Le Monde - 02.10.2019

(Michael S) #1
RENDEZ-VOUS
LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 2 OCTOBRE 2019 | 7

La France doit accélérer la lutte contre le sida, 


la tuberculose et le paludisme


TRIBUNE - Avant la conférence de reconstitution du Fonds mondial, les 9 et 10 octobre, à Lyon,
200 ONG lancent un appel à Emmanuel Macron pour qu’il augmente la contribution nationale

M


onsieur le Président,
En tant qu’associations du
monde entier engagées
dans la lutte contre les pandémies,
nous voulons vous remercier pour
l’organisation, à Lyon, les 9 et 10 octo­
bre prochains, de la Conférence de
reconstitution du Fonds mondial de
lutte contre le sida, la tuberculose et le
paludisme. Mais si peu de vos conci­
toyens et concitoyennes, de vos collè­
gues politiques mêmes, savent ce que
signifie ce fonds. Pour nous, il fait
toute la différence. Nous vous remer­
cions pour votre engagement person­
nel et vous appelons à faire de cette
conférence un succès.
Le 24 septembre, vous l’avez rappelé
haut et fort à la tribune des Nations
unies, « les résultats sont là » : 32 mil­
lions de vies sauvées grâce au Fonds
mondial de lutte contre le sida, la tu­
berculose et le paludisme. A sa créa­
tion en 2001, personne ne pensait que
ce fonds aurait un tel impact! Qu’il
aboutirait à ce que plus de 60 % des
personnes vivant avec le VIH dans le
monde bénéficient désormais d’une
trithérapie, et que 5 millions de per­
sonnes atteintes de tuberculose soient
mises sous traitement. Que, dans de
nombreux pays, il stopperait la trans­
mission du VIH des mères à leurs en­
fants au moment de l’accouchement
et permettrait à 6 millions de femmes
enceintes d’être traitées préventive­
ment contre le paludisme. Qu’il crée­
rait des programmes permettant aux
centres de santé pour des populations
souvent stigmatisées et criminalisées,

comme les travailleuses du sexe ou les
prisonniers et prisonnières, d’avoir
accès aux outils de diagnostic et traite­
ment du VIH et de la tuberculose.
Cela, c’est en grande partie à la France
que nous le devons. La France, fer de
lance de la réponse scientifique sur les
pandémies, comme en témoignent les
prix Nobel reçus en 1907 pour les dé­
couvertes sur le paludisme et en 2008
sur le VIH, la découverte du vaccin
contre la tuberculose en 1921, et plus
récemment le développement du trai­
tement préventif à la demande (la
PrEP) pour le VIH. La France, aussi à
l’origine de la création d’outils multila­
téraux comme le Fonds de solidarité
thérapeutique international, ou en­
core Unitaid pour l’achat groupé de
médicaments. La France, qui a su éga­
lement entraîner d’autres pays dans
l’aventure du Fonds mondial, comme
elle l’a fait également avec la taxe de
solidarité sur les billets d’avion – et qui
sait, demain, une taxe internationale
sur les transactions financières.
C’est votre héritage, mais la lutte
contre les pandémies a encore besoin
de vous. Pour l’ONU, la fin du sida et
du paludisme est possible à l’horizon
2030, et la fin de la tuberculose peut
suivre. Pour la première fois dans
l’histoire, nous pouvons le dire! Pour­
tant, l’ONU alertait aussi en juillet sur
la baisse de l’aide internationale
contre les pandémies et le risque de
leur résurgence si la communauté
internationale ne se mobilise pas à la
hauteur des enjeux. Le Fonds mon­
dial doit refléter le réel engagement

