36 | 0123 JEUDI 3 OCTOBRE 2019
0123
J
amais, sans doute, n’aura
ton autant parlé d’Ukraine
à Washington que depuis
qu’une conversation télé
phonique entre le président
Donald Trump et son homologue
ukrainien, Volodymyr Zelensky, a
abouti à l’ouverture d’une procé
dure de destitution contre le pre
mier. L’Ukraine, berceau de la ci
vilisation slave orientale, fleuron
industriel et agricole de la dé
funte URSS, aujourd’hui pays de
44 millions d’habitants coincé
entre Est et Ouest, l’Ukraine, ses
oligarques, ses révolutionnaires,
sa Crimée confisquée par Mos
cou, se retrouve au centre d’un
scandale d’Etat qui la dépasse
complètement. « Nous nous re
trouvons au beau milieu de la
fange sans même l’avoir pro
duite », constatait tristement, di
manche 29 septembre, un exres
ponsable de la diplomatie ukrai
nienne, Andriy Vesselovsky, dans
un débat à la télévision indépen
dante Hromadske.
L’ironie, dans cette affaire, c’est
que Donald Trump se soucie de
l’Ukraine comme d’une guigne.
Jusqu’à très récemment, il ne sa
vait même pas dire correctement
le nom du pays en anglais, qu’il
désignait par « The Ukraine » au
lieu de parler d’« Ukraine »,
comme si en français on disait « Le
Chypre » au lieu de « Chypre ».
Récemment, rencontrant la
presse à New York en compagnie
du président Zelensky, celuilà
même qu’il a humilié en le pous
sant à une pathétique servilité au
téléphone puis en publiant le con
tenu de leur conversation sans lui
demander son avis, M. Trump a
voulu justifier sa prétendue ad
miration pour l’Ukraine : « Il y a
quelques années, atil dit, j’étais
propriétaire du concours Miss Uni
vers, et il y avait eu une gagnante
ukrainienne, cela nous a permis de
connaître vraiment bien le pays,
sous toutes ses formes... » Il n’a pas
fallu longtemps pour qu’un ser
vice de factchecking rapporte
qu’aucune Ukrainienne n’avait ja
mais gagné ce concours de
beauté, mais qu’importe, « c’est
un pays fantastique ».
Plusieurs sources, en réalité,
nous ont rapporté le peu de cas
que fait le président Trump du
sort de l’Ukraine dans ses entre
tiens – privés, ceuxlà – avec
d’autres dirigeants. Au G7 de Biar
ritz, en août, il a même soigneuse
ment évité le sujet.
Moment stratégique
Pour son malheur, l’Ukraine se re
trouve donc victime de la fange
trumpienne. Cela tombe mal, au
moment où, cinq ans après la ré
volution démocratique et pro
européenne de Maïdan, ayant
réalisé des progrès réels mais in
suffisants dans la réforme de sa
gouvernance et de son économie,
le pays se trouve peutêtre au
seuil d’un nouveau départ.
Cet espoir était incarné par ce
président de 41 ans, atypique mais
déterminé à changer le cours des
choses : Volodymyr Zelensky, co
médien de son état, entré en politi
que en suivant un « crash course »,
sorte de formation accélérée, à tra
vers sa propre série télévisée, et
sans la moindre expérience de ges
tion publique. « Il est d’une autre
planète », reconnaît un diplomate
européen qui l’a suivi de près.
Et justement, les Ukrainiens,
éprouvés par toutes sortes d’ex
périences politiques et usés par
cinq ans de guerre dans le Don
bass, avaient envie de quelqu’un
d’une autre planète ; ils l’ont élu à
une majorité de 73 %. Quatre mois
après son entrée en fonctions, le
président Zelensky, renforcé par
un nouveau Parlement à sa main,
oscille entre jeune garde réforma
trice et vieille garde oligarchique.
Le moment est stratégique et c’est
malheureusement là qu’il est
éclaboussé, et sans doute affaibli,
par le scandale Trump.
