Le Monde - 02.10.2019

(Michael S) #1
ACTUALITÉ
LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 2 OCTOBRE 2019 | 3

Le retour à l’eau des cétacés : la voie de l’ADN


ÉVOLUTION - L’analyse de gènes inactivés chez les baleines, dauphins et marsouins éclaire
les mécanismes qui ont facilité le retour à la vie aquatique de leurs ancêtres quadrupèdes

C


e fut un épisode marquant
de l’histoire de l’évolution.
Un événement qui vit,
voici 52 millions d’années, à l’épo­
que de l’éocène, des cétacés pri­
mitifs abandonner la terre ferme
au profit de la vie aquatique.
Quels changements anatomi­
ques, physiologiques ou compor­
tementaux leur ont­ils permis de
retourner dans cet habitat liquide,
dont sont issus les ancêtres de
toutes les créatures terrestres?
Quelles furent les étapes?
En comparant les génomes de
62 espèces de mammifères ac­
tuels, une équipe germano­améri­
caine affirme avoir réussi à trou­
ver des indices. Matthias Huels­
mann, du Max­Planck Institute of
Molecular Cell Biology and Gene­
tics à Dresde (Allemagne), et ses
collègues ont découvert que les
baleines, dauphins et autres ca­
chalots modernes ont tous hérité,
au niveau de leur ADN, d’un
même ensemble de 85 gènes inac­
tifs. Ils affirment, dans la revue
Science Advances, non seulement
que ces mutations étaient proba­
blement déjà présentes chez leur
ancêtre commun, mais égale­
ment qu’elles pourraient expli­
quer certaines de leurs capacités
de survie en milieu océanique!

Une part de mystère
Les cétacés ont longtemps eu leur
part de mystère. « C’est seulement
entre 1996 et 2010 que des études
ADN impliquant certains des
auteurs de cette nouvelle publica­
tion ont établi leur fort lien de
parenté avec les hippopotames »,
rappelle Fabrice Lihoreau, paléon­
tologue à l’université de Montpel­
lier et codécouvreur, au Kenya, de
l’Epirigenys, l’un des fossiles d’âge
intermédiaire qui a permis de
confirmer cette théorie.
Officiellement, l’histoire de ces
artiodactyles débute, il y a 52 mil­
lions d’années, sur le sous­conti­
nent indien, avec un curieux qua­
drupède aux allures de loup : le
Pakicetus. Ce dernier est remplacé,
au bout de cinq millions d’années,
par un habile nageur encore doté
de pattes arrière qui, traversant
l’océan, va rallier l’Afrique puis, de
là, l’Amérique du Sud : le protocé­
tidé. D’autres animaux, comme
l’imposant basilosaure, suivront
avant que, voici 37 millions d’an­
nées, les deux groupes actuels de

cétacés apparaissent : les mysticè­
tes (équipés de fanons et auxquels
appartiennent les baleines) et les
ondotocètes (à dents et qui regrou­
pent notamment les cachalots, les
dauphins et les marsouins).
Disparition des pattes posté­
rieures, allongement du corps,
épaississement de la peau, perte
partielle de l’odorat... De multi­
ples transformations anatomi­
ques et physiologiques sont inter­
venues entre­temps. Celles dont
les traces sont visibles dans les
fossiles n’ont toutefois pas permis
de préciser la recette employée
par les cétacés pour effectuer ce
retour à la mer.
D’où l’intérêt des travaux de Mat­
thias Huelsmann et de ses confrè­
res. Ces biologistes ont commencé
par rechercher dans les génomes
de 62 espèces de mammifères
terrestres et marins actuels des
gènes qui, rendus inactifs, avaient
cessé de produire leurs protéines.
Puis, ils ont répertorié, parmi ces
256 mutants, les 85 qui étaient
uniquement présents dans l’ADN
des cétacés. Avant enfin d’essayer
de comprendre à quelles fonc­
tions ces derniers étaient initiale­
ment attachés.
Le résultat? Il est riche en pers­
pectives, en permettant d’imagi­
ner quels furent, voici 37 millions
d’années, les caractères de l’ani­
mal à l’origine des baleines, cacha­
lots, dauphins, orques et autres
marsouins. Il montre aussi que, si
cette perte de gènes a souvent été
sans conséquence, elle a pu parfois
favoriser l’adaptation.
Ainsi, les chercheurs ont constaté
la présence de plusieurs muta­
tions avantageuses liées aux acti­
vités de plongée. Certaines ont li­
mité chez les cétacés les risques de
thrombose. D’autres ont doté
leurs poumons d’une capacité à se
recroqueviller. Une astuce em­
ployée par ces mammifères pour
réduire leur flottabilité tout en
évitant les blessures provoquées
par les brusques changements de
pression encaissés au moment
des remontées. Autre découverte :
le sommeil. Chez les baleines, dau­
phins et cachalots, ce dernier ne
touche jamais les deux hémisphè­
res cérébraux afin de garantir le
maintien de l’activité de nage et de
retour à la surface nécessaire à la
thermorégulation et à la respira­
tion. En observant l’inactivation

des gènes associés à la synthèse de
la mélatonine, l’hormone chargée,
chez l’homme, de la régulation du
rythme circadien, l’équipe pro­
pose une nouvelle piste pour ex­
pliquer ce phénomène. Enfin, ces
biologistes présentent au moins
un exemple de gène rendu inopé­
rant en raison de sa probable inuti­
lité dans cet environnement
aqueux : celui impliqué dans la
production salivaire.

