- À LA UNE36. À LA UNE Courrier international —Courrier international — nnoo 1510 du 10 au 16 octobre 2019 1510 du 10 au 16 octobre 2019
NoN
TouT se réglera
dans les urnes,
en 2020
Le Sénat ne votera pas
la destitution de Donald Trump
et il n’y aura pas de guerre
civile, affirme ce chroniqueur
conservateur.
—The Washington Post (e x t r a i t s)
Washing ton
D
onald Trump s’est fait sermonner pour avoir
relayé sur Twitter les propos d’un prédi-
cateur baptiste du Texas, Robert Jeffress,
affirmant que contraindre le président à
quitter son poste avant la fin de son mandat
entraînerait “une fracture digne de la guerre
de Sécession”. Toute allusion à ce conflit majeur
pour commenter la situation actuelle devrait être
évitée aussi soigneusement que d’autres types
de déclarations incendiaires, comme celles qui
comparent Trump à Hitler.
Quelques jours auparavant – peu après que la
présidente démocrate de la Chambre des repré-
sentants, Nancy Pelosi, a annoncé l’ouverture
d’une enquête officielle en vue d’une procédure de
destitution –, j’avais déjeuné avec un républicain
de longue date et “Never Trumper” [surnom des
républicains qui ont toujours refusé de se rallier
à Trump] acharné. À un moment, il s’est penché
vers moi et m’a demandé d’un air grave : “Nous
dirigeons-nous vers une nouvelle guerre civile ?”
L’idée m’a fait sourire. Pour la plupart des gens,
aussi bien à gauche qu’à droite, la vie dans l’Amé-
rique d’aujourd’hui est bien trop confortable pour
que nous acceptions d’aller nous battre contre nos
concitoyens. Il faudrait pour cela que nous aban-
donnions nos fauteuils relax. Mais prêtons-nous
au jeu : selon cette idée, si le Sénat juge Trump
coupable et le destitue, ceux qui
ont voté pour lui verront rouge
et s’insurgeront.
Cela me paraît peu probable.
Tout d’abord, en grande majorité
les partisans de Trump ne sont
pas les péquenots hargneux et
ignorants caricaturés dans cer-
tains milieux. Deuxièmement, pour atteindre
la majorité des deux tiers nécessaire au Sénat
pour prononcer la destitution, il faudrait qu’au
moins 20 sénateurs républicains lâchent les
électeurs de Trump et se joignent aux démo-
crates, un scénario inimaginable. Si la preuve
que Trump a commis un acte répréhensible
devient si indéniable que même sa base l’aban-
donne, qui ira se battre pour lui? La menace
d’un soulèvement violent généralisé est nulle.
On peut toutefois se demander jusqu’où le
fossé peut se creuser entre nous avant que
nous ne puissions plus affirmer la main sur le
cœur que nous sommes une nation indivisible.
Et le soupçon que les démocrates brandissent
l’affaire ukrainienne parce que c’est la meil-
leure raison qu’ils aient trouvé d’administrer
le remède qu’ils réclament depuis longtemps
n’a fait que nous séparer davantage.
Comparée aux deux dernières tentatives de
destitution d’un président, celle-ci rappelle
plus la procédure lancée contre Bill Clinton
que celle contre Richard Nixon : elle est fri-
vole et politique, et non solennelle et histo-
rique. Clinton avait menti sous serment en
niant avoir eu une relation sexuelle avec une
stagiaire. Il méritait de se faire taper sur les
doigts. Nixon méritait d’être démis de ses fonc-
tions. Sa chute a été le résultat d’environ deux
ans d’enquêtes, et les enregistrements de ses
conversations effectués à la Maison-Blanche
ont poussé suffisamment de sénateurs républi-
cains à se retourner contre lui : il était assuré
d’être condamné et il a choisi de démission-
ner. Clinton, en revanche, était protégé par sa
base et par les sénateurs démocrates contre ce
qu’ils qualifiaient de “chasse aux sorcières”.
Pour ce qui est de destituer Trump, les démo-
crates l’ont accusé de tellement de choses qu’il
est difficile de s’arrêter sur une seule, surtout
depuis que la collusion avec la Russie lors de
l’élection de 2016 n’a pu être prouvée. Le grief qui
revient le plus souvent désormais est que Trump
aurait utilisé les leviers du pouvoir pour obliger
l’Ukraine à enquêter sur un rival politique. Pour
beaucoup d’entre nous, ce n’est pas vraiment ce
que montre la retranscription
de l’entretien de Trump avec le
président ukrainien Volodymyr
Zelensky, mais c’est néanmoins
le principal motif avancé.
Ce que Trump n’a clairement
pas fait lors de cette conversa-
tion, c’est menacer de suspendre
l’aide militaire en faveur de l’Ukraine jusqu’à ce
que des informations compromettantes sur les
Biden aient été livrées. La comparaison péril-
leuse avec les méthodes des mafieux faite par
le député démocrate Adam Schiff ne tient pas
puisque Trump a débloqué l’aide financière à
l’Ukraine en échange d’une simple promesse.
La bonne nouvelle, c’est que tout le monde peut
se détendre. Il n’y aura pas de guerre civile parce
qu’il y aura toujours quelque chose de bien à la
télé. La Chambre des représentants votera l’im-
peachment de Trump, et les démocrates explo-
seront de joie. Puis il sera acquitté au Sénat, et
les républicains se réjouiront. Les discours res-
teront incendiaires et les outrances atteindront
de nouveaux sommets d’absurdité, une vraie
manne pour les programmes d’information du
dimanche matin et les émissions humoristiques
de fin de soirée. Bref, tout le monde sera content.
Et avant que nous ayons le temps de dire ouf, le
temps des élections sera venu en 2020, et le sort
de Trump sera scellé par les urnes. Ce qui sera
la meilleure façon de régler cette histoire, même
si certains trouveront ce dénouement décevant.
—Gary Abernathy
Publié le 1er octobre
la vie dans l’amérique
d’aujourd’hui esT Trop
conforTable pour que nous
allions nous baTTre
conTre nos conciToyens.
Est-ce le début d’une guerre civile?
→ “Ni collusion
ni obstruction !”
Dessin de Rubens,
Pays-Bas.
CoNtrovErsE
Installé à Hillsboro
dans l’Ohio,
Gary abernathy
est un contributeur
occasionnel du
Washington Post.
Après une longue
carrière dans
la presse locale,
il a travaillé pour
le Parti républicain
dans l’Ohio et en
Virginie-Occidentale,
avant de revenir
à ses premières
amours et de diriger
le Times-Gazette
de Hillsboro, un
des rares quotidiens
à avoir soutenu
la candidature
de Donald Trump
en 2016.
L’auteur
LE déNoUEmENt