26 |culture MERCREDI 2 OCTOBRE 2019
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L E S
A U T R E S
F I L M S
D E
L A
S E M A I N E
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À V O I R
Viaje
Film espagnol de Celia Rico Clavellino (1 h 35).
Le scénario de Viaje est ténu : tandis que se devine le deuil
du père, une mère et sa fille vivent ensemble dans une parfaite
harmonie. Leonor, la fille, a repris le métier de couturière de
sa mère et, le soir, les deux femmes se retrouvent pour regarder
leur série favorite. Un soir de beuverie, une idée germe dans la
tête de Leonor : partir vivre à Londres. Sans (presque) jamais dé
coller du logis familial, Celia Rico Clavellino filme la secousse de
la séparation entre une mère et sa fille, très vite résorbée par la
tendresse que l’une et l’autre se portent. m. jo.
P O U R Q U O I PA S
Psychomagie. Un art pour guérir
Documentaire français d’Alejandro Jodorowsky (1 h 40).
Artiste transgressif, aux images éruptives, auquel la
Cinémathèque française, à Paris, consacre actuellement
une rétrospective, Alejandro Jodorowsky a un jardin secret.
On ignorait que l’auteur de La Danza de la realidad (2013)
et de Poesia sin fin (2016) mettait en pratique, dans la vraie vie,
des actes théâtraux proches du rite initiatique, en vue
de guérir des gens en souffrance. C’est un Jodorowsky en plein
travail, aux petits soins de ses « patients », entre gourou
et chaman, que l’on découvre dans ce documentaire, dont il est
le réalisateur. cl. f.
Le Regard de Charles
Documentaire français de Marc Di Domenico (1 h 23).
A partir de 1948, année où Edith Piaf lui offre sa première
caméra, Charles Aznavour filme partout où il va. Ses voyages,
ses amours, ses tournages et ses tournées ont alimenté,
jusqu’en 1982, des dizaines de bobines qui sont demeurées dans
des cartons. Jusqu’à ce que Marc Di Domenico s’y intéresse et
construise, avec l’auteurcompositeurinterprète, ce film intime
où l’on découvre la façon dont Charles Aznavour regardait
le monde. Celui tout proche de lui (sa famille) et celui, plus
lointain, qu’il n’a cessé de parcourir. Par ce Regard, Charles nous
livre son autoportrait illustré par des textes de ses biographies,
énoncés, en voix off, par Romain Duris. v. cau.
O N P E U T É V I T E R
Vous êtes jeunes, vous êtes beaux
Film français de Franchin Don (1 h 40).
Le réalisateur semble considérer ce premier longmétrage
comme un cri de protestation contre la solitude des personnes
âgées. En vérité, cette fable d’une crudité stylisée militerait
plutôt pour un juste abrégement de leurs souffrances.
Les personnages (interprétés notamment par Gérard Darmon
et Josiane Balasko) sont malades au dernier degré, enlaidis,
rongés par la dépression et l’aigreur. Il ne manquait à ce tableau
que l’amusante prospective des « combats de vieux » pour
qu’on enjoigne au spectateur de passer son chemin. j. ma.
À L’A F F I C H E É G A L E M E N T
Bonjour le monde!
Film d’animation français d’AnneLise Koehler et Eric Serre
(1 h 01).
Chambord, le cycle éternel
Documentaire français de Laurent Charbonnier (1 h 30).
En liberté! Le village démocratique de Pourgues
Documentaire français d’Alex Ferrini (1 h 17).
La Peau sur les maux
Film français d’Olivier Goujon (1 h 40).
Willy et le lac gelé
Film hongrois de Zsolt Palfi (1 h 10).
La beauté plastique de Hal Hartley
Les premiers longsmétrages du cinéaste américain ressortent en salle
REPRISE
A
l’orée des années 1990,
un jeune homme à la
voix basse et au regard
mélancolique, à peine
sorti de ses études de cinéma à
New York, est devenu en un éclair
la coqueluche du cinéma indé
pendant américain, le temps
d’une poignée de films très re
marqués qui imposèrent alors
un ton nouveau. Pendant quatre
ans (de 1989 à 1992), personne ne
fut plus en vue que Hal Hartley,
dont le cinéma d’inspiration
européenne apparut comme une
petite bulle de détachement,
de distinction et de candeur dans
un monde d’images toujours plus
accélérées et cyniques.
