Courrier International - 10.10.2019

(Brent) #1

  1. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n 1510 du 10 au 16 octobre 2019


france


—Süddeutsche Zeitung
Munich

E


mmanuel Macron tient
parole : la centrale
nucléaire de Fessenheim
cessera ses activités à l’été 2020.
Ainsi que s’y était engagé le prési-
dent. La nouvelle a de quoi réjouir
– moins les pronucléaires fran-
çais que les antinucléaires alle-
mands qui souhaitent depuis des
années la fermeture de ces deux
réacteurs régulièrement victimes
de pannes et d’incidents. Car il

ne faut pas oublier que la plus
vieille centrale française encore
en activité ne se situe pas seule-
ment sur la frontière avec l’Alle-
magne mais aussi sur une zone
à risque sismique.
En réalité, Macron ne fait que
tenir une très vieille promesse

devra être réduit à 50 % de la
production d’énergie. Alors qu’il
s’est engagé à fermer 14 réacteurs
sur 58 d’ici 2035, Macron reste
particulièrement évasif sur les
moyens de parvenir à cet objectif.
Hostile à la fermeture des cen-
trales déjà amorties – et particu-
lièrement rentables –, EDF sera
vent debout contre toute proposi-
tion en ce sens et obligera le gou-
vernement à négocier pendant
des années – comme le montre
l’exemple de Fessenheim. Cela
en devient presque absurde : au
nom de sa sécurité énergétique,

la France fait du développement,
à l’étranger, de sources d’éner-
gies renouvelables une condition
préalable à la fermeture de ces
centrales nucléaires. Le président
français se garde même la possi-
bilité de faire construire de nou-
velles centrales. La multiplication
des incidents et anomalies sur
le chantier d’un nouveau réac-
teur à eau pressurisée (REP) en
Normandie ne lui fait pas peur.
À l’issue de la Seconde Guerre
mondiale, la France s’est lancée
dans le développement accé-
léré de l’énergie nucléaire afi n
d’être autosuffi sante et de béné-
fi cier d’une énergie bon marché.
Pourtant, ce qui était autrefois
une force de l’économie fran-
çaise se mue de plus en plus en
fardeau : les centrales nucléaires,
vieillissantes, accumulent les
pannes et coûtent cher à entre-
tenir. EDF est régulièrement
amenée à reconnaître des failles
techniques sur ses centrales. Ces
dernières années, plus d’un tiers
des centrales ont dû être mises
à l’arrêt.
C’en est fi ni de l’autosuffi sance
énergétique, il faut importer
de l’électricité (verte) d’Alle-
magne. La mauvaise gestion des

des autorités françaises. Rien de
plus. En dépit de l’engagement
affi ché du président en faveur
de la “transition écologique”,
la fermeture de Fessenheim
ne signifi e nullement qu’Em-
manuel Macron s’emploie à
réduire la dépendance de la
France à l’énergie nucléaire ou
qu’il entame une transition vers
des énergies renouvelables. La
France ne change pas de cap,
et ses élites encore moins. Le
nucléaire reste la raison d’État.
Emmanuel Macron et le gouver-
nement n’ont présenté ni plan
ni budget pour sortir de cette
énergie à la fois dangereuse et
de plus en plus coûteuse.
Alors que la France bénéfi ce
d’une superfi cie, d’un ensoleil-
lement et d’une surface côtière
supérieurs à ceux de l’Allemagne,
les énergies solaire et éolienne
y sont nettement moins répan-
dues. Le développement de ces
sources d’énergie ne progresse
que très lentement. La raison de
ce paradoxe : en matière d’éner-
gie, c’est l’industrie nucléaire
qui détient le pouvoir. Ce sec-
teur fournit les trois quarts
des besoins énergétiques de la
France et représente, de l’aveu
même de Macron à l’époque où
il était ministre de l’Économie,
un véritable “État dans l’État”.
Face à cette dépendance, les
annonces du président Macron,
ou de son prédécesseur François
Hollande, concernant la réduc-
tion du nucléaire ne vont pas
au-delà des déclarations d’in-
tention non contraignantes. En
France, la loi relative à la tran-
sition énergétique a été conçue
de telle manière qu’elle n’im-
pose pas même la fermeture
d’un seul réacteur.
Macron est en réalité un par-
tisan du nucléaire. Alors qu’au-
cune centrale n’a été fermée
sous la présidence de François
Hollande, le gouvernement actuel
a repoussé de dix ans l’objectif
de réduction du nucléaire : ce
n’est désormais pas en 2025 mais
en 2035 que le nucléaire français

entreprises nucléaires publiques
coûte des milliards aux contri-
buables français ; et alors qu’il
est de plus en plus diffi cile de
fi nancer la couverture des risques
pour les centrales EDF sur les
marchés fi nanciers, cette charge
pourrait bientôt être entièrement
assumée par l’État. Malgré tout
cela, le prolongement de l’exploi-
tation de réacteurs – prévus à
l’origine pour fonctionner pen-
dant seulement quarante ans –
reste un scénario vraisemblable.
C’est l’option la moins coûteuse
par rapport au développement
d’énergies renouvelables.
La France est prisonnière du
nucléaire. Mais cela ne dérange
pas ses dirigeants. Au contraire,
dans le débat actuel sur les dérè-
glements climatiques, les respon-
sables français ne se privent pas
de pointer du doigt l’Allemagne
et ses centrales à charbon très
polluantes. À juste titre. Pendant
ce temps, la France et Macron à
sa tête présentent le nucléaire et
ses faibles rejets de CO 2 comme
un allié dans la lutte contre les
dérèglements climatiques. Une
excuse supplémentaire pour ne
pas remettre en cause la raison
d’État.
—Leo Klimm
Publié le 30 septembre

Énergie. Un pays


prisonnier


du nucléaire


Après l’annonce de la fermeture de Fessenheim,
la plus vieille centrale de France, ce journaliste
allemand estime que le gouvernement n’affi che
aucun plan ni budget pour sortir du nucléaire.

Ce qui était
autrefois une force
de l’économie
se mue de plus
en plus en fardeau.

Le gouvernement
actuel a repoussé
de dix ans l’objectif
de réduction
du nucléaire.

SOURCE

SÜDDEUTSCHE ZEITUNG
Munich, Allemagne
Quotidien, 345156 ex.
sueddeutsche.de
Créé en 1945, le “journal
du sud de l’Allemagne”
compte parmi les quotidiens
suprarégionaux de référence
du pays. De tendance libérale,
il est un grand défenseur
des valeurs démocratiques
et de l’État de droit.
Il emploie ou a employé parmi
les meilleures plumes du pays.
Le quotidien se distingue
aussi par l’importance
qu’il accorde à la culture.

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Suisse.
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