Une étude inédite
« Cette étude est la première à dé­
montrer de façon convaincante
comment l’inactivation de cer­
tains gènes a contribué, au cours
de la sélection naturelle, à l’adap­

tation des cétacés au milieu aqua­
tique », indique Frédéric Delsuc,
directeur de recherche CNRS à
l’Institut des sciences de l’évolu­
tion de Montpellier (ISEM). « C’est
un progrès important, estime de
son côté Fabrice Lihoreau. La
méthode employée permet d’accé­
der à des caractéristiques physio­
logiques de l’ancêtre des mysticè­
tes et des ondotocètes. C’est inédit.
Il serait néanmoins intéressant
qu’elle puisse aussi apporter des
informations d’ordre anatomique
de façon à pouvoir confronter ses
résultats aux observations réali­
sées sur les fossiles. Espérons que
cela soit un jour possible. »
vahé ter minassian

Quelques cétacés descendant de mammifères quadrupèdes qui vivaient
sur la terre ferme il y a 52 millions d’années. CARL BUELL, @JOHN GATESY

L’exoplanète qui ne devait pas exister


ASTRONOMIE - La géante gazeuse GJ 3512 b s’est formée de manière atypique


E


n un quart de siècle, plus de
4 100 planètes extrasolai­
res ont été répertoriées. A
la découverte d’une nouvelle exo­
planète, on est désormais plus
proche du sentiment de banalisa­
tion que de l’enthousiasme des
débuts. Cependant, certains as­
tres, par leurs particularités, exci­
tent encore la curiosité des cher­
cheurs et des grandes revues
scientifiques. GJ 3512 b est de
ceux­là, et Science lui consacre
quelques pages dans son numéro
du 27 septembre.
Découverte grâce à l’instru­
ment Carmenes, exploité par un
consortium de onze centres de
recherche espagnols et alle­
mands, GJ 3512 b intrigue parce
que, si l’on s’en tient aux modèles
classiques de formation des pla­
nètes géantes gazeuses, cette exo­
planète, dont la masse en fait
l’équivalent d’une demi­Jupiter,
ne devrait tout simplement pas

exister. Astronome à l’Institut de
planétologie et d’astrophysique
de Grenoble (CNRS/université
Grenoble Alpes), Xavier Delfosse
pose ainsi les bases de ce para­
doxe : « Ces modèles prévoient une
formation en deux temps. On a
d’abord une agglomération de
particules solides, des glaces et des
roches, celles­ci étant au début mi­
nuscules puis de plus en plus gros­
ses. Quand ce noyau atteint cinq à
dix fois la masse de la Terre, sa gra­
vité devient suffisante pour attirer
et conserver d’immenses quanti­
tés du gaz présent autour de lui. »
Ce dans un processus de type
« boule de neige ». C’est ainsi que,
dans notre Système solaire, Jupi­
ter a pu atteindre une masse plus
de trois cents fois supérieure à
celle de notre planète.
L’ennui, avec GJ 3512 b, vient du
fait qu’elle tourne autour d’une
étoile minuscule, une naine rouge
située à une trentaine d’années­

lumière de nous et dont la masse
équivaut seulement à 12 % de celle
du Soleil. Lorsqu’elle naît, une
étoile si légère ne dispose pas
d’un environnement permettant
la constitution progressive d’un
gros noyau planétaire. Les auteurs
de l’étude de Science reconnais­
sent d’ailleurs avoir testé en vain
plusieurs scénarios fondés sur ce
processus d’accrétion.