Et puis tout s’est arrêté d’un
coup. Il aura fallu presque autant
de films et l’autre versant de la
décennie pour que Hal Hartley
quitte comme il est venu le de
vant de la scène, suscite l’indiffé
rence polie de ceux qui l’avaient
un jour encensé et retourne à
l’anonymat. Pourtant, le cinéaste
n’a jamais cessé de travailler, dans
son coin et avec des économies de
bouts de chandelle, profitant de la
légèreté des outils numériques
pour se garantir une indépen
dance farouche (son dernier long
métrage, Ned Rifle, date de 2014).
Grâce à l’expansion des restaura
tions, il était bien naturel que les
premiers films de Hartley retrou
vent le chemin des salles, dans
des copies neuves assez resplen
dissantes pour valoriser leur
beauté plastique et leurs subtiles
gammes de couleurs. Revient
alors avec eux l’éblouissement
complet qu’ils avaient suscité à
l’époque. Ces débuts composent
une trilogie dite « de Long Island »,
territoire insulaire et excentré de
New York qui caractérise, de par
sa situation, toute l’excentricité et
le décalage de son écriture.
Dans The Unbelievable Truth
(1989, traduit L’Incroyable Vérité),
un mécanicien sorti de prison,
sali par sa réputation de meur
trier, se rend compte au contact
d’une jeune fille, dont il tombe
amoureux, qu’il n’a peutêtre tué
personne. Dans Trust Me (1990),
deux adolescents apprennent à se
détacher de l’influence délétère
de parents abusifs afin de créer
leur propre territoire amoureux,
hors de la conjugalité. Simple Men
(1992) clôt le cycle sur la cavale de
deux frères recherchant leur père
terroriste dans une ferme où ils
trouvent plutôt l’amour.
De sublimes exceptions
Les personnages de Hal Hartley,
rendus si familiers par le phéno
mène de troupe qui lie ses inter
prètes, souvent les mêmes d’un
film à l’autre, sont des êtres ordi
naires qui ne se comportent et
ne parlent pas comme tout le
monde, des anonymes qui se ré
vèlent de sublimes exceptions. Le
temps du film est celui qu’il leur
faut pour sortir du cliché qu’ils
incarnent : celui du rebelle sans
cause (Robert John Burke dans
The Unbelievable Truth), de la
petite lycéenne pimbêche et su
perficielle (Adrienne Shelly dans
Trust Me), du jeune ténébreux
suicidaire (Martin Donovan dans
Trust Me) ou encore des horsla
loi repentis (Robert John Burke et
Bill Sage dans Simple Men).
Cernés par une société affairiste,
obsédée par l’argent et les rela
tions contractuelles, ils tentent
d’échapper à tout ce que leurs pro
ches voudraient qu’ils soient : des
enfants obéissants, des employés
productifs ou des voisins respecta
bles. Ils lisent, écoutent de la
musique classique, philosophent,
contemplent, et l’amour est pour
eux le meilleur moyen de se ren
dre indomptables. Chaque film
peut ainsi se voir comme la lente
orchestration, dans un monde
froid et calculateur, d’un geste ten
dre, d’une caresse gratuite, d’un
baiser arraché au cours des choses.
À contrecourant du cinéma
hollywoodien, les films de Hal
Hartley n’ont pas pour cœur l’ac
tion, mais la parole. Chaque film
de la trilogie se décline ainsi
comme une suite de conversa
tions entre des petits groupes de
personnages recomposés au fil
des scènes. Conversations d’un
type brechtien, unique dans le ci
néma américain, où les répliques
se croisent de façon oblique, em
pruntent des routes parallèles, où
l’échange peut soudain se mettre
à dérailler, où les mots, pronon
cés à froid, mais affectés de l’inté
rieur, offrent une matière hirsute,
cocasse, souvent drôle à rebours,
par moments bouleversante.
Hartley n’imite pas la réalité,
mais la déplace dans une dimen
sion poétique, dont la douceur
n’exclut pas la violence. Les gestes
décomposés, les postures mar
quées, l’expression pondérée, les
cadres au cordeau composent un
théâtre insolite du sentiment, où
le naturel ne revient que par les
voies détournées de la distance,
de la retenue, d’un infini respect
des êtres. Retrouver ces films,
c’est être témoin d’un temps où
l’indépendance signifiait encore
la passion de la singularité, plutôt
que la quête du conformisme.
mathieu macheret
The Unbelievable Truth, Trust
Me, Simple Men, de Hal Hartley.
