INTERVIEW//Ludovic Halbert est économiste des territoires et géographe, chargé de recherche au CNRS,
membre du Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS)
« Mobiliser l’epargne privée pour l’immobilier et les infrastructures »
Propos recueillis par
Erick Haehnsen
Quels sont les principaux
mécanismes financiers de la
redynamisation urbaine?
L’idée que je défends au travers de
mes recherches, c’est que les c ircuits
de financement ont un impact sur ce
qui est produit en termes d’immobi-
lier ou d’infrastructures et sur les
populations qui y accèdent ou pas.
Or certains circuits de financement,
comme le dispositif de la loi Pinel
dans le logement locatif, se sont ins-
titutionnalisés et industrialisés.
Quels en sont les effets
sur les espaces urbains?
Le circuit Pinel concentre les pro-
duits immobiliers en surfaces assez
petites (T1 et T2), destinés à des
populations relativement solva-
bles : étudiants, personnes âgées...
Pour loger des populations plus
modestes, l’épargne réglementée,
comme le l ivret A, intervient d ans le
financement du logement social.
Une part est centralisée par la
Caisse des dépôts pour être trans-
formée en prêts à long et très long
termes auprès des opérateurs
sociaux. L’excédent des loyers
revient en partie aux épargnants
sous forme d’un taux d’intérêt
maintenu volontairement bas par
l’Etat. Ce circuit finance des opéra-
tions dans des régions et des villes
qui ont une tradition de logement
social. Et plus récemment dans les
métropoles.
Qu’en est-il des circuits
financiarisés?
Leurs capitaux investis provien-
nent des marchés financiers et sont
confiés à des gestionnaires d’actifs
spécialisés : foncières, fonds
d’investissement, argent des fonds
d’institutionnels (assurance vie,
caisses de retraite, fonds souve-
rains...). En France, ce circuit se
porte dans l’immobilier d’entre-
prise ou dans les infrastructures,
parfois dans les opérations d’amé-
nagement... Et principalement
dans le Grand Paris et les métropo-
les. Après avoir massivement vendu
leurs logements dans les années
2000-2010, des gestionnaires s’inté-
ressent à nouveau au résidentiel.
Quels enseignements
en tirez-vous?
La crise de 2008, et ses effets sur la
dette publique, a renforcé l’Etat
dans sa tentative de mobiliser
davantage l’épargne privée et, en
particulier les marchés financiers,
pour financer l’immobilier et les
infrastructures. Les collectivités ter-
ritoriales se trouvent donc plus
dépendantes des marchés immobi-
liers : elles peuvent par exemple
essayer de négocier avec les promo-
teurs pour qu’une partie des loge-
renforce le pouvoir des opérateurs
dans la fabrique urbaine et fait
dépendre la redynamisation de cer-
tains territoires de la valorisation
des prix fonciers. Or, en n’enrayant
pas la hausse des prix, on contraint
certaines populations à devoir se
reloger plus loin. Capter une partie
de l’augmentation des prix du fon-
cier pour financer le logement
social est un remède qui ne soigne
pas la cause. Afin d’éviter la spécula-
ti on foncière, certaines collectivités
explorent l a piste de la « dissociation
foncière » (seul le bâti est vendu, pas
le foncier). Cette « démarchandisa-
tion » du foncier pourrait être un
thème des prochaines élections
municipales.n
Eliane Kan
F
inie l’opposition entre Paris et pro-
vince, métropoles et arrière-pays?
Dans « La France des territoires, défis
et promesses », Pierre Veltz veut y croire. Ce
professeur émérite à l’Ecole des Ponts Paris-
Tech met fin aux visions fatalistes des dyna-
miques territoriales « Dans un [pays] comme
la France, où les infrastructures sont abon-
dantes et les compétences largement réparties,
aucun territoire n’est condamné », écrit-il.
Grâce au TGV (et à l’avion pour Nice et Tou-
louse), les dix principales villes sont toutes à
moins de trois heures de Paris et forment
ainsi un « cluster métropolitain », au sein
duquel, depuis les années 1990, la c roissance
se rééquilibre en faveur des grandes villes de
province. Fédérées autour du Grand Paris,
ce réseau compose la « métropole France ».
Reste que c’est dans les territoires que les
acteurs doivent relever les plus grands défis
de notre époque : la transition écologique et
énergétique, la réindustrialisation, les nou-
velles mobilités, la transformation digitale,
l’accès à un logement sain et économe en
énergie, l’équilibre entre vie professionnelle
et vie privée, une alimentation saine, la cul-
ture... « Ces axes de la redynamisation des ter-
ritoires poussent les acteurs locaux à dévelop-
per une véritable ingénierie territoriale afin de
multiplier les projets tout en cherchant à les
rendre cohérents par la concertation entre
toutes les parties prenantes », souligne Jac-
ques Savatier, député LREM de la Vienne,
membre de la commission des finances à
l’Assemblée nationale. Ainsi, Morbihan
Energies propose aux communes de son
département le conseil, le financement et la
supervision des opérations de transition
énergétique. « Nous avons ainsi réalisé quinze
centres de production photovoltaïques (80
sont en route) », explique Didier Arz, le direc-
teur général adjoint.