« Une instabilité »
Pourtant, cette exoplanète géante
est bel et bien là, et elle n’y est pas
arrivée par magie. Les astrono­
mes sont donc obligés d’admettre
qu’« une fraction des planètes
géantes se forment autrement que
par le phénomène d’accrétion de
cœur », en déduit Xavier Delfosse.
Le scénario alternatif qui s’écrit
fait abstraction de la phase de
construction du noyau. Il imagine
que, dans le disque de gaz et de
poussières qui entoure la jeune

étoile et à partir duquel naissent
ses compagnons planétaires, se
développe « une instabilité, pour­
suit l’astronome grenoblois. Un
bloc de densité se crée, une “surgra­
vité” qui va provoquer un effondre­
ment du disque protoplanétaire
sur lui­même –, un mécanisme
analogue à celui d’une étoile qui se
forme. Avec ce type de processus,
on peut très vite récupérer beau­
coup de matière et de gaz. »
Si l’on suit ce modèle, qui a déjà
été évoqué pour expliquer l’exis­
tence de superplanètes, des
monstres équivalant à cinq voire
dix Jupiter, GJ 3512 b devrait donc
être une exoplanète sans cœur
solide, dotée d’une composition
proche de celle de son étoile. Ce
que l’on ne peut malheureuse­
ment pas vérifier pour l’instant, la
technique utilisée pour la détec­
ter ne permettant pas de connaî­
tre sa densité.
pierre barthélémy

E N D O C R I N O L O G I E
La perte de poids, traitement
efficace du diabète
C’est bien connu, un régime alimentaire
strict, entraînant une perte de poids impor­
tante, permet d’induire une rémission d’un
diabète de type 2. Mais qu’en est­il avec des
mesures moins draconiennes, et une perte
de poids plus modeste? Des chercheurs de
l’université de Cambridge (Royaume­Uni)
ont suivi une cohorte de 867 personnes
de 40 à 69 ans avec un diabète non insulino­
dépendant récemment diagnostiqué.
Avec un recul de cinq ans, 30 % d’entre elles
étaient en rémission. Le taux de rémission
était deux fois supérieur chez les individus
ayant perdu 10 % ou plus de leur poids que
chez ceux dont le poids était resté constant.
> Dambha­Miller et al., « Diabetic Medicine »,
30 septembre

M É D E C I N E
Les cas d’hépatite B aiguë
reculent en France
Le nombre de cas déclarés d’hépatite B aiguë
est passé de 185 en 2006 à 59 en 2018 en
France, selon les données de Santé publique
France publiées dans le Bulletin épidémiolo­
gique hebdomadaire (BEH) du 24 septembre.
Entre 2003 et 2018, le total des cas s’élève à
1 788, dont 72 % retrouvés chez des hommes.
Une infection lors d’une relation sexuelle
et un séjour en zone d’endémie du virus
étaient les principales sources de risque,
mais près de 40 % de ces patients n’avaient
pas déclaré y avoir été exposés. Pour les
auteurs de l’article du BEH, la baisse d’inci­
dence de l’hépatite B aiguë est probable­
ment en lien avec les stratégies vaccinales.
Ces chiffres sont à prendre avec précaution,
le taux d’exhaustivité des déclarations par
les cliniciens (pourtant obligatoires pour
l’hépatite B) restant faible : 27 % en 2016.

I N F E C T I O L O G I E
Six cas autochtones de dengue
en région PACA
Cinq cas autochtones de dengue, une
infection virale transmise par le moustique
tigre, ont été identifiés dans le même quar­
tier de Vallauris (Alpes­Maritimes), a indiqué
l’Agence régionale de santé de Provence­
Alpes­Côte d’Azur (ARS PACA) le 27 septem­
bre. Quatre jours plus tôt, un cas datant

de juillet était signalé à Caluire­et­Cuire,
au nord de Lyon. Un cas autochtone corres­
pond à une personne qui a contracté la
maladie sur le territoire national et n’a pas
voyagé en zone contaminée dans les quinze
jours précédant l’apparition des symptômes.
Le foyer de dengue à Vallauris a été repéré
grâce à une enquête de l’ARS PACA et Santé
publique France, après un premier cas
autochtone signalé le 18 septembre. Outre
une surveillance épidémiologique renforcée,
des mesures de démoustication ont été réa­
lisées à plusieurs reprises dans ce quartier,
pour éliminer les gîtes et les moustiques
tigres adultes. (PHOTO : YURI CORTEZ/AFP)

2 000
C’est le nombre d’atomes de la plus grosse
molécule ayant un comportement quantique.
C’est-à-dire qu’un faisceau de cette molécule
s’est comporté comme un faisceau d’électrons
ou de lumière en passant à travers deux fentes :
à la sortie, on ne retrouvait pas un nuage de
points désordonnés, mais des franges d’interfé-
rence régulières, preuve du caractère ondula-
toire du faisceau. « Creux » et « bosses » des
deux vagues se sont combinés. La molécule
contient plus de 40 000 éléments – protons,
neutrons et électrons – et est faite de carbone,
de fluor, de soufre et de zinc. Ce record en
appelle d’autres, selon l’équipe des universités
de Vienne et de Bâle qui l’a publié, le 23 sep-
tembre, dans Nature Physics. Il permet de tester
les limites entre les mondes classique et quan-
tique et de contraindre les théories expliquant
le passage toujours mystérieux entre les deux.

T É L E S C O P E

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