Emmanuel Macron, lui, y croit
toujours. Il a parié très tôt sur ce
président qui a son âge et dont il
pense que, face à la Russie, il peut
changer la donne par une appro
che plus ouverte, moins dogmati
que, du conflit du Donbass que
celle de son prédécesseur, Petro Po
rochenko. A travers lui, il espère
débloquer le processus de paix
afin de pouvoir ouvrir, dans un
deuxième temps, un dialogue avec
Vladimir Poutine sur des sujets
plus stratosphériques, comme le
contrôle des armements et l’archi
tecture de la sécurité en Europe.
Ce grand dessein russe du prési
dent Macron seratil l’autre dégât
collatéral de l’affaire Trump?
Beaucoup, en Ukraine comme en
Europe, n’en seraient pas fâchés.
L’initiative de Paris, lancée à la fin
de l’été, a suscité d’autant plus de
méfiance chez nos partenaires
qu’ils n’y ont pas été associés,
quand bien même elle s’inscrit, in
siste le président, dans son projet
de « souveraineté européenne ».
Certes, il n’a pas fait le tour des
VingtSept avant de se lancer, mais
cela s’appelle le leadership, rétor
que l’Elysée, et, justement, l’Eu
rope en manque sérieusement. Il
faut bien que quelqu’un s’y colle!
Après une première percée dé
but septembre avec l’échange de
prisonniers entre l’Ukraine et la
Russie, Kiev a fait état mardi d’un
nouveau cap franchi dans la né
gociation sur le futur statut du
Donbass. Lundi, M. Poutine et
M. Macron ont eu une brève con
versation sur l’Ukraine, à l’issue
des obsèques de Jacques Chirac à
Paris, et « restent bien en phase »,
selon une source diplomatique.
Mais la dynamique reste fragile :
on ne parle plus d’une deuxième
vague de libération de prison
niers, et si le sommet des quatre
dirigeants du « format Norman
die » (M. Poutine, M. Macron,
M. Zelinsky et la chancelière alle
mande, Mme Angela Merkel), qui
doit sceller les progrès du proces
sus de paix, reste programmé,
aucune date n’est avancée. Quant
à la rencontre « 2 + 2 » des minis
tres français et russe de la défense
et des affaires étrangères à Mos
cou en septembre, elle s’est dérou
lée dans un climat glacial.
La balle est dans le camp de Vla
dimir Poutine. Il se peut, comme
le pensent les Français, qu’il consi
dère à présent dans son intérêt de
solder la crise du Donbass. A quel
les conditions? L’image ternie de
la démocratie américaine et l’iné
vitable repli de la diplomatie
Trump en Ukraine vont renforcer
sa main. Mais, aussi bien, laisser
plus d’espace aux Européens.
U
n pays, deux systèmes : dans l’un,
des chars, des soldats qui marchent
au pas de l’oie, des chorégraphies
dont les acteurs exhibent le masque de la
joie. Dans l’autre, des manifestants tout de
noir vêtus, armés de parapluies, qui arra
chent des banderoles, brûlent du papier fu
néraire comme pour un enterrement. Des
visages crispés dans la fuite ou l’attaque. Des
policiers débordés, dont l’un qui tire à bout
portant avec son pistolet sur le lycéen de
18 ans qui le frappait avec un bâton.
A Pékin, un portrait de Xi Jinping monté
sur un char fleuri, façon Staline. A Hong
kong, le même Xi, en poster collé au mur,
sur lequel les manifestants lancent des
œufs. Ici, un message officiel diffusé à
l’envi, surjouant un refrain ressassé : seul le
Parti communiste chinois (PCC) convient
au pays et il est la raison de son succès. Là,
un rejet inconditionnel du régime, ouver
tement conspué. D’un côté l’adhésion
feinte, l’unité par la force. De l’autre, un
geyser de protestations et de parole libérée
que rien ne semble tarir.
Le contraste ne pouvait être plus embar
rassant, en ce 1er octobre, date de la commé
moration de la fondation de la République
populaire il y a soixantedix ans. Pour les
Hongkongais, c’était l’occasion rêvée de
rappeler au monde le message que porte
un mouvement inédit dans sa durée et sa
virulence : audelà du projet de loi d’extra
dition, ils reprochent à Pékin d’avoir voulu
subvertir le « contrat » d’un haut degré
d’autonomie garanti par la formule « un
pays, deux systèmes », en cooptant l’esta
blishment et en diabolisant une opposi
tion légitime. Ils ne conçoivent de salut que
dans une démocratie sanctuarisée, notam
ment par un Parlement et un chef de l’exé
cutif élu au suffrage universel.