Avec Adrienne Shelly, Robert John
Burke, Martin Donovan.
« Trust Me »,
avec
Adrienne
Shelly
et Martin
Donovan.
LES FILMS DU CAMÉLIA
A contre-courant
du cinéma
hollywoodien, les
films d’Hal Hartley
n’ont pas pour
cœur l’action,
mais la parole
Le duo NakacheBekhti ne fait pas d’étincelles
Après « Tout ce qui brille », les deux actrices jouent des sœurs aux caractères opposés
J’IRAI OÙ TU IRAS
N
euf ans ont passé depuis
leur premier duo dans
Tout ce qui brille, où elles
se partageaient les rôles de deux
amies d’enfance vivant modes
tement en banlieue parisienne, et
dont le rêve était de conquérir les
quartiers chics de la capitale.
Géraldine Nakache et Leïla Bekhti
sont aujourd’hui de retour, dans
le troisième longmétrage de
Géraldine Nakache, J’irai où tu
iras, où elles sont désormais des
sœurs que la mort de leur mère et
des caractères opposés ont éloi
gnées. Une situation a priori irré
versible, puisque ni la proxi
mité géographique (elles habitent
dans la même ville de Nantes) ni
les efforts déployés par leur père
ne sont parvenus, durant toutes
ces années, à les réconcilier.
Thérapeute auprès des person
nes âgées, Mina (Leïla Bekhti)
mène sa vie seule, avec une déter
mination hautaine qui la rend
distante aux yeux de ses sembla
bles. A l’inverse de Vali (Géraldine
Nakache), qui tente de se faire une
place dans la chanson, en doutant
de tout (en particulier d’elle
même), et en s’excusant à tout
bout de champ de sa présence sur
terre. Ainsi débute le film qui, en
alternance, nous montre l’une et
l’autre sœur dans leurs univers
respectifs. Clinique et rationnel
pour la première. Pailleté et frivole
pour la seconde. Avec, entre les
deux, servant de trait d’union et
jouant les intermédiaires, le père,
Léon (Patrick Timsit), caricature
de la figure parentale envahis
sante telle qu’elle est d’ordinaire
réservée aux « mères juives ».
C’est le surgissement de l’inat
tendu dans ce schéma rudement
contrasté qui redistribuera les
cartes. Apprenant qu’il est atteint
d’un cancer, et qu’il doit entrer
à l’hôpital afin de suivre ses pre
mières séances de chimiothé
rapie, Léon charge Mina de
conduire Vali à Paris, où l’attend
une audition susceptible de lui
faire décrocher une place de cho
riste dans la prochaine tournée
française de Céline Dion.
Réalisation brouillonne
Malgré les réticences de Mina, le
voyage en voiture aura bien lieu,
durant lequel la jeune fille pei
nera à garder son sangfroid face
aux vocalises tonitruantes de sa
sœur (la séquence la plus drôle du
film). De même qu’il lui en coû
tera de dissimuler plus tard son
mépris à l’encontre des autres
concurrents que l’annonce du
décès de René, le mari de la
chanteuse québécoise, mène à un
effondrement abyssal. Ce décès
retarde d’un jour l’audition et
oblige les deux sœurs à une coha
bitation plus longue que prévu,
et donc à des moments de brus
ques mises au point durant les
quels s’expriment beaucoup de
rancœurs et s’éclaircissent quel
ques malentendus.
La petite chronique familiale
s’insinue dans le récit, sans pren
dre le pas sur la comédie. Les lar
mes succèdent à la gaieté, la fré
nésie à l’introspection rapide. Le
mariage aurait eu des chances de
fonctionner. Encore auraitil fallu
un scénario moins approximatif
et attendu, une réalisation moins
brouillonne et relâchée que ceux
offerts par J’irai où tu iras.
véronique cauhapé
Film français de et avec
Géraldine Nakache. Avec Leïla
Bekhti, Patrick Timsit (1 h 40).
CINÉMAL’ARLEQUIN
76 rue deRennes, 75006Paris
http://www.festivalcineallemand.com
©Sony Pictures/Gordon Timpen