de tous les pays contributeurs à met­
tre fin aux trois pandémies. 14 mil­
liards de dollars pour les trois prochai­
nes années, voici l’objectif fixé. Cela
semble beaucoup, mais c’est pourtant
le strict minimum. Grâce à votre
engagement au plus haut niveau, le
Royaume­Uni, le Canada, le Japon,
l’Italie, la Commission européenne et
l’Allemagne ont déjà annoncé des
augmentations significatives de leur
contribution au Fonds pour les trois
prochaines années.
L’objectif est donc atteignable, à une
condition : que la France soit au ren­
dez­vous. Par sa capacité à entraîner
encore davantage de pays et de nou­
veaux donateurs, mais aussi par
l’exemple qu’elle peut elle­même
donner, en augmentant également sa
contribution d’au moins 25 %, soit
450 millions d’euros par an. L’équiva­
lent du transfert de deux stars du
football français, ou du budget prévu
pour compenser l’arrêt de la publicité
après 20 heures sur France Télévi­
sions. Ne comparons pas l’incompara­
ble, mais rappelons­nous que le coût
de l’élimination des pandémies est
largement à la portée des Etats.

Il n’y a pas de développement dura­
ble sans santé. Une planète sans pan­
démies d’ici à 2030 est d’ailleurs l’un
des objectifs de développement dura­
ble adoptés par les Etats du monde
entier. Nous connaissons les coûts,
humains, sociaux, économiques que
ces pandémies engendrent, alors que
leur élimination est possible pour seu­
lement 0,01 % du PIB du G20.
Pour cela, le monde a besoin de lea­
dership. La France a joué ce rôle dans le
passé. Monsieur le Président de la
République, le rôle que vous allez jouer
en accueillant cette conférence de re­
constitution est historique. Vous avez
pris la mesure de l’urgence climatique
en doublant votre contribution au
Fonds vert, vous avez augmenté l’aide
publique française au développement,
nous vous demandons de répondre à
l’urgence sanitaire en assurant
aujourd’hui le succès financier de votre
conférence. Léguer aux générations fu­
tures un monde sans sida, sans tuber­
culose et sans paludisme est possible,
et vous pouvez en être l’artisan. Nous
vous attendons avec impatience et
confiance les 9 et 10 octobre à Lyon.

CARTE


BLANCHE


Par SYLVIE  CHOKRON


S


ans doute avez­vous déjà été trompé.
Que ce soit ce chercheur qui s’attribue
une partie de vos résultats et les pu­
blie en « oubliant » de vous y associer, cette
personne que vous considériez comme
amie et qui vous a trahi, ou encore cette
connaissance qui passe son temps à mentir
sur votre compte. Que se passe­t­il dans le
cerveau du menteur?
Comme on pourrait l’imaginer, mentir est
une activité hautement intellectuelle qui re­
crute un grand nombre d’aires cérébrales
impliquées dans le raisonnement de haut
niveau. Le menteur doit tout d’abord pren­
dre la décision de cacher ou de falsifier les
informations véridiques, puis fabriquer une
fausse version de la réalité qu’il va défendre
et colporter. Il doit ensuite s’assurer que
tout le monde croit à son histoire tout en
mémorisant sa version des faits et en res­
tant vigilant pour ne pas se contredire. Il y a
fort à parier que l’ensemble de ces processus
consomme énormément d’énergie et de
disponibilité mentale, sauf peut­être pour
les menteurs professionnels qui ont auto­
matisé l’ensemble de ces mécanismes pour
être plus efficaces.