Reconquête industrielle
Toutefois, certaines impulsions de l’Etat
jouent un rôle catalyseur pour l’accéléra-
teur le fourmillement des i nitiatives locales.
Citons, entre autres, « Territoires d’indus-
trie ». Piloté par les régions et animé locale-
ment par des binômes intercommunalités-
industriels, ce programme, lancé en
novembre 2018, vise à répondre aux princi-
paux enjeux de développement, d’attracti-
vité, d’innovation, de recrutement de
l’industrie. Le 24 septembre dernier,
Edouard Philippe, le Premier ministre, en a
dressé un bilan : 85 % des 141 Territoires
d’industrie (trois nouveaux ont été rajoutés)
sont entrain d’élaborer, à l’échelle locale,
des plans d’action qui seront négociés avec
les régions d’ici l a fin d e l’année. 20 % d’entre
eux, soit 29 territoires, ont déjà signé un
protocole. Et 65 % d’entre eux les finalisent.
Ces contrats se traduisent par 474 projets
dans un objectif de reconquête industrielle.
A ce jour, 231 d’entre eux ont fait l’objet d’un
engagement, aux côtés des Régions, de
l’État et de ses opérateurs pour un montant
de 108 millions d’euros.
Ainsi les agglomérations du Grand Bel-
fort e t du Pays d e Montbéliard se lancent-el-
les dans l’industrie 4.0, l’économie de
l’hydrogène, l’acculturation numérique des
habitants dès l’école primaire, et dans la
réhabilitation de friches industrielles en
cœur de ville. Autre impulsion fédérative,
« Territoires d’innovation » dotée d’une
enveloppe de 450 millions d’euros dont
150 millions d’euros de subventions
allouées aux collectivités, chefs de file. Et
300 millions investis en fonds propres au
travers de la Caisse des dépôts. Dévoilée le
13 septembre par le Premier ministre, la
liste des 24 lauréats de l’appel à manifesta-
tion d’intérêt de fin 2018 illustre le bouillon-
nement créatif qui émerge des territoires.
Centre d’art et ferme urbaine
Bordeaux a l’ambition de devenir la pre-
mière métropole à énergie positive ; Dijon
compte ériger le modèle du système ali-
mentaire durable de 2030 ; Grenoble va
développer l’économie du partage pour la
ville en transition ; Rennes va nous séduire
avec ses Mobilités intelligentes ; Le Havre
veut inventer le port du futur ; Cœur
d’Essonne sera un pionnier de la transition
agricole et alimentaire...
La redynamisation urbaine peut aussi
passer par une démarche inclusive. A l’ins-
tar du projet mené par les Maisons de
Marianne qui promet de faire tache d’huile.
Cette entreprise spécialisée dans la concep-
tion et l’animation de logements intergéné-
rationnels s’apprête à créer à Vauréal
(Val-d’Oise) un village placé sous le signe de
la mixité sociale, de la solidarité et du vivre-
ensemble. L’opération, qui ouvrira fin 2021 ,
recouvre un immeuble en location de
79 logements sociaux intergénérationnels
opérés par le bailleur Sequens ainsi que des
logements en accession dont quinze mai-
sons de ville et onze maisons individuelles.
L’originalité du projet repose notamment
sur la fourniture gratuite de services de télé-
assistance, d’aides à domicile et d’anima-
tions délivrée par les Maisons de Marianne.
« Nous prévoyons également d’inclure dans le
village nos futurs bureaux, un centre d’art, une
ferme urbaine ainsi qu’un restaurant », indi-
que Eric Vialatel, président de Maisons de
Marianne. Le maître d’ouvrage de la concep-
tion du village a confié à Nexity la maîtrise
d’œuvre d’exécution. Le coût global des tra-
vaux s’élève à 21 millions d’euros. L’opération
a reçu des subventions PLUS (Prêt Locatif à
Usage Social) et PLAI (Prêt Locatif Aidé
d’Intégration) pour un montant d e
300.000 euros. Par ailleurs, 10,3 millions
d’euros de prêts ont été accordés dont
3,4 millions au titre du prêt PLS (Prêt l ocatif à
usage social).
a
Cœur d’Essonne modernise
son réseau d’eau et sa mobilité
lesechos.fr/thema
PANORAMA// Transition écologique et énergétique, transformation digitale, innovation, nouvelles mobilités,
accès au logement, réindustrialisation, alimentation saine... Une nouvelle vague de projets de transformation
urbaine et de redynamisation au sens large est lancée dans les territoires. Mais l’impulsion de l’Etat reste décisive.
Un nouveau souffle pour les
projets locaux de redynamisation
ments soit vendue à prix maîtrisés
auprès de bailleurs sociaux ou de
ménages à revenus plus modestes.
C’est une évolution importante : on
passe d’une péréquation par l’impôt
à une péréquation à l’opération. Ceci
« « Les circuits de
financement ont
un impact sur ce
qui est produit et
sur les population
qui y accèdent
ou pas. »
C’est dans les territoires que les acteurs doivent relever les plus grands défis de notre époque : la transition écologique et énergétique, la réindustrialisation, les
nouvelles mobilités, la transformation digitale, l’accès à un logement sain et économe en énergie. Romi/RÉA
SPÉCIAL
MERCREDI 2 OCTOBRE 2019 LESECHOS.FR/
TERRITOIRE