Exxon, qui pourrait être
transporté par gazoduc pour rem-
placer le gazole des centrales élec-
triques du Guyana.
Originaire de Singapour, Brian
Chia travaille depuis presque qua-
rante ans dans plusieurs com-
pagnies pétrolières à travers le
monde. Un projet comme celui
du Guyana, il n’a jamais vu ça.
“La production prévue est offi ciel-
lement de 750 000 barils ( par jour),

mais il y a de bonnes chances pour
qu’elle atteigne facilement 1 million
de barils. Equinor, en Norvège, pro-
duit 1 million de barils par jour, alors
le Guyana pourrait être presque
comme la Norvège dans les dix
prochaines années.”
Denis Chabrol est un des journa-
listes les plus respectés du Guyana.
Son journal en ligne, Demerara
Waves, est la référence en matière
d’objectivité. “Cette découverte est
colossale pour un pays comme le
Guyana, qui compte moins de 1 mil-
lion d’habitants, affi rme-t-il. Si les
revenus du pétrole sont gérés correc-
tement, honnêtement, ils devraient
bénéfi cier à tous les Guyaniens.”
Le gouvernement a négocié des
redevances de 2 % seulement avec
Exxon. Il envisage de réclamer au
moins 5 % pour les futurs contrats.
De plus, l’État touchera près de
la moitié des revenus du pétrole
lorsque les coûts d’exploration de
la compagnie seront amortis. Cela
prendra du temps, mais dans cinq
ans le produit intérieur brut (PIB)
du pays, actuellement de 4 mil-
liards de dollars, pourrait tripler.
D’ici là, les premières retombées
économiques viendront sous forme
de contrats et d’emplois.
Les Guyaniens savent ce qu’il
ne faut pas faire. Le Venezuela
voisin est assis sur les plus grandes
réserves pétrolières du monde et
était il n’y a pas si longtemps le pays
le plus riche d’Amérique latine. Il
a tout gaspillé, ses dirigeants ont
tout volé, le pays ne produit plus
rien. Trinité-et-Tobago, tout près,
vit du pétrole depuis cinquante
ans, et lui non plus ne produit plus
rien. Il importe tout. Le gouver-
nement du Guyana dit s’inspirer
de la Norvège avec son fonds sou-
verain, le Fonds de richesse natu-
relle, et prend conseil auprès de
l’industrie pétrolière en Écosse.
Les 750 000  habitants du
Guyana, un des pays les plus
pauvres du monde, vont-ils
s’enrichir? L’humeur du pays
balance entre espoir et scepti-
cisme. La population se divise à
peu près en deux. Les Noirs des-
cendants d’esclaves africains se

retrouvent davantage dans le
parti Partenariat pour l’unité
nationale (ANPU) du président
David Granger, qui a négocié avec
Exxon. L’autre moitié est origi-
naire des anciennes Indes bri-
tanniques et vote pour le Parti
progressiste du peuple (PPP),
lequel souhaite reprendre le
pouvoir dans des élections qui
devraient se dérouler sous peu.

Corruption. Les Guyaniens
savent que leur pays est classé 93e
sur 180 sur l’échelle de corruption
de Transparency International,
alors ils se méfi ent de l’honnêteté
de leurs politiciens. Car ce sont
ces politiciens qui détermineront
si cette richesse nouvelle profi tera
aux citoyens ou bien sera détour-
née ou encore ne profi tera qu’à
une minorité avantagée. Tout le
monde sait que le parti qui gagnera
l’élection restera au pouvoir long-
temps. Vingt ans peut-être.
“Très peu de cas de corruption
aboutissent devant les tribunaux.
Mais nous savons tous que les sources
de la corruption sont les pots-de-vin
versés sur les gros contrats ou sur l’at-
tribution elle-même de ces contrats.
Cela implique beaucoup d’argent”,
souligne Denis Chabrol.

Les besoins de ce petit pays
pauvre sont énormes. Le déla-
brement de magnifi ques bâtisses
coloniales, le manque de routes et
d’infrastructures portuaires l’il-
lustrent bien. L’éducation devrait
être une priorité. Tout comme la
modernisation de l’agriculture, qui
emploie beaucoup de gens mais les
nourrit à peine. Il faudrait aussi
attirer la diaspora de l’étranger,
notamment du Canada, où sont
partis les plus éduqués. Et surtout
éviter ce qu’on appelle la maladie
des ressources ou encore la mala-
die hollandaise : c’est-à-dire tout
miser sur le pétrole, tout dépen-
ser, cesser de produire des biens
pour tout importer.
“Je veux vraiment souligner l’im-
portance de la transparence, reprend
Denis Chabrol. Les Guyaniens ont
un besoin critique d’être assurés que
l’argent sera bien dépensé. Et non pas
gaspillé par les politiciens et leurs
amis. Ce serait une énorme décep-
tion pour tous les Guyaniennes et
Guyaniens de voir toute cette richesse
s’envoler en ne laissant rien derrière.”
Mais quoi qu’il arrive, dans
cinq ans, le Guyana sera
méconnaissable.
—Jean-Michel Leprince
Publié le 12 septembre

ÉCONOMIE


Le Guyana joue son


avenir sur le pétrole


Énergie. Ce petit pays pauvre possède des
réserves d’hydrocarbures qui pourraient changer
radicalement ses perspectives économiques.


N
Océan
Atlantique

Georgetown de la ZEE*Limite
du Guyana

* Zone
économique
exclusive. 200 km

GUYANA

SURINAME GUYANE
FRANCE
BRÉSIL

BRÉSIL

VENEZUELA

TRINITÉ
ETTOBAGO Zone de
Stabroek
Puits
Liza-1

P
la
te
au

(^) d
es
Guy
anes
Gisements d’hydrocarbures : découverts
Litiges territoriaux entre le Guyana et ses voisins
supposés
SOURCE : OFFSHORE MAGAZINE OFFSHOREMAG.COM
↙ Dessin de Mayk paru dans
Sydsvenskan, Malmö.

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