Association entre deux aires cérébrales
Au niveau cérébral, c’est le cortex préfron­
tal, connu pour son implication dans les
processus cognitifs complexes, qui est à
l’œuvre pour mener à bien ces activités.
Comme l’ont montré Maxim Kireev et ses
collègues de l’université de Saint­Péters­
bourg en 2017, il est maintenant possible de
suivre la façon dont les aires cérébrales
s’activent et communiquent entre elles en
fonction du contexte psychologique. Ces
auteurs ont utilisé cette nouvelle méthode
d’analyse en IRM fonctionnelle pour étu­
dier la manière dont la connectivité céré­
brale se modifie lorsqu’un sujet ment ou
lorsqu’il a un comportement manipulateur
par rapport à la condition où il dit la vérité.
Il semble qu’un couplage se mette en place
au sein de l’hémisphère gauche entre le
gyrus frontal médian et le gyrus frontal
inférieur lors du mensonge. L’association
entre ces deux aires cérébrales pourrait
refléter la compétition quant à la sélection
d’un discours mensonger ou honnête.
Quant au comportement de manipulation,
il génère une augmentation de la connecti­
vité entre le gyrus frontal médian gauche et
la jonction temporo­pariétale droite, cette
région qui nous permet de nous mettre à la
place d’autrui. Ce qui signifie que lorsqu’un
sujet nous manipule, il prend véritablement
notre perspective pour être plus efficace!
Le menteur va souvent finir par croire à
son mensonge et se convaincre, voire nous
convaincre, qu’il dit vrai. Mais là encore, la
neuro­imagerie fonctionnelle peut lever le
voile sur ce double mensonge : à autrui et à
soi­même! J. Yu et ses collaborateurs de
l’université de Hongkong se sont ainsi ré­
cemment interrogés sur la possibilité pour
l’IRM fonctionnelle de différencier l’activité
cérébrale en jeu lors de la tromperie et lors
d’un faux souvenir. Ces deux situations ex­
périmentales activent le gyrus frontal gau­
che, mais seule la situation de mensonge
active également un réseau d’aires dans les
deux hémisphères : le gyrus temporal supé­
rieur droit, l’insula droite, le lobule pariétal
gauche et le gyrus frontal supérieur droit.
Bien heureusement pour les vrais men­
teurs, rien ne dit que cette technique per­
mettrait de détecter les mensonges dans la
vie courante. Enfin, pour finir, comme l’ont
montré A. Hayashi et ses collaborateurs de
l’université du Tohoku, à Sendai, c’est égale­
ment le cortex préfrontal, mais dans sa
partie ventro­médiane, qui s’active lorsque
l’on pardonne une tromperie. Alors, si
dorénavant quelqu’un avait la mauvaise
idée de vous duper et de vous raconter qu’il
l’a fait en toute bonne foi, laissez votre
cortex préfrontal décider si vous devez lui
pardonner ou non.

Les neurones


du mensonge


et de la manipulation



Signataires : Aides, Action Santé
mondiale, Amis du Fonds mondial
Europe, Coalition PLUS, Fédération
française LGBTI, Handicap international,
Médecins du monde, ONE, Sidaction,
Solthis, et 190 autres associations
et organisations non gouvernementales
du monde entier.
Voir la liste complète sur Lemonde.fr

L’ÉLIMINATION
DES PANDÉMIES EST
POSSIBLE POUR
SEULEMENT 0,01 %
DU PIB DU G20

Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected]

Le lithium, du calme à la tempête


ATOMES, PORTRAITS DE FAMILLE (3/9) - A l’occasion des 150 ans du tableau périodique des éléments, créé


par Dmitri Mendeleïev, présentation d’un petit ion qui se place au sommet de la colonne des alcalins


P


our découvrir la subtilité et la
richesse du monde chimique,
inutile d’aller très loin dans les
118 cases du tableau périodique des élé­
ments. Juste sous l’hydrogène, voici le
lithium, avec seulement trois protons
et trois neutrons dans sa forme la plus
stable. Deux de ses trois électrons sont
si près du noyau qu’ils ne comptent pas
vraiment en chimie. Mais le dernier est
en périphérie, particulièrement agité,
n’attendant qu’à être cédé pour réagir
fortement. Ainsi, en contact avec l’eau,
le lithium forme des sels, après un fort
dégagement gazeux d’hydrogène,
d’où le nom d’« alcalins » associé à la
colonne dont il occupe le sommet.
Mais en la matière, le lithium est moins
vigoureux que le sodium, dans la
même colonne, connu pour exploser
dans l’eau. Ces deux éléments sont les
rares métaux à pouvoir flotter.