Hongkong est devenu le théâtre d’une ri
valité systémique, qui oppose le socialisme à
caractéristiques chinoises de Xi Jinping à un
modèle démocratique, à la chinoise : par ses
lois, sa société civile, son haut niveau d’édu
cation, Hongkong a prouvé qu’il savait
s’autogérer. La Chine a en apparence fait
preuve de retenue : Xi Jinping a rappelé, lors
de son allocution du 1er octobre, que Pékin
resterait fidèle à la formule « un pays, deux
systèmes » – perpétuant un dialogue de
sourds, puisque les manifestants sont per
suadés qu’elle a été largement galvaudée.
Si le dirigeant s’efforce de rester en con
formité formelle avec ce principe – ne se
raitce que pour ne pas donner davantage
prise aux critiques occidentales –, il a, tout
au long du mouvement, fait jouer tous les
leviers pour lui faire obstacle : les réseaux
de loyalistes, les contingents de résidents
nouvellement immigrés de Chine, le boy
cottage économique et toute une panoplie
d’outils de renseignement. Pékin a aussi
voulu jouer le pourrissement, en comptant
sur un retournement de l’opinion et sur le
pouvoir dissuasif des arrestations. En vain.
L’impasse demeure totale. Carrie Lam, la
chef de l’exécutif, a perdu tout crédit auprès
de la population, et la police, ayant désor
mais le sentiment d’avoir les mains libres,
agit sans retenue, alimentant le jusqu’au
boutisme d’une partie des manifestants.
De son côté, Pékin doit tenir compte d’une
opinion publique indignée par les affronts
aux symboles de la souveraineté chinoise,
tout en sachant que toute intervention di
recte de militaires ou de policiers du conti
nent est à haut risque. Il n’est d’autre solu
tion qu’une démission de Mme Lam et l’élec
tion d’une personnalité plus consensuelle.
Malheureusement, rien ne laisse penser
que Xi Jinping y soit prêt.
L’UKRAINE
SE RETROUVE
AU CENTRE D’UN
SCANDALE D’ÉTAT
QUI LA DÉPASSE
COMPLÈTEMENT
CHINE :
UN PAYS, DEUX
COMMÉMORATIONS
GÉOPOLITIQUE|CHRONIQUE
pa r s y lv i e k au f f m a n n
Trump-Zelensky,
l’onde de choc
LE GRAND DESSEIN
RUSSE DU
PRÉSIDENT MACRON
FERATIL AUSSI
LES FRAIS
DE L’AFFAIRE ?
Tirage du Monde daté mercredi 2 octobre : 171 624 exemplaires
«Un livre soutenable grâce à
la langue, à la fois très sobre
et froide, qui permet à l’auteur
d’éviter le pathos et au lecteur
d’éviter le voyeurisme. Vertigineux.»
Olivia de Lamberterie,
LeMasqueetlaPlume
«Moix parle l’enfance, cette
langue jamais morte pour
les écrivains de ce nom.»
Eric Naulleau,LePoint
«Un livre vraiment extraordinaire.
Ce qui fait l’originalité d’Orléans,
c’est son écriture.»
MarcWeitzmann,
LeNouveauMagazineLittéraire
«Yann Moix s’inscrit dans
la tradition de Gide.
Un livre remarquable par
la métaphorefi lée.»
Marie Gil,FranceCulture
«Voilà un livre - c’est rare -
qui nous appelle à l’amour
et à la bienveillance.»
Patrick Williams,ELLE
«Admirable. Un éblouissant
texte littéraire. Une déchirante
preuve d’amour à la littérature
et aux écrivains.»
Maurice Szafran,Challenges
«C’est son dix-septième livre,
mais c’est surtout le plus beau.»
Frédéric Beigbeder,LeFigaroMagazine
Grasset
Jérôme Garcin,L’Obs
UN LIVRE
HALLUCINANT.
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