Batteries de portable
Sur Terre, c’est sous forme de saumure
qu’on trouve le lithium en abondance
en Amérique du Sud, notamment, ou
en minerai en Australie. Mais s’il sert
de lubrifiant ou d’additif dans les ver­
res et céramiques, il est surtout connu
comme élément­clé des batteries des
téléphones et ordinateurs portables.
Pour cette application, les chimistes
mettent à profit d’une part sa légèreté
pour concentrer le plus d’énergie possi­
ble, et d’autre part sa forme « déplu­
mée » ou ionique, celle dans laquelle il a
perdu un électron et est donc positif.
Cet ion circule d’une électrode à l’autre
en libérant un électron. L’un des pères
de ce système est le Franco­Marocain
Rachid Yazami, qui a reçu avec trois
autres pionniers, en 2014, le prix Char­
les Stak Draper d’ingénierie. En septem­

bre, le chercheur, devenu entrepreneur,
a aussi été récompensé du Prix de l’in­
vestisseur arabe pour l’invention d’un
circuit électronique permettant de sur­
veiller l’échauffement de ces batteries.
Il est amusant de voir que l’un des
éléments qui font battre les cœurs
technologiques de nos sociétés est
aussi à l’origine de tous les éléments
dans l’Univers. Après l’hydrogène, il est
en effet parmi les premiers fabriqués
et brûlés dans les étoiles pour forger le
reste des atomes.
L’excellente conductivité et la petite
taille du lithium sont aussi à l’origine
d’une autre application qui soulage
des millions de personnes atteintes
de troubles bipolaires. Rien d’électri­
que là­dedans, mais c’est encore la
forme ionique minuscule, capable de
passer la barrière sang­cerveau qui est

la clé de la correction de certains dys­
fonctionnements cérébraux, comme
le raconte le psychiatre Walter Brown
dans un livre paru en août, Lithium : A
Doctor, a Drug, and a Breakthrough
(Liveright, non traduit).

Des cochons d’Inde assagis
L’utilisation des sels de lithium en mé­
decine ressemble à la réinvention per­
pétuelle de la roue. Dès le XIXe siècle,
des eaux riches en lithium ou des sels
servent à soigner la folie, la dépression
ou la goutte. La célèbre boisson 7­up
en a contenu jusqu’en 1948, alléguant
son effet calmant. Puis ces connais­
sances semblent disparaître. Jusqu’à
ce qu’un médecin australien, John
Cade, sans s’inspirer de ces précur­
seurs, découvre les vertus du lithium
qui assagit des cochons d’Inde, avant

de tranquilliser aussi dix patients,
dont lui­même, comme sa publication
de 1949 en témoigne. Mais personne
ne lira ses conclusions, publiées dans
une obscure revue de l’hémisphère
Sud. Qui plus est, un des patients
mourra vite, probablement à cause
d’une trop forte dose de lithium.
Le Danois Mogens Shou reprend le
flambeau en 1954 avec un premier es­
sai clinique positif, qui ouvre la voie à
des utilisations précautionneuses des
sels de lithium. La France les autorise
dès 1961 ; les Etats­Unis, dix ans plus
tard. Cela ne s’accompagne d’aucun
enjeu économique, car le lithium, élé­
ment naturel connu depuis 1817, ne
pouvait être breveté. En revanche, le
mode d’action précis du petit ion dans
le cerveau reste mystérieux.
david larousserie

Li

3


Lithium


6,941


Numéro
atomique
(nombre
de protons)

Symbole
chimique

Nom
de l’élément

Masse
atomique

Batterie
au lithium.
JAAP ARRIENS/
NURPHOTO

Sylvie Chokron, directrice de recherches
au CNRS, Laboratoire de psychologie
de la perception, université Paris-Descartes
et Fondation ophtalmologique Rothschild
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